Afghanistan : discours hypocrites et réalité sociale

Publié le par sceptix


Les talibans n'ont pas toujours été, aux yeux des grandes puissances, ces « barbares ¬moyen¬âgeux » (selon l'expression de Sarkozy) qu'il faudrait à tout prix éliminer. Après le retrait des troupes soviétiques, en 1988-1989, ils ont étendu leur emprise progressivement sur le sud du pays, jusqu'à leur entrée à Kaboul en septembre 1996. Les États-Unis et leurs alliés sont d'autant plus restés passifs à ce moment-là qu'ils avaient largement aidé durant les années précédentes toutes les forces islamistes qui avaient combattu la présence soviétique en Afghanistan.

Mais au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, Bush avait besoin de faire une démonstration de force aux yeux de l'opinion américaine. Dans les jours qui suivirent, les États-Unis et leur alliée la Grande-Bretagne (alors dirigée par le socialiste Tony Blair) commencèrent leurs préparatifs militaires contre l'Afghanistan présenté comme le repaire d'Al-Qaida, sous le prétexte de s'emparer de Ben Laden. Le 7 octobre l'aviation américaine procédait à son premier bombardement sur le pays. Les États-Unis intervinrent militairement en Afghanistan. Ben Laden s'y trouvait peut-être, mais sept ans après, il court toujours.

Ce n'est que dans un deuxième temps que l'ONU, qui avait été mise devant le fait accompli, avalisa l'opération, en se réjouissant que « les changements radicaux provoqués par les attentats terroristes du 11 septembre ont fait que les objectifs des Nations unies sont devenus plus faciles à atteindre ». L'opération « Justice sans limites » se transforma en « Liberté immuable », avec la formation de la la coalition censée rétablir la démocratie dans le pays, à laquelle la France, parmi bien d'autres pays, s'associa. À l'époque, Chirac, président de la République, et Jospin, son Premier ministre socialiste, étaient sur la même longueur d'onde. Ce dernier déclarait que la lutte contre le terrorisme « serait conduite collectivement avec une détermination absolue et dans la durée ».

Aujourd'hui, à en croire Sarkozy, ce serait pour défendre la démocratie qu'incarnerait le régime d'Hamid Karzaï que la France maintiendrait sa présence militaire, et Rachida Dati ne manque pas une occasion d'évoquer le sort des femmes afghanes si les talibans revenaient à Kaboul. Mais si l'on en croit un rapport de l'ONU (qui, rappelons-le, patronne officiellement l'intervention de la coalition), rapport publié en novembre 2007, le régime de Karzaï est bien loin de l'image idyllique que Sarkozy et Kouchner veulent en donner.

Qu'on en juge. En ce qui concerne la création d'une police afghane, « les autorités du ministère de l'Intérieur ont été accusées à de nombreuses reprises de ne pas avoir eu le courage de congédier des hauts gradés manifestement corrompus ». « La corruption et le clientélisme semblent toucher la police de manière particulièrement grave. » Le système judiciaire souffrirait « de la corruption institutionnalisée ». « Les journalistes risquent l'emprisonnement s'ils critiquent l'application du droit islamique. »

Quant au sort des femmes si fréquemment invoqué pour justifier l'intervention militaire de la coalition : « L'ONU estimait au début 2007 que 30 % des femmes détenues le sont pour des infractions qui ne sont pas de nature pénale, mais plutôt essentiellement des violations d'ordre moral, et qu'une autre tranche de 30 % sont détenues pour adultère. » Admirons au passage cette subtile distinction entre adultère et « violation d'ordre moral ». Il n'en reste pas moins que dans le territoire contrôlé par le gouvernement Karzaï le sort des femmes n'est pas particulièrement enviable.

La conclusion de ce rapport de l'ONU ne brille pas par un excès d'optimisme, en reconnaissant que « l'aspiration à une paix durable... commence à ressembler à un idéal dont la réalisation semble de plus en plus précaire ».

Il est vrai que le ministre de la Défense, Hervé Morin, « conteste totalement le mot guerre » pour parler de ce qui se passe en Afghanistan. On avait connu cela avec l'Algérie, où pendant des années les responsables politiques et militaires de la France ne parlaient que « d'opérations de maintien de l'ordre ». Il a fallu attendre 1999, 37 ans après la fin du conflit, pour que la loi reconnaisse qu'il y avait bien eu une guerre en Algérie. Un ministre de la Défense qui a peur des mots, cela ne fait pas glorieux.

François DUBURG

http://www.lutte-ouvriere-journal.org/?act=artl&num=2091&id=27

Publié dans Révolutions

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