La main de Washington
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C’est un des attributs de l’empire que d’attirer à lui tous les regards du monde quand il ne fait jamais que régler ses problèmes domestiques. La désignation officielle cette semaine de Barack Obama comme candidat démocrate à l’élection de novembre n’échappe pas à la règle. Notre fascination médiatique est d’autant plus inexplicable qu’il ne se passera rien, strictement rien, au cours de cette convention de Denver. Tout au plus, les analystes pourront-ils scruter la duplicité du clan Clinton dans son soutien à un homme que, probablement, il maudit. Et mesurer le préjudice électoral que Bill et Hillary pourraient lui porter. Pour le reste, la mise en scène est à peu près aussi huilée qu’une brillante comédie de Broadway. Et l’imprévu, la hantise des scénaristes. Pourtant, l’indifférence nous est interdite. Et ce mois d’août qui s’achève apporte à cela plusieurs explications. Trois crises internationales, chacune facteur de grande tension, portent l’empreinte de Washington. En Afghanistan, la mort de dix soldats français est venue tragiquement nous rappeler que notre armée mène là-bas une guerre américaine d’occupation. Et que la guerre aux terroristes est une construction idéologique qui fait en réalité le jeu des talibans, lesquels retrouvent du soutien dans la population à mesure que les armées de la coalition se renforcent. La mort, dimanche, de quatre-vingt-dix civils bombardés « par erreur », et avec « les regrets » de l’état-major américain, va sans doute aggraver un peu plus ce sentiment national qui tend à transformer les islamistes en résistants. La deuxième grande crise qui porte la patte de Washington est évidemment l’affaire géorgienne. Il faut être Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, nos néoconservateurs, nos Dick Cheney à nous, pour considérer comme « obsolète » la question « qui a commencé ? ». Car si la riposte russe a eu la brutalité dont on sait le régime de Poutine (même relooké par Medvedev) capable, c’est bien l’offensive géorgienne contre l’Ossétie du Sud qui a ouvert les hostilités le 8 août. Et nous savons aujourd’hui que cette agression, qui a tout de même coûté la vie à deux mille personnes, a été inspirée par les stratèges de la Maison Blanche. On connaît leurs motivations : il s’agissait, en utilisant le président Saakachvili comme un vulgaire pion sur leur échiquier international, de marquer l’appropriation définitive de l’Ossétie du Sud par la Georgie à la veille de l’intégration de celle-ci dans l’Otan. Et cela, bien entendu, au mépris de la culture et du sentiment russophones de la population ossète. Au passage, il faut noter l’ironique symétrie entre cette crise et la crise kosovare. Comme le Kosovo se sent majoritairement albanais, l’Ossétie se sent plus russe que géorgienne. Mais là où la « communauté internationale » avait volé au secours du Kosovo dans sa volonté de s’émanciper de la Serbie, la même communauté soutient la Géorgie. Dans cette affaire, Saakachvili a pourtant exactement joué le rôle que feu Milosevic avait joué au Kosovo. Voilà de quoi relativiser les grands principes d’ingérence humanitaire et de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, réversibles selon le côté du manche. Et le manche est toujours américain. La troisième crise n’a pratiquement pas eu lieu. Et, cette fois, il faut le regretter. On aurait aimé entendre l’Union européenne et les partisans des traités de Maastricht et de Lisbonne à propos de l’installation du bouclier antimissile américain en Pologne, ratifiée par Condoleezza Rice le 20 août. L’accord américano-polonais est à la fois une mise en servage de l’Europe par les États-Unis et un acte hostile à l’encontre de la Russie. La mise en place dans un état de l’Union européenne et aux portes de la Russie d’un élément du National Missile Defence s’inscrit dans la même stratégie que l’opération géorgienne en Ossétie. Une stratégie proprement impérialiste dont l’enjeu à peine voilé est évidemment la maîtrise de la route du pétrole et du gaz. Ce legs redoutable de l’administration Bush, peut-on espérer que Barack Obama, s’il l’emportait en novembre – ce qui n’est pas donné –, s’en libérerait ? En fait, il serait probablement illusoire de croire que les intérêts lourds de l’empire américain s’effaceraient, et que les lobbies qui veillent jalousement sur la pérennité de cette politique verseraient soudain dans la philanthropie. Tout au plus peut-on croire que le nouveau président romprait avec l’unilatéralisme de l’équipe actuelle et qu’une autre vision du monde l’emporterait. La désignation de Joe Biden comme vice-président est à cet égard encourageante. Le sénateur du Delaware est connu pour son hostilité à l’idéologie de la « guerre au terrorisme ». La disparition des néoconservateurs des arcanes du pouvoir américain ne serait déjà pas une mince affaire. |