ISRAEL : Sternhell : "Les partisans de l' occupation sont anti-sionistes"
[Sternhell, depuis son lit d¹hôpital, n¹épargne ni le gouvernement, ni la
"gauche" israélienne. De plus, il reprend son thème favori : les partisans
de la colonisation sont des anti-sionistes]
Ha¹aretz, 29 septembre 2008
http://www.haaretz.com/hasen/spages/1025210.html
Sternhell : "Les partisans de l¹occupation sont anti-sionistes"
Akiva Eldar
Traduction : Gérard pour La Paix Maintenant
La maison du professeur Zeev Sternhell, rue Agnon à Jérusalem, est aisément
reconnaissable à son portail de fer à la vitre cassée. Sternhell affirme que
l¹attentat aurait pu lui coûter l¹amputation des deux jambes. Heureusement,
jeudi soir dernier, lui et son épouse Ziva rentraient de l¹étranger. Leurs
valises, laissées dans l¹étroit chemin qui mène à la maison, l¹avaient
séparé de l¹engin piégé attaché à sa porte.
Le salon est rempli de fleurs et le téléphone n¹arrête pas de sonner. Les
journaux citent les déclarations des ministres. Sternhell, toujours
hospitalisé, lie directement le renoncement de l¹Etat face aux exactions de
l¹extrême droite dans les territoires au terroriste ou à l¹organisation qui
a attenté à sa vie.
"De quoi ces ministres parlent-ils ?", demande-t-il quand le vice-premier
ministre Haïm Ramon, à la télévision, condamne le gouvernement qui craint «
ces voyous », comme les appelle Ramon. "Qui est chargé des colonies
illégales ? Vous ? Moi ? Qui est responsable de cet Etat semi-autonome dans
les territoires ? Des groupes de colons y font ce qui leur chante. Des
policiers et des soldats réservistes rentrent chez eux avec un bras cassé.
Comment ont-ils pu laisser les choses se détériorer jusqu¹à ne plus rien
contrôler en Cisjordanie ? J¹ai dit à mes étudiants que ne pas intervenir en
faveur d¹un enfant faible qui a besoin d¹aide revenait à aider l¹enfant
fort, à intervenir pour lui. Quiconque ne fait pas respecter la loi et ne
protège pas les Palestiniens des colons qui les attaquent coopère avec les
voyous et les délinquants."
Les colons répliquent ce sont eux, l¹enfant faible, en particulier depuis
l¹évacuation de la bande de Gaza.
"Je sais très bien ce que c¹est que d¹être un réfugié, et je regrette que
les colons de Goush Katif n¹aient pas pu se construire une nouvelle vie à
l¹intérieur de la ligne Verte. Mais chaque fois que l¹Etat fait un pas dans
la bonne direction, comme le retrait de Gaza, il se dépêche de consoler les
colons et de leur promettre que cela n¹ira pas plus loin. Je suggère une
alternative à la propriété exclusive sur la terre qui justifie l¹occupation.
Elle se fonderait sur une perception rationnelle des droits universels, en
particulier du droit à la liberté et à la dignité, y compris pour les
Palestiniens. C¹est cette approche social-démocrate qui a donné forme à
l¹Europe du XXe siècle. Cela renforcerait le sionisme, au contraire de la
prétention à l¹exclusivité sur toute la Terre d¹Israël, qui refuse les
droits de l¹autre, menace l¹idéal sioniste et constitue une recette éprouvée
pour aller au désastre."
L¹extrême droite et les colons sont-ils antisionistes ?
"Evidemment. La droite qui défend le Grand Israël est la vraie entité
post-sioniste. Quiconque soutient l¹occupation, c¹est-à-dire l¹Etat
binational, n¹est pas sioniste. Cela peut aussi être dit des politiciens qui
traînent les pieds dans les négociations dont l¹objectif est une solution à
deux Etats. Ils remettent cette solution aux Calendes grecques, et mettent
ainsi en danger l¹avenir de l¹Etat juif."
Allez-vous utiliser cet attentat pour accroître votre influence ?
"Mon rôle est de critiquer. Je n¹ai aucunement l¹intention de revenir en
politique. Je suis heureux que ma blessure ait choqué le gouvernement et la
Knesset. Mais que reste-t-il de l¹assassinat de Rabin, qui avait causé un
choc beaucoup plus grand ? Un jour de commémoration par an. Les politiques
doivent déclarer la guerre à l¹extrême droite et à l¹occupation (là où ces
moustiques se nourrissent). Autrement, ils ne mériteront pas une note en bas
de page de l¹histoire."
En tant que membre de la gauche sioniste et historien spécialisé dans le
fascisme du XXe siècle, êtes-vous satisfait du rôle de la gauche israélienne
dans son affrontement avec la droite ?
"La gauche israélienne n¹a rien fait. Il y a des gens bien, comme [le
député travailliste] Ophir Pines et [la ministre travailliste de
l¹éducation] Youli Tamir, mais ils n¹ont aucune influence sur leur parti.
Personne ne tente d¹imaginer un avenir de paix ou de progrès social. Au lieu
de cela, les forts deviennent plus forts, les faibles plus faibles, au
moment même où le mythe du marché roi s¹écroule autour de nous et supplie
les Etats d¹intervenir pour le sauver. C¹est maintenant que la gauche doit
s¹élever, proclamer sa différence et nous rappeler que l¹idéologie de droite
est un échec complet qui n¹offre pour perspective que le désastre politique,
social et économique. Un parti de gauche digne de ce nom devrait être en
train de crier sur les toits."
Dans une interview à Ha¹aretz il y a 6 mois (1), vous disiez que l¹avenir
de vos enfants et de vos petits-enfants ne paraissait pas assuré.
"Je crains qu¹à moins d¹un changement immédiat, dans 50 ans, mes
petites-filles n¹aient plus aucune raison de vivre en Israël. Si nous sommes
condamnés à être une minorité dans un Etat multinational, pourquoi vivre à
Tel Aviv plutôt qu¹en Californie ? Ce serait pour cela que nous aurions
consenti tant de sacrifices ? Nos petits-enfants ne comprendront pas la
justification de la situation coloniale que nous aurions ici. C¹est cela, le
plus grand danger pour notre société.
En dépit des difficultés que ma génération a connues, nous étions toujours
accompagnés pas l¹espoir en un avenir meilleur. Mes étudiants n¹ont pas le
sentiment que l¹année à venir sera meilleure, ils pensent que demain est
incertain. Nous croyions en la justesse de notre chemin. Aujourd¹hui, les
jeunes ont la conviction que cela s¹écroule. L¹occupation pourrit notre
société. Les violences terribles dans les territoires se déversent à
l¹intérieur de la ligne Verte. Cela est inévitable : il ne peut pas y avoir
des critères différents, des lois différentes sans que cela n¹affecte toute
notre société. Je ne recherche pas la justice absolue, seulement la fin d¹un
apartheid de facto. Je veux seulement que soit créée une société dont les
générations futures n¹auront pas honte."