Etats-Unis, les révoltés du Plan Paulson

Publié le par sceptix

Le Plan Paulson, destiné à sauver de la crise l’économie américaine, a  
été adopté dans la nuit par le Sénat. L’accord doit être encore  
approuvé, le vendredi 3 octobre, devant la Chambre des représentants.  
Mais, malgré les votes favorables d’Obama et McCain au Sénat, le  
succès n’est pas sur devant les représentants. Analyse d’une révolte  
des parlementaires, tant démocrates que républicains.

Une révolte populaire agite le congrès américain. Le rejet du Plan  
Paulsonpour le sauvetage de Wall Street le 29 Septembre dernier a des  
allures de jacquerie – qui mêle droite et gauche américaine – contre  
ce que le Prix Nobel de l’économie Joseph Stiglitz, dans un article  
pour l’hebdomadaire [1], appelait « une de ces escroqueries dont Wall  
Street est passé maître dans l’art d’en fabriquer ».

Baptisée « la maison du Peuple », la Chambre des Représentants est  
renouvelée tous les deux ans (à la différence des mandarins du Sénat,  
dont les mandats sont pour 6 ans). Une fréquence destinée, dans  
l’esprit des Pères fondateurs, à coller à l’opinion publique. Et, à  
seulement 36 jours des législatives du 4 novembre, les membres de la  
Chambre ont pu tâter de l’opinion publique quant au Plan Paulson.  
Avalanche de coups de fils, courriels et lettres furieuses. En  
moyenne, 200 mécontents pour un ravi du plan. Grosse côte. Jamais  
depuis la guerre au Vietnam, une décision gouvernementale n’avait  
provoqué une telle fronde.

LE PLAN DES RICHES DE WALL STREET

Jamais, depuis les années 1920 non plus, les familles moyennes  
américaines n’avaient eu autant de mal à joindre les deux bouts. Leurs  
salaires ne suffisent plus pas à payer leur essence et leurs soins  
médicaux, rembourser leurs cartes de crédit… Chaque jour, leurs  
maisons perdent de la valeur ; chaque jour, saisies et banqueroutes  
constituent au pire leur quotidien, au mieux leur avenir…

© Nardo
Comme l’a détaillé récemment le chroniqueur économique du New York  
Times Paul Krugman, « l’inégalité de revenus, qui s’est accrue au  
moment même où les conservateurs avaient pris le pouvoir, est à un  
niveau qu’on n’a pas vu depuis le Gilded Age. » [2] Dans ce climat, le  
plan de George W. Bush a très vite été perçu comme un cadeau de 700  
milliards de dollars (soit 5% de l’économie totale) à Wall Street, et  
destiné à sauver les riches amis du Secrétaire au Trésor Paulson, un  
ancien chef de Goldman Sachs (un des piliers de Wall Street). Le coût  
du plan, plus de 2300 dollars [3] pour chaque contribuable, a fini de  
provoquer l’ire populaire. Et le tout sans garantie que le Plan  
pourrait vraiment marcher.

Le scepticisme grandissant envers tout ce qui vient de  
l’administration Bush après tant de mensonges qui ont entraîné le pays  
dans ce que Stiglitz appelait, dans son livre récent « The Three  
Trillion Dollar War » (La guerre de trois mille milliards) en Irak, a  
fini par faire basculer une partie de l’opinion dans le camp anti-
Paulson.

Selon la célèbre maxime américaine, « All politics is local » (toute  
politique électorale est locale), les membres de la Chambre des  
Représentants ont pu prendre la mesure de cette colère des électeurs  
lorsqu’ils retournaient dans leurs circonscriptions. Et ont transmis  
leur peur d’échouer en novembre à leurs chefs.

UN ANTI-BUSHISME QUI GAGNE LE CAMP RÉPUBLICAIN

C’est pourquoi, autant que possible, les leaders des deux partis à la  
Chambre avaient donné aux membres des circonscriptions considérées  
comme « vulnérables », la permission de voter contre le Plan Paulson ;  
tandis que ceux des circonscriptions considérées comme « safe »  
étaient censés voter pour.

Ainsi, des 34 démocrates sur la liste des « vulnérables » du  
Democratic Congressional Campaign Committee (le comité chargé de la  
réélection des congressistes démocrates), 19 avaient voté contre le  
Plan Paulson. Et des 24 membres de la liste des membres de la Chambre  
venus des circonscriptions dites « marginales » du National Republican  
Congressional Committee (le comité équivalent pour le parti de Bush),  
seulement 3 avaient voté pour le plan promu par leur président.

Mais laisser les « vulnérables » voter contre le si impopulaire Plan  
de sauvetage de Wall Street a donné énormément de poids aux  
progressistes démocrates et aux conservateurs durs républicains venus  
des circonscriptions relativement « safe ».

Ainsi, aux démocrates « vulnérables » qui votaient contre, s’ajoutait  
un nombre important de progressistes dont la réélection ne faisait  
guère de doute mais qui ne voulaient pas donner « un chèque en blanc »  
à Bush et Paulson. Parmi eux, une grande majorité des membres noirs,  
tous des démocrates des circonscriptions appauvries (rejetant du même  
coup le soutien du Plan émis par Barack Obama.) Autre reflet du  
mécontentement de l’électorat démocrate avec l’escroquerie Bush-
Paulson : 3 des 4 membres démocrates de la Chambre qui sont en  
campagne cette année pour un siège au Sénat ont voté contre. Pourtant,  
dans les négociations entre les leaders des deux partis pour bricoler  
une mince majorité afin de faire passer le Plan, le Speaker de la  
Chambre Nancy Pelosi a promis de livrer 140 voix démocrates pour le  
Plan. Et elle l’a fait (avec 95 démocrates qui votaient contre).

Côté républicain, des conservateurs se sont révoltés contre le Plan  
Bush-Paulson et contre leur chef, John Boehner. Boehner n’était guère  
enthousiaste pour le Plan, qu’il appelait « sandwich de merde. » Et la  
rébellion était aiguillonnée par les animateurs conservateurs des  
talkshows à la radio qui dénonçaient le Plan comme « un pas vers le  
socialisme » et qui encourageaient leurs dizaines de millions  
d’auditeurs à protester. A la fin, deux tiers des républicains de la  
Chambre, 133 pour être exact, votaient contre le Plan Paulson, et  
seulement 65 pour. Le Plan était battu par un total de 228 voix contre  
205, car Pelosi (qui craignait la vengeance des électeurs contre ses  
troupes) rechignait à forcer un vote favorable avec les seules voix  
des démocrates majoritaires.

UN TOURNANT DE LA CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE

Et puisque l’argent est toujours roi dans la politique électorale  
américaine, il est intéressant de noter que, selon une étude publiée  
le 30 septembre par le Center for Responsive Politics [une fondation  
qui surveille le rôle du fric dans les élections], les membres de la  
Chambre qui avaient voté pour le Plan ont reçu 51% de plus de  
donations pour leurs campagnes – pour un total de 800 000 dollars –  
que ceux qui avaient voté contre.

La révolte républicaine montrait la faiblesse du candidat présidentiel  
du Parti Républicain. John McCain, qui s’était parachuté à Washington  
six jours avant ce vote prétendait « suspendre » sa campagne afin de  
faire du lobbying pour le Plan. Il menaçait de ne pas participer au  
débat télévisé avec Barack Obama du 26 Septembre, si les deux partis  
ne se mettaient pas d’accord sur un plan de sauvetage (mais il y a eu  
un revirement le jour du débat). Et se vantait d’avoir été la force  
motrice derrière le deal bipartite pour le Plan Paulson avec son  
discours à Columbus dans l’Etat de l’Ohio quelques heures avant le  
vote désastreux au Congrès. McCain ne pouvait même pas livrer un seul  
des 8 membres de la Chambre des Représentants de son Etat d’Arizona :  
ils ont tous voté contre le Plan, y compris tous les républicains.  
Ainsi, McCain apparaissait comme un « tigre de papier. »

Un sondage du Washington Post-ABC publié le 30 septembre montre que  
44% des électeurs blâment le Parti Républicain pour la défaite du Plan  
de sauvetage (contre 21% qui blâment le Parti Démocrate et 17% qui  
tiennent les deux partis pour responsables).

Et, comme l’écrivait l’excellent Howard Fineman, chef correspondent  
politique du magazine Newsweek, «  Si Obama gagne, ce sera à cause de  
la crise économique actuelle, dont le Plan de sauvetage battu est la  
touche finale et le symbole politique. »

À lire ou relire sur Bakchich.info

Le bon roi Georges et la fée Subprime
Il était une fois, dans un lointain royaume, un bon roi du nom de  
Georges. Il était puissant et respecté, et ses sujets l’aimaient. Un  
conte inédit de Charles Perrault sur la crise financière.

Touche pas à ma crise !
Si le capitalisme triomphe, c’est grâce à une technique qu’il a mis au  
point au XIXe siècle, arnaquer l’Etat et ses contribuables. La méthode  
est défendue par les experts médiatisés, qui aident la crise  
financière à passer comme une lettre à la poste. (…)
Le mauvais oeil de Lehman Brothers
La banque en faillite arrive en tête des classements 2007 de la  
profession. Chapeau les analystes ! S’ils ont raison, cela annonce des  
lendemains qui chantent dans les bourses du monde entier.
[1] The Nation->
http://www.thenation.com/doc/20081013/stiglitz

[2] Le Gilded Age, ou Age Doré, est le nom que l’écrivain Mark Twain a  
donné à la période des années 1890 où d’énormes fortunes se sont  
bâties, telles celles des Rockefeller ou des Morgan, au moment même où  
la classe ouvrière connaissait des conditions de vie exécrables.

[3] une redistribution d’argent sans précédent dans l’histoire des  
Etats-Unis


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