Un nouveau plan états-unien pour la lutte contre le narcotrafic et le terrorisme, le Plan Mexique
Le Plan Mexique ressemble à s’y méprendre au Plan Colombie [1], mis en place en 1999 pour lutter contre la guérilla et le trafic de drogue : dans les deux cas, l’aide états-unienne est quasi exclusivement militaire. On peut raisonnablement se demander si une solution peut être trouvée par le seul chemin des armes. En Colombie, il semble bien que, pour ce qui est de la lutte contre le trafic de drogues, le plan a été un échec. Pour Laura Carlsen, directrice de l’Americas Policy Program du Center for International Policy, basé à Mexico, le Plan Mexique est condamné à échouer de la même manière. Dans ce texte extrait d’une présentation plus détaillée publiée le 5 mai 2008 sur le site de l’Americas Policy Program, et mise à jour le 10 juillet, elle évoque les risques que comporte ce programme.
Le 30 juin, le Président George W. Bush a promulgué la loi sur l’« Initiative Mérida », mieux connue sous le nom de Plan Mexique, quelques jours après que le Congrès l’eut votée dans le cadre de l’augmentation des crédits pour l’Iraq. Le texte a dû subir plusieurs révisions avant d’être adopté par les deux chambres, les législateurs ayant fait la navette entre l’administration Bush et le gouvernement du Président mexicain, Felipe Calderón, sur la question des droits humains.
Dans sa version définitive, le texte a été en grande partie débarrassé des conditions peu contraignantes qui y subsistaient. Les deux administrations se sont dites satisfaites de l’accord, et le Congrès a salué une nouvelle ère de relations binationales. Mais, avec la mise à l’écart de la question des droits humains, on peut craindre une militarisation de la société mexicaine et des relations entre les deux pays, et le pouvoir sans limite conféré à des forces de sécurité déjà coupables de nombreux excès risque non pas de remédier mais d’ajouter aux violences déjà alarmantes liées au crime organisé.
L’enveloppe de l’aide prévue, de finalement 400 millions de dollars, diffère peu, dans le fond et dans l’idée, de la version initiale présentée par le Président Bush le 22 octobre dernier. Selon la proposition de ce dernier, telle qu’elle a été avalisée par la Chambre des représentants, le programme d’aide triennal au complet pourrait se chiffrer à 1,6 milliard de dollars répartis entre le Mexique, l’Amérique centrale et les Caraïbes, somme destinée à l’élaboration et à l’application de mesures de lutte contre le narcotrafic et le terrorisme, et de sécurité aux frontières.
Le Mexique et les États-Unis, qui font face à un enjeu commun – celui de réduire le crime organisé transnational –, doivent coopérer pour consolider l’État de droit et pour mettre fin au trafic de stupéfiants et d’armes à la frontière. Mais, trop pressés d’incorporer le Plan Mexique au budget supplémentaire pour l’Iraq et de prouver aux électeurs d’origine latino-américaine tout le soutien apporté au Mexique, de nombreux législateurs sont prestement passés sur les détails de la mesure. L’initiative comporte des défauts de stratégie rédhibitoires. L’approche militaire retenue contre le narcotrafic attisera la violence liée à la drogue, aggravera les atteintes aux droits humains et débouchera sur un échec.
Bien qu’on la présente comme un effort sans précédent de lutte contre le trafic de stupéfiants et contre le crime organisé au Mexique, l’« Initiative de coopération régionale dans le domaine de la sécurité » va bien plus loin que l’endiguement du commerce des drogues illicites. Elle transforme radicalement les relations entre les deux pays, elle fait des problèmes économiques et sociaux une question de sécurité, et elle militarise la société mexicaine.
À cause des révisions apportées au texte pour que la mesure puisse être votée, il faut maintenant attendre le budget du Secrétaire d’Etat pour en savoir plus sur le plan adopté. Dans la version Bush, plus de la moitié de l’enveloppe devait aller à l’armée et la police mexicaines, dont 205 millions de dollars pour les seules forces armées. Dans la version approuvée par le Congrès, l’aide militaire a été réduite à 116,5 millions cette première année, ce qui peut signifier que les États-Unis vont retarder la livraison de l’un des deux avions de patrouille en mer (50 millions de dollars chacun) et de quelques hélicoptères de surveillance (13 millions), qu’une proportion plus importante du budget sera destinée aux forces de police, ou une combinaison de ces deux possibilités.
La diminution de l’aide militaire ne changera pas grand chose en pratique. L’armée et la police ont été accusées, preuves à l’appui, d’atteintes aux droits humains, mais aucune des affaires n’a été traduite en justice. Par ailleurs, aucuns crédits ne sont affectés au traitement de la toxicomanie ni à la réduction de ses effets dans un pays comme dans l’autre, et l’énorme programme de « coopération » ne tient pas compte des graves problèmes qui existent aux États-Unis mêmes, dont l’entrée de drogues illicites, la vente et la consommation généralisées de ces substances, le trafic d’armes à la frontière et le blanchiment d’argent.
Avec ce programme d’aide, les relations binationales que les États-Unis entretiennent avec un de leurs alliés les plus proches et les plus sensibles seraient conditionnées par une politique de sécurité aux contours mal définis. Le programme prévoit une très forte augmentation de l’aide au Mexique, mais aucun argent pour remédier en dernier ressort aux problèmes de pauvreté et de développement de notre voisin du sud. Il enferme en outre la prochaine administration dans la stratégie désastreuse adoptée par le gouvernement Bush contre le terrorisme, stratégie de l’épreuve de force et de la canonnière appliquée à un pays frontalier, au moment même où la population des États-Unis exige un changement de la politique extérieure.
Les groupes de défense des droits humains actifs au Mexique et aux États-Unis n’ont aujourd’hui d’autre choix que de documenter les effets de cette politique affligeante. Ce travail devra être fait avec la plus grande participation possible des citoyens pour que, lorsqu’il sera temps de renouveler les crédits destinés au Plan Mexique, il puisse être jugé sur la foi de résultats concrets et non de considérations fantaisistes. D’autre part, le Congrès des États-Unis et celui du Mexique devront veiller à ce que la stratégie de sécurité favorisée par cette aide soit évaluée à l’aune de critères d’appréciation bien précis.
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