Lehman Brothers : le plan diabolique du Dr. Paulson, par Paul Jorion

Publié le par sceptix

Désormais, Henry Paulson « dispose exactement de ce qu’il lui faut : une participation stratégique de l’Etat partout où c’est trop gros pour tomber ou faillir. » L’abandon de Lehman était-il le préalable indispensable à l’obtention des pleins pouvoirs ?

Par Paul Jorion, 15 octobre 2008

 

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

 

Un lecteur m’envoie un courriel où je lis : « Sans doute vient-on d’éviter le pire à court terme ». Je n’en suis pas si sûr : je vois bien qu’on essaie d’endiguer la crise, je vois aussi qu’on vient de sortir la Grosse Bertha de son hangar pour signifier qu’on devient sérieux en haut-lieu, mais on est encore loin d’avoir colmaté la brèche : il est toujours question de sauvetage, de tenter de geler la progression du désastre. Les solutions viendront plus tard : quand on aura le sentiment d’avoir émergé du simple sauf qui peut.

Mais il y a progrès. D’abord, et malgré la cacophonie, il y a concertation internationale. Ensuite, on a le sentiment que Mr. Henry Paulson, Ministre américain des Finances, sait maintenant exactement ce qu’il fait. Je vous ai rapporté au fil des semaines ses hésitations, ses trois pas en avant, deux pas en arrière, sa solution Bear Stearns où l’État apporte son écot à l’achat d’une banque par une autre. Puis, sa solution Fannie & Freddie, qui fut une suite d’essais et d’erreurs, avant de se stabiliser en une nationalisation de fait. Mr. Paulson a été vilipendé pour sa non-solution Lehman Brothers, dont il a laissé le fruit blet s’écraser au sol, éclaboussant tous les spectateurs à cette occasion. Notre nouveau prix Nobel, « à la mémoire d’Alfred », n’a pas eu de mots assez durs pour cette expérience que je juge personnellement tout aussi inévitable qu’hautement salutaire. Imaginez-vous en effet que Mr. Henry Paulson, ex-P-DG de Goldman Sachs, aurait pu faire signer sans sourciller un chèque en blanc de nationalisation larvée à ses anciens confrères P-DG des neuf principaux établissements bancaires américains ? s’il n’avait pu leur dire en leur tendant la plume et la feuille à signer : « Moi mon approche préférée, vous me connaissez : c’était l’auto-régulation des marchés. C’est d’ailleurs là-dessus que je comptais dans le cas de Lehman Brothers... Oui : tout en bas de la page... »

Maintenant il dispose exactement de ce qu’il lui faut : une participation stratégique de l’Etat partout où c’est trop gros pour tomber ou faillir, des dividendes gelés, des fonds avancés à 5 % mais passant à 9 % si on tarde trop à les rembourser, des rémunérations de patrons sous haute surveillance et dés-incitation fiscale pour les entreprises de leur accorder davantage, fin des parachutes dorés, warrants permettant à l’Etat d’augmenter sa mise si nécessaire. Pas de représentants de l’Etat aux conseils d’administration comme ç’avait été pourtant le cas en 1933. Cela viendra peut-être encore. Mais avec chaque siège de la grande salle du 5e étage devenu éjectable, et la suppression des parachutes, ce ne sera peut-être pas nécessaire.

Pendant ce temps-là à la bourse : quand la finance boit, l’économie trinque. CAC 40 : - 6,82 %, Dow Jones - 7,87 %. Quant au TED, qui nous sert, je vous le rappelle, de baromètre de la confiance interbancaire, à 4,27 %, il a encore baissé de 17 points de base par rapport à hier ; à ce train-là, il aura retrouvé le niveau de confiance mirobolant du mois dernier dans 19 jours, pratiquement quatre semaines de marchés financiers. Et il se passe tant de choses ces jours-ci en dix-neuf jours.

Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).

* Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Article communiqué par Paul Jorion

 


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