Cartes de crédit : le piège du plastique

Publié le par sceptix

Après les maisons, le crédit à la consommation ? Alors que les banquiers colmatent tant bien que mal les brèches du séisme hypothécaire, une autre bulle les menace : les Américains ont vécu leurs rêves à crédit. Et, pour avoir trop fait chauffer leurs cartes, des millions de ménages auront bien du mal à rembourser...

Maria, femme de ménage dans une clinique de San Francisco, est venue au Money Mart de la rue Polk emprunter 150 dollars (110 euros) sur sa paie de fin octobre. Le taux usuraire pratiqué par cette boutique est pourtant affiché en grosses lettres sur le mur : 35,50 dollars pour 200 dollars ! Mais Maria n'a plus le choix : «Je n'ai plus de quoi acheter des couches pour mon bébé, le frigo est vide...» Cette jeune femme qui élève son fils seule a déjà explosé le plafond de ses deux cartes de crédit : «J'ai près de 6 400 euros d'arriérés alors que j'en gagne à peine 1 400 par mois.» Au début, Maria n'utilisait sa carte Bank of America que pour les dépenses exceptionnelles, comme la facture du pédiatre. Puis elle a pris l'habitude de payer l'épicerie avec... «C'était trop facile.» Aujourd'hui, elle est étranglée. Car aux Etats-Unis les cartes servent beaucoup à emprunter.

 Et tout vous pousse à ne rembourser chaque mois qu'un montant minimum.

Les Américains sont des millions à se retrouver ainsi pris au «piège du plastique». Et les experts prédisent une nouvelle déflagration. «Il s'agit en réalité d'une double bulle financière. Celle du crédit immobilier a explosé... La prochaine concernera le crédit à la consommation», prévient Robert Manning, professeur de finance au Rochester Institute of Technology, et auteur du best-seller «Credit Card Nation». Les deux problèmes sont liés : «Parce que c'était fiscalement avantageux, les Américains ont remboursé 250 milliards d'euros sur leurs cartes de crédit, avec l'argent tiré de l'immobilier, entre 2001 et 2006, explique-t-il. Pendant cette période défiant les lois de la gravité économique, le revenu réel des gens a décliné... mais le prix de l'immobilier a doublé. Ce qui a complètement faussé la perception de leur capacité d'endettement.» L'encours total sur les cartes de crédit américaines s'élève à 700 milliards d'euros. Maintenant que la maison ne peut plus servir de «machine à sous», que l'activité ralentit et que le chômage augmente, quelle proportion de cette dette de plastique se révélera toxique ? Au deuxième trimestre 2008, le taux de défaut national a bondi à 7,3%. Mais ce n'est, semble-t-il, qu'un début : selon le cabinet Innovest Strategic Value Advisors, les émetteurs de cartes devraient essuyer environ 29 milliards d'euros de pertes cette année, et encore 69 milliards en 2009.

Les grandes banques commerciales sont très exposées : à elles trois, JPMorgan Chase, Bank of America et Citigroup totalisent 330 milliards d'encours. Bank of America a annoncé, le 6 octobre, une perte de 2,1 milliards d'euros sur cette division. Quant au trésorier de Citibank, Gary Crittenden, il a expliqué que, si l'économie continuait à ralentir, «les pertes sur cartes de crédit pourraient dépasser leurs records historiques». Mais les émetteurs spécialisés, comme Capital One ou Discover, sont encore plus dépendants de cette activité (à 62% et 97,8%, respectivement). Et, là encore, il s'agit d'une bombe à fragmentation. Chez les grands émetteurs, une portion importante des créances sur cartes de crédit ont été titrisées et revendues à d'autres : fonds spéculatifs et fonds de pension. Les investisseurs détiendraient au total 260 milliards d'euros d'actifs adossés à ce type de dette.
Ces dix dernières années, sur le plastique comme sur la pierre, l'appât du gain avait occulté tout bon sens. Le crédit à la consommation étant l'une des activités bancaires les plus rentables, les banquiers ont placé des cartes à tout va. Y compris auprès de clients à haut risque. Ces créances «pourries» représenteraient un petit tiers du portefeuille total, selon le cabinet Innovest. Un ratio qui peut grimper à 45% chez les plus téméraires, comme Washington Mutual, récemment racheté par JP Morgan. Pour les consommateurs américains, il était très difficile de résister aux sirènes d'un marketing envahissant. Cadeaux, taux d'intérêt à 0% pendant un an... : rien n'était trop beau pour appâter le chaland. Bombardées de prospectus, inondées d'e-mails et harcelées d'appels marketing, les «cigales» ont signé en masse pour de nouvelles cartes. Sans, bien sûr, prêter attention aux clauses écrites en lettres microscopiques, stipulant que la banque pouvait augmenter ses taux d'intérêt de façon unilatérale. Les «bons» clients, ceux qui avaient un revenu et un score d'emprunteur corrects, se voyaient proposer de relever leur plafond d'encours. Et pourquoi pas ? S'endetter, après tout, fait partie de la culture américaine, où santé et éducation supérieure sont ruineuses. C'est une preuve d'optimisme. Presque un devoir patriotique ! Souvenez-vous de George Bush exhortant ses concitoyens à sortir et à consommer, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001... «La publicité et le marketing ont développé une culture de satisfaction instantanée des désirs , constate April Lewis-Parks, du cabinet de conseil financier Consolidated Credit, en Floride. Non seulement les parents américains ne refusent rien à leurs enfants, mais ils ne leur enseignent pas non plus à vivre selon leurs moyens.»

Soucieux d'exhiber leur réussite sociale, envieux du standing des voisins, les Américains ont confondu «désir» et «besoin». Et ils se sont payé leurs rêves... à crédit. A présent, le PIB dépend à plus de 73% de la consommation des ménages, et le taux d'épargne réel est tombé au-dessous de 1%. Du jamais-vu depuis la Grande Dépression. La surconsommation s'est installée, encouragée par une administration qui donnait le mauvais exemple (voir encadré). Gouvernements et régulateurs n'y ont rien trouvé à redire. «Depuis la fin des années 1970, les lobbies financiers ont pris le pouvoir à Washington. Ils ont poussé à la dérégulation, et bloqué tout ce qui aurait pu contraindre leur expansion», rappelle le professeur Robert Manning.
Comme des «dealers» sans scrupules, les établissements financiers ont vendu leur «came» à des populations toujours plus vulnérables : immigrés, seniors, étudiants... Exemple ? Public Interest Research Group se bat depuis des années pour stopper les tactiques «prédatrices» des banques dans les universités publiques. «Une dette excessive et coûteuse sur les cartes de crédit a aggravé les difficultés des étudiants, déjà pénalisés par l'augmentation du coût des études», a récemment témoigné cette association devant le Congrès. Les banques, qui tiennent table ouverte sur les campus, attirent les étudiants à coups de tee-shirts, frisbees, pizzas et sodas gratuits. Elles passent des accords avec les associations d'anciens élèves, et ont même signé des contrats avec plusieurs établissements, dont l'Université d'Illinois. Moyennant royalties, ces universités leur fournissent les données confidentielles sur leurs élèves...
Aujourd'hui, le retour sur terre est brutal. Non seulement les établissements financiers mettent leur marketing en sourdine, mais ils serrent la vis à leurs clients. Ils abaissent unilatéralement les limites d'emprunt, annulent les cartes non actives. Surtout, les créanciers sanctionnent sévèrement toute échéance non honorée : avec de lourdes pénalités de retard, et/ou une augmentation du taux, passant brutalement de 9% à 24%, voire 39% ! Ce qui risque d'aggraver encore le risque de défaut.
Au tribunal civil de New York, qui traite les dossiers jusqu'à 25 000 dollars (17 800 euros), les plaintes pour impayés sur cartes de crédit ont triplé depuis 2000, pour constituer presque la moitié des cas. Mandatées par les banques, les agences de recouvrement y négocient des réductions de créances. Même tendance en Floride : «Nous avons 30% d'appels supplémentaires par rapport à l'an dernier, et les gens sont plus angoissés, constate April Lewis-Parks, dont la firme conseille les surendettés. En moyenne, nos clients ont cinq cartes de crédit. Comparé à l'an dernier, le niveau moyen de leur débit a triplé, à 17 100 euros. Pour 12 à 15% d'entre eux, la faillite personnelle est la meilleure option.»
Voilà qui n'augure rien de bon pour la consommation et la croissance en 2009. «Nous n'aurons plus le choix : il faudra en passer par un programme systématique de renégociation des dettes du consommateur américain», prédit le professeur Robert Manning, qui a développé une méthode d'évaluation des capacités de remboursement. Et une fois ce choc absorbé ? «On ne pourra pas faire comme si de rien n'était. Il nous faudra réduire notre standing, réformer notre modèle de croissance.» Les «cigales» américaines seront- elles capables de reconstruire une civilisation plus frugale ? D'épargner ? D'investir dans les infrastructures, la recherche et l'éducation, plutôt que de flamber dans la consommation immédiate ?

Pas facile de repenser l'
American dream...

 

Dominique Nora
Le Nouvel Observateur  http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2294/articles/a386440-cartes_de_credit_le_piege_du_plastique.html

On a les mêmes à la maison  !
Les conséquences des crédits révolving commencent à faire des ravages !

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