La Russie n’est pas une menace

Publié le par sceptix


Il est temps pour l’UE de mettre sur pied un partenariat avec la Russie. Et de s’éloigner des Etats-Unis qui, installant leur bouclier antimissiles, ont intérêt à déstabiliser l’Europe.
Lt Général(e.r.)
En juillet dernier (1) , j’écrivais dans ces colonnes : " Est-ce l’intérêt de l’UE de favoriser cette poussée continue de l’Otan vers l’Est (Ukraine, Géorgie, etc. ? De voir les Etats-Unis déployer unilatéralement aux confins de la Russie un bouclier antimissile pour se protéger d’une menace iranienne pour le moins hypothétique ? (...) N’est-il pas temps pour les Européens de se démarquer nettement de la stratégie des Etats-Unis dans l’ouest de l’Asie ? " Je n’imaginais pas que les événements de l’été allaient illustrer à ce point les propos de cet article.
Deux rappels utiles d’abord. Au début des années1960, le monde a frôlé la guerre nucléaire quand les dirigeants de l’URSS, croyant sans doute que la doctrine Monroe, résumée par la célèbre formule "L’Amérique aux Américains" était de l’histoire ancienne, voulurent déployer des missiles nucléaires à Cuba. Les stratèges russes comprirent vite qu’ils commettaient une faute stratégique majeure et ils abandonnèrent sagement ce projet. A propos de l’ex-Yougoslavie, c’est l’ambassadeur américain R.Holbrooke, le négociateur des Accords de Dayton, qui affirmait que le démantèlement de la Yougoslavie avait été la plus grave erreur pour la sécurité en Europe commise depuis1936 avec l’acceptation par les démocraties européennes du premier coup de force de Hitler : la remilitarisation de la Rhénanie.
Aujourd’hui encore comment ne pas s’étonner que les responsables des Etats de la Communauté européenne aient accepté, que dis-je, encouragé, en1991-1992, l’éclatement de la Yougoslavie provoqué par des ultranationalistes, tous partisans bornés du concept de l’Etat ethniquement pur et tous rejetant le principe de la solidarité fédérale. La reconnaissance d’Etats qui s’étaient autoproclamés indépendants et dont les dirigeants défendaient des principes allant à l’encontre de tout ce que les responsables politiques européens essayaient de construire, fut ausi une faute stratégique majeure. La reconnaissance, cette année, de l’Etat du Kosovo - un Etat croupion qui sera un boulet pour l’UE dans les prochaines années - est l’ultime avatar de cette faute stratégique.
On ne refait pas l’Histoire et on ne peut prêter à l’UE une capacité d’appréciation et surtout de décision qu’elle n’avait pas, mais on ne peut s’empêcher de penser qu’une stratégie à long terme bien élaborée et "volontariste" aurait pu et dû maintenir un Etat yougoslave multiethnique cohérent de 25millions d’habitants en vue d’une adhésion promise à l’UE. Au lieu de cela, les stratèges européens vont maintenant s’ingénier à intégrer progressivement dans l’UE sept "petits" Etats avec... droit de veto, tout en reconstituant de facto sur de nombreux plans (humain, économique, financier, etc.) l’ancienne Yougoslavie !
En reconnaissant l’indépendance du Kosovo, la plupart des Etats européens et les Etats-Unis se sont cependant engangés sur des sables mouvants. Si dans le cas de la Slovénie, de la Croatie, de la Bosnie, etc., les frontières des nouveaux Etats coïncident avec celles des anciennes "républiques" yougoslaves du même nom - encore qu’en Bosnie, un autre boulet pour l’UE, une véritable frontière intérieure existe entre la république serbe de Bosnie et la fédération croato-musulmane - on peut dire, en ce qui concerne le Kosovo qui n’était qu’une région autonome, que la Serbie a été amputée sans son accord d’une partie de son territoire reconnu par la communauté internationale.
Les experts politiques ont beau expliquer qu’ils ont fait preuve d’une patience angélique depuis1999; que l’indépendance du Kosovo était inéluctable compte tenu de l’évolution de la situation et de la haine existant entre les communautés serbe et kosovare; que le Kosovo ne pouvait en aucun cas être considéré comme un précédent; bref, que le cas "Kosovo" était une exception; toujours est-il que beaucoup d’Etats ont perçu le danger de cette reconnaissance du Kosovo pour la stabilité de l’ordre international et n’envisagent pas de reconnaître ce nouvel Etat.
L’indépendance du Kosovo était d’ailleurs à peine proclamée que les régions séparatistes de Géorgie, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, demandaient que l’on fasse droit à leurs propres revendications. A l’époque, en mars dernier !, certains "spécialistes" excluaient cependant que la Russie reconnaisse l’indépendance de ces deux régions. Et pourtant c’est déjà chose faite, la Russie exploitant, brutalement il est vrai, une énorme bévue du président géorgien. Américains et Européens ont poussé des cris d’orfraie pour dénoncer l’agressivité de la Russie mais, on le constate déjà, cette dénonciation relève plutôt de la gesticulation politico-médiatique.
Que cela plaise ou non, la stratégie a été et est toujours le résultat de rapports de forces entre les Etats (forces humaines, économiques, financières, militaires, ressources naturelles, etc.) et les grandes puissances essaient d’imposer "leur" stratégie, au moins dans ce qu’elles estiment être leurs "zones d’intérêts". Depuis l’effondrement de l’URSS, nous voyons ce qu’est la stratégie "unilatérale" d’un Etat, les Etats-Unis, devenus la première et unique superpuissance mondiale de l’Histoire. Cette stratégie refuse l’émergence d’une puissance équivalente. Elle est basée sur une supériorité militaire absolue et sur un "contrôle" maximum des ressources énergétiques essentielles mondiales et des lignes de communication planétaires. Avec l’enlisement de la puissance militaire américaine en Irak et en Afghanistan, nous sommes peut-être à un tournant de cette stratégie et cette situation devrait quand même interpeller les responsables politiques de l’UE.
Sur le plan stratégique, les réactions russes en Géorgie, ou vis-à-vis du bouclier antimissile déployé en Pologne et en Tchéquie, ou encore face à la politique ukrainienne, sont compréhensibles. La Russie a mal vécu la fin de l’URSS et tout aussi mal vécu au cours des années1990 les "leçons" des démocraties qui espéraient sans doute pouvoir contrôler sans trop de mal ses immenses ressources énergétiques. Mais à la fin des années1990, la Russie a retrouvé un tsar (Poutine), qui mérite certes davantage le titre de despote éclairé que celui de prince de la démocratie, mais qui a décidé de rendre à la Russie un peu de son lustre impérial en appliquant à la lettre la stratégie suivie par... les Etats - Unis depuis de longues années. Elle peut se résumer par :
1°La Russie et son environnement aux Russes ou à ses alliés.
2°La maîtrise et l’exploitation de ses ressources énergétiques.
3°Une puissance nucléaire intacte et en... développement permanent.
Cette Russie (150millions d’habitants) connaît cependant d’énormes problèmes démographiques, de santé publique et de développement économique et social. La Russie n’est donc pas une "menace" pour l’UE (500millions d’habitants) et il est difficile de comprendre pourquoi certains voudraient reprendre le sentier de la guerre... froide contre la Russie et déstabiliser ainsi notre continent.
L’objectif stratégique de l’UE dans les prochaines années devrait être de mettre sur pied un partenariat équilibré avec une Russie qui a besoin de l’UE pour son propre développement et pour vendre ses ressources énergétiques, à charge pour l’UE d’éviter une dépendance trop grande de celles-ci. C’est la meilleure façon de garantir la stabilité en Europe.
Pour cela, les Etats européens de l’Otan devraient aussi s’opposer fermement à l’extension de l’Otan à l’Est des frontières actuelles de l’UE comme ils auraient dû s’opposer au déploiement du bouclier antimissile américain en Pologne et en Tchéquie. L’Otan qui a joué un rôle précis de1949 à1989 face à l’URSS et son idéologie communiste, n’a pas vocation aujourd’hui à jouer dans la stratégie américaine des bases militaires extérieures en vue d’assurer la suprématie mondiale des Etats-Unis.
Sur le plan stratégique, il est en tout cas surprenant d’entendre le secrétaire général de l’Otan, un Européen de surcroît, déclarer que les portes de l’Otan sont grandes ouvertes pour la Géorgie. C’est de la provocation gratuite et inutile vis-à-vis de la Russie. Car demain, l’UE devra œuvrer avec beaucoup de diplomatie - être une vraie smartpower - vis-à-vis de l’Ukraine. Il ne fait guère de doute que la Crimée, rattachée naguère à l’Ukraine mais peuplée majoritairement de Russes, ne se séparera pas brutalement de la "mère patrie" russe. L’UE ne devrait-elle pas d’abord encourager la Géorgie, l’Ukraine et la Russie à vivre en "bons voisins" comme les Européens, avant de faire miroiter à la Géorgie ou à l’Ukraine des perspectives européennes peu réalistes en ce moment.
Avec l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, les Russes ont créé deux "Kosovo" supplémentaires. Les démocraties occidentales sont cependant bien mal placées pour faire la leçon aux Russes car du Kosovo à l’Ossétie du Sud, c’est l’histoire de la paille et de la poutre qui se répète.
(1) L’intérêt de l’Europe est-il celui des USA ? "La Libre" du 30 juillet.
Titre et sous-titre sont de la rédaction

 

Francis BRIQUEMONT http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/461312/la-russie-n-est-pas-une-menace.html


Publié dans OTAN-défense - ONU

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E
Bonjour Charlotte<br /> C'est exactement l'analyse que je faisais déjà en juin-juillet, dans mes différents blogs ! Deux temps : s'éloigner des USA, se rapprocher de la Russie. Quand nous serons + nombreux à le demander, peut-être qu'on nous écoutera ! Je me souviens de ma conclusion , qq chose comme ensemble, ou broyés l'un contre l'autre, car les US veulent une guerre par PROCURATION...bises eva 
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