l'Europe accuse la Pologne et la Roumanie d'avoir abrité des prisons secrètes de la CIA
La Pologne et la Roumanie ont abrité des centres secrets de détention, gérés par la CIA, entre 2002 et 2005. Ce qui, en juin 2006, n'était encore qu'un soupçon est devenu, un an plus tard, une accusation solidement étayée par Dick Marty, rapporteur du Conseil de l'Europe sur les détentions secrètes et les transferts illégaux de détenus. Dans l'exposé des motifs de son projet de rapport, qui devait être rendu public vendredi 8 juin, M. Marty assure que "les plus hautes autorités" de ces deux pays étaient "au courant des activités illégales de la CIA sur leur territoire".
En Pologne, il accuse Aleksander Kwasniewski, l'ancien président, Marek Siwiec, eurodéputé membre du groupe socialiste, alors chef du bureau de la sécurité nationale, Jerzy Szmajdzinski, alors ministre de la défense nationale, et Marek Dukaczewski, ancien chef du renseignement militaire.
En Roumanie, il met en cause l'ancien président, Ion Iliescu, en poste jusqu'au 20 décembre 2004, et l'actuel président, Traian Basescu, ainsi que Ioan Talpes, alors conseiller présidentiel pour la sécurité nationale, Oran Mircea Pascu, ancien ministre de la défense, et Sergiu Tudor Medar, ancien chef de la direction du renseignement militaire.
M. Marty, qui, en juin 2006, avait décrit la "toile d'araignée de détentions secrètes et de transferts illégaux" tissée par les Etats-Unis, avec la collaboration de "seize Etats du Conseil de l'Europe" depuis le 11 septembre 2001, rappelle que "le 6 septembre 2006, le président Bush a décidé de révéler l'existence du programme secret mis en oeuvre par la CIA pour arrêter, détenir et interroger hors du territoire des Etats-Unis des personnes soupçonnées de terrorisme".
Le sénateur libéral suisse explique que, "le 17 septembre 2001, soit le dimanche qui a suivi les attaques du 11-Septembre, le président Bush a signé un décret présidentiel secret" qui accordait à la CIA "des permissions et des protections aussi larges que possible" pour mener des opérations secrètes visant une catégorie particulière de suspects de terrorisme, les "cibles de grande importance". "Leur profil était celui d'orchestrateurs, de planificateurs, d'opérateurs d'élite et de pourvoyeurs logistiques de certains complots terroristes les plus dévastateurs attribués à Al-Qaida", assure M. Marty.
La CIA "excluant tout partage d'informations" avec d'autres services comme le FBI ou l'armée, l'administration Bush a eu l'idée de créer des "sites noirs", dans "diverses parties du monde", où l'Agence pourrait être le "geôlier exclusif" des prisonniers qu'elle voudrait interroger, en faisant usage de la force.
M. Marty n'exclut pas que "l'île de Diego Garcia, sous la responsabilité internationale du Royaume-Uni, et la Thaïlande" aient accueilli de tels sites. Il assure que la base aérienne de Szymany, en Pologne, et celle de Stare-Kiejkuty, en Roumanie, l'ont fait. C'est à Szymany que Khaled Cheikh Mohammed, le cerveau des attaques du 11-Septembre, capturé au Pakistan, a été détenu et interrogé. En Roumanie ont été transférés "des agents de chefs talibans" puis "les chefs des branches des réseaux de soutien aux insurgés en Irak".
Les centres de détention ont été gérés par la CIA, les services de renseignement militaire polonais et roumain ayant eu pour seule fonction d'assurer la sécurité du périmètre. M. Marty affirme que l'OTAN est "la plate-forme à partir de laquelle les Etats-Unis ont obtenu les permissions et protections essentielles dont ils avaient besoin pour les actions secrètes de la CIA". Le 4 octobre 2001, les 18 alliés de l'OTAN - dont faisait partie la Pologne - et ses neuf "aspirants" - dont faisait partie la Roumanie - décidaient, officiellement, d'accorder aux Etats-Unis des "autorisations de survol générales" pour les "vols militaires liés à des opérations contre le terrorisme" et de leur assurer "l'accès aux aérodromes". En fait, des clauses "secrètes" permettaient d'accorder ces autorisations aux avions exploités par la CIA.
"Ces autorisations ont servi de plate-forme pour des accords bilatéraux, eux aussi secrets", qui ont notamment permis de créer des "sites noirs", affirme M. Marty. "La Pologne et la Roumanie ont accepté de doter les installations de ces sites des formes les plus avancées de sécurité et de secret, et elles ont donné des garanties absolues de non-ingérence", écrit-il.
Il estime que ces deux pays ont été choisis parce qu'ils étaient "économiquement vulnérables", qu'ils "dépendaient du soutien américain pour leur développement stratégique", et qu'ils étaient "vraiment pro-occidentaux". Il déplore l'attitude des autorités roumaines, qui ont tenté de lui "dissimuler" des informations sur les vols, ainsi que celles des autorités polonaises, qui les lui ont refusées.
Les noms de 39 personnes qui ont vraisemblablement été détenues dans les "sites noirs", les prisons secrètes de la CIA, mais qui n'ont donné aucun signe de vie, alors que le gouvernement américain affirme que ces prisons sont vides, ont été publiés, jeudi 6 juin, par six organisations de défense des droits de l'homme dont Human Rights Watch et Amnesty international. D'après ce rapport, des parents de personnes emprisonnées, dont des enfants parfois âgés de seulement 7 ans, ont également été détenus en secret. Il cite l'exemple de Khaled Cheikh Mohammed, considéré comme le "cerveau" des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, dont les enfants âgés de 7 et 9 ans ont été arrêtés en septembre 2002. Les 39 personnes sont originaires d'Egypte, du Kenya, de Libye, du Maroc, du Pakistan et d'Espagne. L'existence des prisons secrètes a été reconnue en 2006 par le président américain George Bush. Mais l'administration avait précisé qu'après le transfert de 14 détenus soupçonnés d'être des membres importants d'Al-Qaida vers Guantanamo (Cuba), la CIA ne détenait plus de prisonniers. Deux enquêtes, en 2005, ont par ailleurs montré qu'une vingtaine de pays avaient coopéré au programme. - (AFP.)