Association pour une Constituante un peu de philo : individualisme et société ???
Mais si , un peu de philo ne vous fera pas plus de mal que les quintaux de cette nourriture si riche et pourtant si délicieuse que vous avez ingurgitée afin de vous détourner des problèmes de la crise qui avance à grands pas et qui détruit tout sur son passage, surtout les frigos et leurs contenus.
C'est vrai, il m'arrive d'être iconoclaste ...de vieilles réminiscences libertaires dont on ne se défait pas si facilement que ça, vous le savez bien ("hypocrite lecteur , mon semblable, mon frère " dirait Baudelaire dans la préface de ses "fleurs du Mal")
André Bellon nous a offert cet essai, je le livre tel quel à votre critique acerbe et à vos sens encore avinés.
Bonne année.
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Sujet : Association pour une Constituante
Association pour une Constituante
Individualisme et société - Gilles Poulet
Avec l’aimable autorisation de notre ami Gilles, un texte qui ouvre plusieurs perspectives de réflexion, et pourrait permettre d’avancer sur le chemin d’une nouvelle philosophie politique digne des enjeux contemporains, et notamment celui d’une Constituante. jmr
Individualisme et Société
L’homme vi t en société laquelle est composée d’individus et il sera intéressant de tenter de comprendre pourquoi il est des penseurs qui stigmatisent l’individualisme et d’autres qui au contraire en font l’alpha et l’oméga de toute existence mûrement réfléchie. Il sera intéressant de chercher à savoir si l’individualisme compromet radicalement le « bien public » ou si, au contraire, il est l’ultime rempart contre la dégradation à la « Big Brother » à l’œuvre dans nos sociétés modernes.
L’individualisme et la philosophie
La philosophie occidentale, au contraire de la philosophie orientale, est toute entière dominée par le thème de l’universel qui se traduit sur le plan humain par l’éthique collectiviste : peuple juif, cités grecques, ecclésia chrétienne, appartenance à Dieu à travers la communauté des croyants pour l’Islam, dictature du prolétariat etc. Cette tendance est née vers l’an 1000 av. JC avec le mythe de Moïse faisant sortir d’Égypte une bande de bergers nomades élevé et constitué en tant que Peuple, élu de surcroit; ainsi naquit l’idée nationale où l’individu se doit de s’effacer devant l’in térêt commun. Contemporaine approximative du Pentateuque, l’œuvre d’Homère, décrit le même phénomène en narrant la mobilisation du peuple grec contre Troyes, autour d’Agamemnon, roi des rois, pour venger l’honneur bafoué du féal roitelet Ménélas. On a dit souvent, et selon nous à tort, que les philosophes du 18ème siècle avaient libéré les hommes de l’assujettissement à l’État, de fait, ils ont plutôt discouru sur l’État que contre lui, simplement il s’agissait de jeter bas le despotisme, la tyrannie et, accessoirement l’influence de la religion pour créer l’État moderne. De Montesquieu aux théoriciens de la Révolution française, de Hegel à Marx et de Marx aux théoriciens du libéralisme/capitalisme/productivisme, voire à la social-démocratie contemporaine, la tendance à l’anéantissement de l’individu dans l’universel est la préoccupation constante. Seules changent les motivations ce qui change à la fois l’économie et l’écologie des systèmes mis en place, mais rien de plus !
En face de ce consensus aux allures d’universel, du moins pour le monde occidental, s’élèvent quelques philosophes emblématiques tels que Kierkegaard, Max Stirner et Nietzsche. Pour le premier, la vie réelle est une succession de choix individuels et non la déduction des conduites à partir d’un choix unique et définitif que proposerait, pour le dire vite, la société et ses prétendues valeurs universelles. Pour lui, l’éthique commence par une négation de ses valeurs « imposées » et il pose alors le problème de la vocation et de la destinée du Moi. Mais pour éviter de tomber dans d’autres dogmatismes il conseille la méfiance et prône l’irrespect comme démarche systématique fondamentale. Pour lui : « L’Individu comme tel est au-dessus du général… », Voilà ! Et cette suprématie de l’Individu, Kierkegaard l’appuie sur sa foi en l’absurde – ô Camus ! bien avant toi -, sur l’angoisse humaine et un certain « Traité du désespoir ».
Max Stirner veut, quant à lui, délivrer le Moi des causes supérieures qui l’ont fait disparaître : depuis la soumission à la Nature des Grecs à la servitude à Dieu des chrétiens, jusqu’à la soumission à l’État, à la Loi et à l’Humanité défendue par l’idéologie hégélienne ; d’où découlent, d’ailleurs, le matérialisme historique et le socialisme. Après la révolution métaphysique de Descartes qui privilégia le je20pense par rapport au Monde, Max Stirner et Kierkegaard opérèrent la révolution dans le domaine de l’éthique en affirmant le primat du je suis par rapport à l’Être – qu’on l’appelle Dieu ou bien État ou bien Droit, car l’éthique collectiviste fait de l’individu un particulier et non un Unique.
C’est sans doute Nietzsche qui a donné à l’individualisme ses lettres de noblesse philosophique. Disons, avant de poursuivre et pour que les choses soient claires, que nous n’adhérons pas aux contre-sens que nombre de critiques font à propos de Nietzsche, contre-sens qu’ils fondent sur le mésusage que les nazis et d’autres firent de ses théories du surhomme et de la volonté de puissance alors qu’il fut vent debout contre « l’ère de la malhonnêteté » et la « culture des Philistins », contre la société allemande et la bureaucratie prussienne de son temps. Dans les ouvrages fondamentaux que sont « Ainsi parlait Zarathoustra » et « Par delà le bien et le mal », après avoir proclamé « Dieu est mort » il dit aussi : « L’État est le plus froid des monstres froids : il ment froidement, et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi l’État je suis le Peuple » et ailleurs : « Partout ou il y a encore le Peuple, il ne co mprend pas l’État… ». Dans ses livres, Nietzsche développe une philosophie de l’homme qui aime la vie pour la vie et se construit contre les « hommes supérieurs » ou qui se croient tels (Onfray appelle cela la sculpture de soi), rien de sulfureux au final sinon pour les spécialistes de l’asservissement ; mais où il le devient vraiment sulfureux, c’est quand il prend souverainement congé du bien et du mal selon l’homme et propose une vie de réalisation de soi courageuse, faite de création et de jouissance dans une solitude déconnectée de toute attention à l’Autre : « Voici mon aube matinale, ma journée commence, lève-toi donc, lève-toi, Ô grand midi ! ». Ainsi parlait Zarathoustra.
L’individualisme, la sociologie, la politique
Le terme « individualisme » désigne aujourd’hui les doctrines qui accordent à l’individu une valeur intrinsèquement supérieure à toute autre, et ce, dans tous les domaines, éthique, politique, économique, où priment toujours les droits et les responsabilités de ce dernier. La théorisation des juristes anglais du 17ème siècle a établi les lois qui garantissent aux personnes la protection et la garantie (habeas corpus) ainsi que celles de leurs biens par l’État. C’est, pour les économistes, l’idéalisation de la propriété individuelle qui justifie l’accumulation capitaliste impliquant l’individualisme possessif. Cette évolution s’appuie sur le « jus naturalis » ou doctrine du droit naturel qui édicte que l’homme est l’unique fondement du droit et le place ainsi au centre du système normatif assurant l’ordre et la stabilité de sa propre condition et souligne au passage, non une quelconque référence à l’humanité, mais bel et bien au sujet pensé comme un JE singulier et individualisé ; la liberté de chacun devenant opposable à l’État. (Confer la Constitution des E-U, ses amendements et plus généralement le droit anglo-saxon). Énoncer cela c’est admettre que pour que ça fonctionne, il faut un consensus minimum sur la portée de ce droit et donc qu’il faut où et comment l’élaborer, comment trancher les différents et comment le faire appliquer. Voilà que se pose alors le problème de la Politis et donc celle de l’organisation de la cité. Le grand républicain que fut Georges CLEMENCEAU a pu écrire ceci : « Notre idéal à nous, magnifier l’homme, la réalité plutôt que le rêve […] Nous mettons notre idéal dans la beaut de l’individualisme, dans la splendeur de l’épanouissement de l’individu au sein d’une société qui ne le règle que pour le mieux développer. »
Les sociologues et les économistes ont eux aussi réfléchi sur l’individualisme et, par exemple, on doit a SCHUMPETER l’établissement de la distinction en deux catégories : 1° l’individualisme politique/sociologique et 2° l’individualisme méthodologique.
L’individualisme méthodologique repose sur l’idée selon laquelle les ensembles sociaux sont des constructions métaphoriques purement humaines et n’ont de réalité que celle des individus qui les composent. Leur prêter certains attributs des individus (des motivations, une volonté, une possibilité d’action autonome une certaine rationalité) est donc un abus de langage. On en veut pour preuve les travaux de BOUDON qui montre, en analysant les paniques boursières, qu’elles constituent un exemple typique d’irrationalité produisant des effets pervers contre productifs car quand un grand nombre d’individus, par crainte d’une baisse des cours, vendent leurs actifs, ils provoquent en fait ce qu’ils craignaient c’est à dire une chute du prix des actions.
Au sens large, on peut caractériser l’individualisme méthodologique par trois propositions qui postulent que :
1. seuls les individus ont des buts et des intérêts (Popper)
2. le système social, et ses changements, résultent de l’action des individus
3. tous les phénomènes socio-économiques sont explicables utilement dans les termes de théories qui se réfèrent seulement aux individus, à leurs dispositions, croyances, ressources et relations.
Alors se pose la question : peut-on déduire la société de l’individu et ainsi prédire la société à partir de l’individu ? Dans une telle hypothèse, l’individu serait l’effet de la structure sociale qui déploierait un système de significations collectives – l’inconscient collectif ? - constituant les agents sociaux dans leur être, gouvernant leur conduite, organisant leur imaginaire. À l’individu qui est à lui-même son propre principe, on opposera alors l’homme social que Michel FOUCAULT dit « enchaîné par une modernité qui n’a déployé ses différences que pour mieux l’assujettir ». Car dorénavant l’individu est défini, non comme citoyen mais en termes de masse : masses laborieuses et masses démocratiques dans la pensée socialiste, masse de consommateurs dans l’univers capitaliste et de la technologie, mas ses exploitées et démunies dans le Tiers-Monde, enfin masses accédant à la société de consommation dans les pays dits émergents. Masses soigneusement chloroformées par… les mass media et la publicité, ce cancer moderne digne du décervelage cher au Père Ubu.
Mais cela ne peut empêcher qu’à l’usage l’individu découvre qu’il n’y a pas de paradis collectif – sinon quid du chômage, de la pauvreté, de la crise du logement etc.? – et que si l’Eden existe, alors c’est Mon Eden à Moi, pour Moi, façonné par Moi, en une destinée qui est Mienne, opposée à et menacée par celle des Autres, limitée aux frontières du monde sensible et dont le point final sera Ma mort. Narcissisme radical et qui, croyons- nous, ronge nos sociétés « ensuquée » dans la consommation de masse et la négation des solidarités autres que « tribales » : famille, communautés et groupes d’intérêt spécialisés, bandes à forte identité spécifique où l’on voit se déployer des microstructures à périmètre obsidional.
Pour revenir à notre question dont cette longue digression nous a éloignés, nous posons le constat que l’individu ne peut être annulé au profit de la société non plus que l’inverse, le jeu des=2 0interactions et du feed-back les intrique radicalement et si toute analyse doit partir de la structure d’ensemble pour comprendre la forme de ses différentes composantes, c’est qu’elles justifient ou expliquent à leur tour la forme de la structure, (on est toujours responsables de qui on installe au pouvoir quand on dispose du droit de vote ; on peut aussi toujours choisir son niveau de consommation, on peut laisser se créer des zones de non-droit, mais on ne peut s’en laver les mains). Avoir transformé au cours de la seconde moitié du 20ème siècle le citoyen éclairé et responsable en consommateur compulsif narcissique explique bien des choses, bien des déboires et bien des malaises contemporains.
L’individu n’existe que divisé dit le philosophe ; oui mais l’appartenance au groupe le met en rapport avec l’ordre symbolique et la culture du temps, répond le sociologue ; et puis, ajoute le structuraliste Claude LEVI-STRAUSS : « La santé de l’esprit individuel implique la participation à la vie sociale.»
La santé de l’esprit individuel implique la participation à la vie sociale.
Nous allons tenter d’observer dans quelle mesure la montée de l’individualisme apporte des effets négatifs sur l’action collective en gén ral.
1. Faiblesse de l’engagement politique militant.
2. Faiblesse aussi de l’engagement syndical militant.
3. Le lien social qui est acceptation/soumission aux lois et normes en vigueur se délite à proportion de la montée en puissance de l’individualisme narcissique
Ces constats donnent à réfléchir et posent la question « Pourquoi ? ». Beaucoup de gens se sentent trahis, bafoués, sacrifiés, victimes et exploités. L’action collective est empêchée par la précarité, par un chômage devenu variable d’ajustement du marché du travail et des syndicats arc-boutés sur la défense de l’acquis et non sur la prospective et sur les emplois du futur. Partout manque une perspective dynamique et les moyens pour en faire la réalité. (Confer les budgets de recherches, la démolition de l’éducation nationale, la paresse des pouvoirs publics pour régler le problème du logement, etc.) Les syndicats souffrent aussi de ce qu’un modèle, dit d’OLSON, décrit ainsi : chacun essaye de tirer tous les bénéfices de l’action collective sans y participer physiquement, en fait, chacun se comporte en « passager clandestin » (free rider en américain) ; c’est ainsi qu’on a pu dire que les salariés du privé faisaient grève par procuration quand les foncti onnaires la font. C’était encore valable naguère, ça l’est bien moins maintenant, on l’a vu dernièrement. Un autre signe qui ne trompe pas est la disparition progressive des cultures d’entreprise qui liaient les employés à la fois par des fiertés et des solidarités, quelque chose comme un « patriotisme d’entreprise ». Enfin, la déliquescence de la cellule familiale due autant à l’évolution des mœurs qu’à la précarité, au chômage et au désespoir jette dans le tourbillon de l’angoisse nombre de jeunes et moins jeunes. Comment ne pas comprendre le repli sur soi ? Mais comment aussi redonner le goût du collectif ?
Il ne faudrait pas, pour autant jeter l’opprobre sur l’individualisme sans lui reconnaître ces vertus émancipatrices qui furent à l’œuvre tout au long du siècle dernier et a permis des avancées déterminantes dans les mœurs et dans le champ des revendications collectives ; c’est certes un paradoxe, mais on ne peut le nier. L’individualisme fut et est encore un bon outil de prise de conscience dans le combat contre les discriminations et les exclusions car il engendre une prise de conscience qui porte au combat. La conscience éclairée du Moi comme partie d’un tout peut ainsi créer ou recréer du lien social.
Conclusion
Le concept de l’individu autonome semble être une fiction dans la mesure où il est bien difficile à l’homme de vivre coupé de ses semblables, il ne peut qu’être partie prenante de la société dans laquelle il vit et son intérêt bien compris est de la modeler pour son plus grand bien dans un système où il partage ce plus grand bien avec ces concitoyens et en accepte les limitations, sauf à continuer de voir se développer la société des égoïsmes et des égoïstes. La fiction de l’individu autonome de même que la fameuse main invisible du marché fondent et inspirent les politiques néolibérales conservatrices en plein développement aujourd’hui. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’elles sont dures à l’individu justement. Tout semble devoir être réinventé, les politiques pseudos socialistes ayant échoué et la Chine démontrant à l’envi que le libéralisme est soluble dans le communisme dévoyé comme il l’est dans les tyrannies modernes (Confer les expériences chiliennes ou argentines).
Gilles Poulet
Association pour une Constituante
feltrinf@aol.com