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NOS VIES, SUR INTERNET, A PERPÈTE…

Publié le par sceptix

Exercice à faire : allez sur 123people.com et sur CVgadget.com, saisissez vos noms et prénoms, regardez ce qui sort et demandez vous si c’est l’image que vous voulez donner de vous même. Si ce n’est pas le cas, va falloir songer à une stratégie de “nettoyage de cyber-réputation” :-)

[Yves Eudes - Le Monde - 02/04/2009]

A 31 ans, Fanny est déjà passée par une dizaine d’entreprises, dans le journalisme, la communication, le marketing. Comme beaucoup de semi-précaires, elle laisse son profil affiché en permanence sur les sites Internet d’emploi et les plates-formes communautaires professionnelles comme Linked-In ou Viadeo. Par ailleurs, Fanny utilise Internet pour son plaisir : elle fréquente le site de rencontres Meetic, a un profil Facebook et une page sur MySpace. Elle est aussi l’auteur d’un blog personnel qui porte son nom, où elle publie des textes humoristiques, décalés ou provocateurs.

En septembre 2008, à l’issue d’un stage de formation, Fanny commence une nouvelle période d’essai dans une agence de communication parisienne. Elle est alors contactée par la petite agence de recrutement Elaee, qui lui propose un autre poste. Elle se prépare pour un nouvel entretien d’embauche - elle a l’habitude. Mais elle a oublié un détail. Sur le CV en ligne envoyé à Elaee, elle avait placé un lien vers son blog : “Au départ, il était plutôt orienté pro, je voulais montrer que je savais rédiger un article. Puis j’ai trouvé un job, et mon blog est devenu de plus en plus perso, je racontais ma vie, mes états d’âme, je faisais de l’humour.”

Informée de l’existence du blog, la patronne de la société qui souhaitait l’embaucher va y faire un tour. Là, elle tombe sur un texte dans lequel Fanny explique sur un ton ironique qu’elle se sent très flemmarde. Troublée, la patronne décide de téléphoner à la candidate : “Elle m’a posé des tas de questions sur mon ego, se souvient Fanny, je ne voyais pas où elle voulait en venir.” Quelques jours plus tard, Fanny est informée par l’agence que sa candidature est rejetée. Avec le recul, elle reconnaît son erreur : “J’ai été prise de court. Si j’avais eu plus de temps, j’aurais effacé certains textes de mon blog, et je lui aurais donné une allure sérieuse, motivée et tout.”

Echaudée, Fanny fait une recherche sur elle-même, en tapant son nom dans des moteurs de recherche : “Il y a quelque temps, j’avais participé à une opération de charité sur un site humanitaire. Pour inciter les gens à envoyer de l’argent tout en les faisant rigoler, j’avais écrit que pour un don de 200 euros, je montrerais mes seins. Quand j’ai tapé mon nom dans Google, c’est ce texte qui s’est affiché en haut de la première page. J’étais horrifiée. J’ai réussi à le faire effacer.”

Cela dit, Fanny sait qu’elle n’est pas entièrement innocente : “Les blogueurs ont un peu une posture de stars. On s’exprime sur toutes sortes de sujets, on soutient des causes, on se fait prendre en photo pendant des soirées un peu chaudes, ça laisse des traces.” Depuis, elle a été embauchée dans une autre société de communication, sans renoncer à son blog.

La responsable d’Elaee, Claire Romanet, chasseuse de têtes spécialisée dans le marketing et la communication, estime que Fanny n’aurait jamais dû être pénalisée pour sa liberté de ton. Mais elle considère que cette nouvelle transparence imposée par Internet est un fait acquis : “Mon métier consiste à minimiser les risques pour les entreprises. Dans cette affaire, la patronne savait que ses clients font des recherches pour en savoir plus sur elle et ses employés, c’est entré dans les moeurs. Elle craignait que si l’un d’eux tombait sur ce blog, il en déduirait que sa boîte était remplie de feignasses.”

Claire Romanet passe beaucoup de temps sur Internet. Elle publie un blog sur l’actualité de son secteur, répond aux candidats, passe des annonces, consulte les sites spécialisés, entretient ses réseaux. Elle s’en sert aussi parfois pour en savoir plus sur ses candidats : “Si le CV n’est pas clair, mon premier geste est de taper le nom sur Google.” Le moteur de recherche livre en vrac toutes les traces laissées sur Internet. La chasseuse de têtes peut aussi utiliser les nouveaux sites “agrégateurs”, comme 123People.com ou CVGadget.com, qui cherchent des données sur une personne dans tous les recoins de l’Internet et les réunissent sur une même page, bien rangées et bien présentées : photos, vidéos, courriels, téléphones, profils sur réseaux sociaux, blogs, forums, messageries, mentions dans des dépêches d’agence et articles de presse…

Claire Romanet estime qu’elle n’a pas le choix : “Selon les statistiques de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), près de 70 % des CV circulant en France sont bidonnés ou embellis. Par recoupements, je peux constater qu’un candidat a publié sur Internet plusieurs CV contradictoires. Je peux aussi combler un trou dans un CV : j’ai découvert qu’un candidat avait enchaîné quatre périodes d’essai dans quatre boîtes différentes, dont aucune n’avait débouché sur une embauche, et qu’il n’en avait pas parlé dans son CV.” Si un cadre affirme avoir participé à de nombreuses conférences et conventions, on peut vérifier ses dires en consultant les sites de ces événements.

Officiellement, les chasseurs de têtes font la différence entre les recherches sur la vie professionnelle d’un candidat et les intrusions dans sa vie privée, qui seraient contraires à leur déontologie. L’association A compétence égale (ACE), qui rassemble une quarantaine de cabinets de recrutement engagés dans la lutte contre la discrimination à l’embauche, ne s’est pas encore saisie de ce problème, mais les discussions informelles se multiplient en son sein.

Jacques Froissant, membre de cette association et patron du cabinet de chasseurs de têtes Altaïde, spécialisé dans les nouvelles technologies, se considère comme un pionnier du “recrutement 2.0″ : sur la centaine de cadres qu’il a fait recruter en 2008, près de soixante ont été repérés sur des réseaux sociaux.

Malgré ses principes déontologiques, il reconnaît que la frontière entre vie privée et vie professionnelle est de plus en plus floue : “Comme je suis très connecté, il m’arrive d’apprendre des choses sur la vie d’une personne. Ensuite c’est difficile de faire comme si je ne savais pas.” Or, certains candidats mélangent tout : “Une cadre quadragénaire avait affiché sur un CV une photo d’elle en maillot de bain. Elle était belle, mais cette confusion des genres n’est pas heureuse. Lors de mes séminaires, je conseille aux candidats de tourner leur souris sept fois dans leur main avant de cliquer pour publier quelque chose, ou pour accepter un nouvel ami sur Facebook, qui peut s’avérer compromettant.”

Des cadres de différents secteurs estiment avoir été victimes d’une discrimination à l’embauche après avoir exprimé leurs opinions politiques sur Internet. Certains ont voulu contre-attaquer, en faisant connaître leur histoire.

Ronald, informaticien au chômage et par ailleurs militant de gauche, avait publié pendant la campagne présidentielle un texte sur le blog de Lionel Jospin, qui avait pris la peine de lui répondre. Pour les moteurs de recherche, son nom est désormais associé à celui d’une célébrité : “Sur Google, cet échange de messages s’affichait en premier. D’un seul coup, les offres d’emploi se sont faites rares. Un jour, un recruteur m’a dit franchement que cette affaire nuisait à ma candidature, car le militantisme déclenchait des tas de questions chez certains patrons. Encore récemment, lors d’un entretien d’embauche dans une grande entreprise, le type des ressources humaines a pris les devants, il m’a parlé de mon engagement politique” - sans préciser si cela lui posait problème.

Depuis, d’autres cas sont apparus : en 2008, une agence de recrutement avait présélectionné un jeune graphiste, pour un entretien d’embauche dans une société de marketing. Il avait publié sur différents blogs des textes politiques, très engagés à l’extrême gauche. L’entreprise n’a pas donné suite à sa candidature.

Confrontés à ces pratiques, des jeunes cadres s’insurgent, mais leur indignation est souvent ambiguë. Pauline, 28 ans, travaille depuis deux ans dans une association professionnelle liée à la grande distribution. Pendant son temps libre, elle fréquente beaucoup Facebook. Elle tient aussi un journal intime sur un blog, protégé par un pseudonyme, mais rempli d’informations sur sa vie privée. Or, récemment, une collègue lui a confié qu’avant son embauche, leur patron lui avait demandé de faire une recherche sur son nom. “Elle avait même découvert des trucs anciens, que j’avais oubliés : que j’avais participé à un concours de danse dans ma ville natale quand j’avais 14 ans, que j’étais allée à une manif quand j’étais étudiante… Je me suis sentie presque violée, ça m’a choquée, j’en ai vraiment voulu à mon patron.”

Pauline décide alors de se désinscrire de Facebook : “Je me suis renseignée sur la marche à suivre, mais au moment de passer à l’acte, je n’ai pas pu. Facebook est trop génial, j’aurais du mal à m’en passer.” Elle a quand même fait le tri dans ses photos et limité l’accès à son profil. Pourtant, quand on lui demande quelle sera son attitude le jour où elle devra recruter un assistant, le ton change : “Je ferai peut-être une recherche pour en savoir plus sur la personnalité des candidats. Quand on travaille dans une petite structure comme la nôtre, le relationnel est essentiel.”

Les chefs d’entreprise s’adaptent à cette nouvelle donne, plus ou moins vite. Patrick Bensabat est le PDG de la SSII Business & Décision, qui compte plus de 3 000 salariés. Pour faire face à la forte croissance de sa société, il embauche en moyenne 400 à 500 personnes par an. De temps à autre, il consulte les grands sites professionnels, pour se tenir au courant du marché de l’emploi. Il y fait parfois des découvertes désagréables : “Quand je tombe sur le CV d’un de mes salariés qui se déclare disponible, ça me dérange. Je le signale à son chef direct, qui ira lui demander des explications. S’il est malheureux chez nous, mieux vaut en discuter tout de suite.” Le plus souvent, l’intéressé répond qu’il a agi par curiosité, pour connaître sa valeur sur le marché. Mais parfois, c’est plus compliqué : “Le salarié sait que nous allons repérer son CV, et que nous allons lui en parler. C’est un jeu subtil, il m’envoie un message indirect, pour que je m’intéresse à lui.”

Patrick Bensabat fait aussi des recherches ultraciblées. Dans leur livre L’open space m’a tuer, les auteurs Alexandre des Isnards et Thomas Zuber enchaînent les anecdotes sur la dureté de la vie de bureau, en se basant sur des témoignages anonymes de jeunes cadres travaillant dans le marketing, la communication ou l’informatique. Dans le chapitre intitulé “Open stress” consacré à la société “Business & Incision”, Patrick Bensabat n’a pas eu de mal à se reconnaître : “Il paraît que le midi, ça empeste le nem grillé ici. Le livre raconte aussi que je me promène dans les couloirs en tenant mon téléphone, mais qu’en fait il n’y a personne au bout du fil, c’est pour éviter de parler à ceux que je croise.”

Patrick Bensabat décide alors de retrouver la source de ces indiscrétions : “Je suis allé sur le profil Facebook des auteurs, et en consultant leur liste d’amis, j’ai trouvé deux de mes salariées. Et voilà ! Puis un jour, en passant près du bureau de l’une d’elles, je lui ai lancé une private joke : tu vois, aujourd’hui, mon téléphone fonctionne vraiment. Elle a rougi de confusion, mais je n’ai pris aucune sanction.”

D’autres entreprises incitent au contraire leurs employés à se montrer partout. Clément, 23 ans, est consultant dans une agence de communication : “Mon CV est sur Internet, mes patrons sont d’accord, ça fait partie du jeu. De toute façon, si l’entreprise a des difficultés, les jeunes seront les premiers fusibles. Dans ma boîte, la durée de vie d’un consultant junior est de trois ans.” Depuis peu, Clément est chargé de sélectionner les étudiants demandeurs de stages : “ Je regarde si le candidat maîtrise les outils Internet qui lui serviront dans sa pratique professionnelle. S’il est sur Facebook depuis 2006, c’est un pionnier, c’est intéressant. S’il a déjà un compte Twitter (service de mini-messages instantanés), encore rare en France, c’est un plus.” En outre, Clément, lui-même blogueur très actif, lit les blogs des autres, pour dénicher des profils intéressants.

De nombreux jeunes ont intégré ces nouvelles contraintes dans leur stratégie de gestion de carrière. Ils créent des blogs prétendument intimes, dont le ton et le contenu sauront plaire aux employeurs et aux recruteurs : un mélange d’anecdotes, d’autopromotion, de “coups de coeur” pour un produit ou une marque, de comptes rendus d’événements “corporate”…

Sur Facebook, ils se fabriquent une personnalité équilibrée, intégrée dans un ensemble harmonieux de réseaux amicaux, familiaux et professionnels, et en profitent pour mentionner leur participation à une action caritative. Leurs messages Twitter sont enjoués, énergiques, informatifs. Leurs pages culturelles laissent apparaître une sensibilité artistique à la fois riche et raisonnable. Leur vie sur Internet ressemble à un interminable entretien d’embauche, d’autant que des grandes entreprises commencent à ouvrir des profils Facebook pour lancer des campagnes de recrutement.

A l’opposé, pour les cadres qui ont laissé s’accumuler des traces incontrôlées, ou qui ont trop fait parler d’eux sur le Net, tout n’est pas perdu. Aux Etats-Unis, on a vu apparaître des sites spécialisés dans la restauration des “e-réputations”. Pour une dizaine de dollars par mois, ils recensent les documents indésirables, puis tentent de les faire supprimer, en intervenant auprès des propriétaires des sites ou des hébergeurs. D’autres aident leurs clients à se reconstruire une image plus vendeuse ou plus lisse, sur des nouveaux réseaux créés spécialement à cet effet. Déjà, ces nouveaux experts arrivent en force sur le marché européen.

http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/04/01/nos-vies-sur-internet-a-perpete_1175264_651865.html
http://libertesinternets.wordpress.com/2009/04/03/nos-vies-sur-internet-a-perpete/

Publié dans SOCIETE

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B
tous les défauts de notre société à travers le net, mensonge, faux-semblants, narcissisme, jugement sur les apparences, manipulation, caftage, peur du regard des autres, etc... elle est pas jolie la nature humaine ! Mais si les gens étaient vrais, ils assumeraient leurs actes, écrits et paroles ... je ne doute pas que l'apuration et trucage de ses traces sur le net va être rapidement en pleine expansion en Europe, après la parution de ce type d'article !Ce sont des cadres, donc ayant fait des études supérieures et ils ne savent pas comment fonctionne le net ? Que c'est un espace public où toutes les informations sont accessibles ?La majorité des gens marchent dans le système, je mens je triche, mais ce n'est pas ma faute, c'est la faute de l'employeur qui refuse de m'embaucher sinon, c'est la faute de mes clients qui pourraient penser que, etc... personne n'assume ce qu'il est ... ce qui rend du coup bien plus difficile à ceux/celles qui refusent de jouer, mais toutefois, eux ne se plaignent pas de l'iniquité du système parce que c'est en connaissance de cause qu'ils refusent de marcher dedans.Mais que les employeurs ne se plaignent pas non plus d'ici peu de temps, de se faire gruger ... parce que ce sera les plus dissimulés et menteurs qui sauront fabriquer sur le net de toute pièce, le profil standard demandé par les entreprises ... comme on s'est retrouvé avec des lettres de motivation et CV standards uniformes. J'ai toujours dit à ma fille d'être vraie et de ne pas chercher à dire ce qui va plaire, si l'employeur est sain et cherche vraiment un salarié durable, elle a toute ses chances, même plus que le tout venant standardisé qu'il va recevoir, s'il ne l'est pas ce n'est pas grave s'il jette sa candidature ... lire dans ma boîte la durée d'un consultant junior est de 3 ans, c'est que la boîte cherche de l'exploitable-jetable ... le plus grave c'est que ces jeunes consultants trouvent ça normal ... Tout ceci est d'une grande tristesse ...Bises
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