ISRAËL-PALESTINE • "Des deux côtés, il faut pousser les chefs à être courageux

Publié le par sceptix

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Le médecin palestinien Izzeldin Abueleish a perdu trois filles dans un bombardement lors de l'intervention israélienne à Gaza en décembre 2008 et janvier 2009. Mais il continue à prêcher la paix. Le quotidien belge Le Soir l'a rencontré.

 





Izzeldin Abueleish
DR



Il est là, bien à l'heure, dans les locaux du secrétaire d'Etat à la Lutte contre la pauvreté, Jean-Marc Delizée (PS), qui l'a invité en Belgique avec la petite commune namuroise de Viroinval. Franche poignée de main. Sourires. D'Izzeldin Abueleish il émane une sorte de charme naturel. Quelque chose nous dit que cette interview n'aura rien de banal… Sa célébrité, le médecin gynécologue palestinien s'en serait bien passé. Il l'a payée à un prix exorbitant, inouï, atroce. Trois de ses filles sont mortes, presque en direct à la télévision israélienne à la veille du cessez-le-feu en janvier, quand des chars israéliens ont bombardé son appartement dans le camp de réfugiés de Jabalya.

Malgré la douleur, Izzeldin Abueleish n'élude pas le récit de cette soirée. "Je n'oublierai jamais ce 16 janvier. Notre famille était réunie, coincée dans l'appartement familial. J'étais avec sept de mes huit enfants et deux nièces. Une famille normale, avec ses rêves, heureuse d'être ensemble en dépit de l'absence d'électricité, d'eau, de gaz, en dépit de la symphonie cacophonique qui nous enveloppait, celle de bombardements israéliens incessants. J'étais fier de cajoler mes enfants adorées, moi qui suis souvent absent, en Israël pour le travail. Ce bonheur irréel ne plaisait pas à quelqu'un. Quelqu'un n'aimait pas ces soldats de la paix seulement armés d'espoir et de rêve que nous étions."

Il y eut alors deux obus de tank. "Je venais de quitter la chambre où deux de mes filles, Bisan, 21 ans, et Mayar, 15 ans, étaient attablées avec leur cousine Nour, 17 ans. Un premier obus a frappé la pièce. Je me suis précipité : je n'ai trouvé que des corps démantelés, l'un sans jambes, des traces de cervelle sur le mur." Les yeux de notre interlocuteur s'embuent, des larmes coulent. Il prend un mouchoir.

"Le premier tir ne suffisait pas. Un deuxième a frappé une autre pièce. Aya, ma troisième fille, a été tuée sur le coup. Elle avait 13 ans. Ma fille Shada, 17 ans, et sa cousine Gaïda, 12 ans, furent blessées, la seconde à l'œil. Je devais recevoir un coup de téléphone en direct de mon ami israélien journaliste sur la chaîne 10, Shlomo Eldar, ce que je faisais depuis quelques jours pour expliquer aux Israéliens l'enfer de Gaza. J'ai téléphoné moi-même, en direct pendant le journal, il m'a promis de tout faire pour que les blessées soient emmenées en Israël. Je suis sorti pour chercher du secours, j'ai dû marcher trois kilomètres pour trouver un véhicule. Grâce au ciel, les blessées ont pu être transférées en Israël. Elles vont beaucoup mieux."

Izzeldin Abueleish reprend son souffle. Il n'attend pas nos questions. "Bisan venait de décrocher son diplôme en "Business & Administration", la première à Gaza à finir ce cycle en trois ans. Depuis le décès de ma femme Nadia (emportée par une leucémie, NDLR) en septembre, elle avait pris les choses en main dans la famille. Tout le monde l'adorait. Mayar, elle, était mon seul enfant qui voulait devenir docteur ! À l'école, elle était très forte en maths, elle aidait tous ses camarades. Et puis il y a Aya. Elle voulait devenir journaliste." Izzeldin s'arrête de parler un moment. Sort de son veston une feuille de papier froissé, quelques lignes écrites en arabe. "Sa petite sœur lui a écrit ceci, après sa mort : "Où es-tu partie ? Tu éclairais notre maison. Où est cette belle fille ? Pourquoi ?" On l'aimait tant. Le jour de sa mort, elle venait d'avoir ses premières règles, elle était fière, heureuse !" De nouvelles larmes coulent.

L'armée israélienne ne s'est pas excusée. "Après un mois, ils ont dit la vérité, que c'était bien eux qui avaient bombardé l'immeuble. Deux tirs de tank, comme je l'avais dit le premier jour. Je suis sûr qu'il n'y avait aucune raison de bombarder, pas de tireur sur l'immeuble. Et puis même, un tireur se serait glissé au sommet, au sixième étage, facile à tuer, moi j'habite au second. Ils connaissaient bien la maison. Mes nombreux amis israéliens ont été choqués de l'absence d'excuses officielles. Les médias israéliens aussi."

Un tel malheur n'a pourtant pas fait basculer Izzeldin Abueleish dans la haine. "Je n'ai jamais haï personne. Je regarde vers l'avenir. Je consacre mon énergie à des domaines où je puis faire avancer les choses, c'est pourquoi je suis médecin. J'ai perdu quatre être chers, cela hantera ma mémoire toute ma vie. Mais j'ai refusé le choix des ténèbres, la haine, la dépression, l'anxiété, qui auraient affecté ma santé et nui à mes enfants. C'est comme si j'avais subi une très lourde opération chirurgicale, à cœur ouvert, qui laisserait des cicatrices énormes pour la vie. Mais je cherche plutôt à transformer cette tragédie en énergie positive : en gardant la mémoire de mes filles, tenter de faire accomplir leurs rêves par d'autres jeunes filles."

Un ange passe. Et la guerre ? "Mon histoire personnelle a ému les Israéliens. Grâce à elle, le public a pu ouvrir les yeux sur ce qui se passait à Gaza.

 

 http://www.courrierinternational.com/article.asp?obj_id=96380

 

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