Une femme de 36 ans a été interpellée ce matin à Paris par les policiers de la sous-direction antiterroriste (Sdat), dans le cadre de l'enquête sur des sabotages de lignes TGV commis en novembre 2008.
Elle a été placée en garde à vue à Levallois (Hauts-de-Seine). Sa garde à vue peut durer jusqu'à 96 heures s'agissant d'un dossier de terrorisme.
Elle aurait gravité autour d'une ferme de Tarnac (Corrèze) où vivait une partie des jeunes mis en examen dans ce dossier. Elle ne serait pas directement liée à Julien Coupat, présenté par les enquêteurs comme le cerveau du groupe soupçonné de sabotages et seul mis en examen toujours détenu dans ce dossier. http://www.ouest-france.fr/ofdernmin_-Sabotages-SNCF.-Une-femme-interpellee-a-Paris_-914439--BKN_actu.Htm ***************************
Libérez Julien Coupat !,
par Irène Terrel
Tout ou presque a été dit sur le dossier, sur l'inconsistance des charges, sur la présomption de culpabilité dont bénéficient les détenus politiquement ciblés, sur les détentions provisoires qui trop souvent sont la règle, sur l'absurdité de l'épithète "terroriste" accolée à une dégradation purement matérielle, sur la toute-puissance du parquet, sur les dérives tentaculaires des lois antiterroristes, sur la criminalisation à découvert de l'édition, sur l'expansion à l'infini des répressions, ici les bandes, là, les cagoules, etc.
Tous ou presque ont exprimé leur indignation, leur solidarité, leur intérêt, pas une émission politique, culturelle, branchée ou pas, du matin au soir, pas un blog, pas un journal qui n'y soit allé de son couplet pro-Tarnac. Sûrement, bientôt des livres dévoileront le mystère de la nuit des caténaires...
Et pourtant Julien Coupat est toujours détenu, sans même, au diable la jurisprudence européenne, avoir été autorisé à étudier son propre dossier... ! Cela fera bientôt six mois qu'il arpente les courettes de la Santé, les sous-sols du Palais de justice, les cabinets des juges, et qu'en rentrant le soir dans sa cellule, si petite qu'elle pourrait devenir invisible, il découvre sa photo de filature sur l'écran de la télévision...
Huit "terroristes" pourtant vite relâchés, abusivement dispersés depuis dans l'Hexagone et, lui seul, toujours détenu, mais pourquoi ?
Pour s'être tu pendant quatre-vingt-seize heures de garde à vue antiterroriste, pour avoir défié les convenances judiciaires, pour avoir protesté contre les fouilles à nu, pour avoir refusé les enquêtes de personnalité, pour avoir ri parfois du questionnement des juges, pour n'avoir pas livré ses goûts littéraires, ses penchants philosophiques, ses opinions politiques, pour avoir sillonné le monde sans téléphone portable et s'y être fait des amis dont il a tu les noms, pour avoir refusé tous les fichages, pour avoir pensé, écrit, manifesté, voyagé, pour n'être pas tombé dans le panneau des idéologies précuites, pour avoir dérangé l'ordre morose d'un temps qui parfois passe si lentement, bref pour avoir à sa façon "travaillé à l'établissement conscient et collectif d'une nouvelle civilisation" (Armand Gatti).
Déjà, souvenons-nous, le 19 décembre 2008, un juge des libertés et de la détention (depuis lors introuvable) avait ordonné sa libération, en estimant "que dans ce dossier, toutes les personnes mises en examen ont été placées sous contrôle judiciaire (...), que Julien Coupat a été interrogé (...), que la détention provisoire de l'intéressé n'apparaît pas aujourd'hui indispensable à la manifestation de la vérité (...), qu'il offre toutes garanties de représentation, qu'au surplus, il n'a jamais été condamné". C'était compter sans l'acharnement désespéré d'un parquet mis à mal.
Une nouvelle demande de mise en liberté a été déposée au nom de la simple application de la loi française : "La personne mise en examen, présumée innocente, reste libre" (article 137 du code de procédure pénale).
"Vous tiendrez votre liberté de ce que vous aurez libéré...", écrivait le poète Joë Bousquet. Que tous ceux qui se sentent concernés demandent avec nous la libération immédiate de Julien Coupat.
Irène Terrel est avocate. http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/04/28/liberez-julien-coupat-par-irene-terrel_1186461_3232.html
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De l'affaire Coupat à l'affaire Hazan ?
"Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie/N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins/Le canevas banal de nos piteux destins,/C'est que notre âme, hélas ! N'est pas assez hardie." En août 1857, ce ne sont pas ces vers qui ont valu à Baudelaire et son éditeur Auguste Poulet-Malassis la censure des Fleurs du mal, mais six poèmes "licencieux" de ce recueil, relevant selon la justice de l'"outrage à la morale publique". La France de 2009 n'est certes plus celle du Second Empire : les bien tièdes "outrances" érotiques de Baudelaire passeraient aujourd'hui comme une lettre à la poste.
Un progrès, assurément. Mais est-ce si sûr ? Car ces vers-là, qui pourrait garantir qu'ils ne tomberaient pas aujourd'hui sous le coup d'une instruction pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste" ?
Le parallèle s'impose en effet, à la lecture de la prose policière relative à l'"affaire de Tarnac", qui a valu à Julien Coupat et huit autres personnes d'être arrêtés le 11 novembre 2008 puis d'être mis en examen sous ce motif, car soupçonnés de sabotages visant le réseau de la SNCF. Au fil des mois, la pièce essentielle de cette accusation semble se réduire à... un livre : L'insurrection qui vient, signé par un "Comité invisible" et publié en mars 2007 par les Editions La Fabrique, que dirige Eric Hazan.
En témoigne notamment le rapport de la sous-direction antiterroriste de la direction centrale de la police judiciaire au procureur de Paris établi le 15 novembre 2008 et explicitant les "investigations diligentées en exécution des réquisitions (...) ayant permis d'identifier et de démanteler une structure clandestine anarcho-autonome basée sur le territoire national et se livrant à des opérations de déstabilisation de l'Etat".
Que dit ce rapport ? Ceci : "Ce groupe constitué autour de son leader charismatique et idéologue, le nommé Julien Coupat, (...) obéit à une doctrine philosophico-insurrectionnaliste qui, ayant fait le constat que la société actuelle est "un cadavre putride" (tel qu'il est mentionné au sein du pamphlet intitulé "L'insurrection qui vient" signé du Comité invisible, nom du groupe constitué autour de Julien Coupat), a décidé d'user des moyens nécessaires pour se "débarrasser du cadavre" et provoquer la chute de l'Etat."
Et il ajoute : "Les cibles désignées dans cet ouvrage, dont il a été établi dans la présente enquête qu'il avait été rédigé sous l'égide de Julien Coupat, étant, de manière récurrente, tout ce qui peut être, par analogie, défini comme un "flux" permettant la survie de l'Etat et la société de consommation qu'il protège. Sont ainsi cités dans cet opuscule, avec insistance, le réseau TGV et les lignes électriques comme autant de points névralgiques par le sabotage desquels les activistes peuvent, à peu de frais, arrêter plus ou moins durablement les échanges de biens et de personnes, et ainsi porter un coup au système économique qu'ils combattent."
Par les temps qui courent, ceux de la paranoïa d'Etat, nous pouvons comprendre pourquoi un écrit "subversif" d'un groupe de révoltés - dont la genèse collective et volontairement anonyme ne permet pourtant de l'attribuer à aucun individu en particulier - suscite les exégèses orientées des services de police.
Mais pour autant, comment admettre que cela suffise à arrêter, à grand spectacle, de simples dissidents de l'ordre dominant ? Et comment admettre que l'éditeur du livre qui leur est attribué, cette fameuse "insurrection qui vient", soit entendu comme "témoin" dans l'affaire, alors qu'il n'est évidemment pas témoin des faits instruits ? Cette convocation par l'antiterrorisme vise évidemment à en faire un "complice objectif" d'une prétendue "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste" ?
Car c'est bien ce qu'il faut retenir de l'audition, le 9 avril pendant trois heures trente, par la sous-direction de l'antiterrorisme de la police judiciaire, d'Eric Hazan, l'éditeur de L'Insurrection qui vient. Cette convocation avait évidemment pour objectif d'établir un lien entre ce livre et la sombre "affaire des caténaires". "On n'a pas vu ça depuis la guerre d'Algérie", a déclaré Me Antoine Comte, l'avocat de l'éditeur.
Cela, nous ne l'admettons pas : pour nous, l'édition est avant tout un espace de liberté. La question n'est pas d'être d'accord ou non avec les thèses du "comité invisible". La question, c'est, très simplement, celle de la liberté d'expression, aujourd'hui gravement menacée en France par les représentants de son Etat, au nom d'une conception dévoyée de la lutte contre le terrorisme.
L'"affaire Hazan" n'est qu'un des nombreux symptômes de cette dérive. C'est pourquoi nous tenons à affirmer notre pleine solidarité avec notre confrère.
Auteur : François Gèze (éd. La Découverte)
Premiers signataires : Patrick Beaune (éd. Champ Vallon), Laurent Beccaria (Les Arènes), David Benassayag (Le Point du Jour), Olivier Bétourné (Albin Michel), Teresa Cremisi (Flammarion), Bernard Coutaz et Frédéric Salbans (Harmonia Mundi), Gilles Haéri (Flammarion), Marion Hennebert (éditions de l'Aube), Hugues Jallon (La Découverte), Joëlle Losfeld (éd. Joëlle Losfeld), Anne-Marie Métailié (Métailié), Françoise Nyssen (Actes Sud), Paul Otchakovsky-Laurens (P.O.L.), Jean-Marie Ozanne (Folie d'encre), Yves Pagès (éd. Verticales), Rémy Toulouse (Les Prairies ordinaires), Michel Valensi (éd. de l'Eclat).
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/04/20/de-l-affaire-coupat-a-l-affaire-hazan_1182950_3232.html
comité de soutien aux inculpé de Tarnac
A l'attention de : Michèle Alliot-Marie
Une opération récente, largement médiatisée, a permis d’arrêter et d’inculper neuf personnes, en mettant en œuvre la législation antiterroriste. Cette opération a déjà changé de nature : une fois établie l’inconsistance de l’accusation de sabotage des caténaires, l’affaire a pris un tour clairement politique. Pour le procureur de la République, « le but de leur entreprise est bien d’atteindre les institutions de l’État, et de parvenir par la violence – je dis bien par la violence et non pas par la contestation qui est permise – à troubler l’ordre politique, économique et social ».
La cible de cette opération est bien plus large que le groupe des personnes inculpées, contre lesquelles il n’existe aucune preuve matérielle, ni même rien de précis qui puisse leur être reproché. L’inculpation pour « association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste » est plus que vague : qu’est-ce au juste qu’une association, et comment faut-il entendre ce « en vue de » sinon comme une criminalisation de l’intention ? Quant au qualificatif de terroriste, la définition en vigueur est si large qu’il peut s’appliquer à pratiquement n’importe quoi – et que posséder tel ou tel texte, aller à telle ou telle manifestation suffit à tomber sous le coup de cette législation d’exception.
Les personnes inculpées n’ont pas été choisies au hasard, mais parce qu’elles mènent une existence politique. Ils et elles ont participé à des manifestations – dernièrement, celle de Vichy, où s’est tenu le peu honorable sommet européen sur l’immigration. Ils réfléchissent, ils lisent des livres, ils vivent ensemble dans un village lointain. On a parlé de clandestinité : ils ont ouvert une épicerie, tout le monde les connaît dans la région, où un comité de soutien s’est organisé dès leur arrestation. Ce qu’ils cherchaient, ce n’est ni l’anonymat, ni le refuge, mais bien le contraire : une autre relation que celle, anonyme, de la métropole. Finalement, l’absence de preuve elle-même devient une preuve : le refus des inculpés de se dénoncer les uns les autres durant la garde à vue est présenté comme un nouvel indice de leur fond terroriste.
En réalité, pour nous tous cette affaire est un test. Jusqu’à quel point allons-nous accepter que l’antiterrorisme permette n’importe quand d’inculper n’importe qui ? Où se situe la limite de la liberté d’expression ? Les lois d’exception adoptées sous prétexte de terrorisme et de sécurité sont elles compatibles à long terme avec la démocratie ? Sommes-nous prêts à voir la police et la justice négocier le virage vers un ordre nouveau ? La réponse à ces questions, c’est à nous de la donner, et d’abord en demandant l’arrêt des poursuites et la libération immédiate de celles et ceux qui ont été inculpés pour l’exemple.
PREMIERS SIGNATAIRES
Giorgio Agamben, philosophe
Alain Badiou, philosophe
Jean-Christophe Bailly, écrivain
Anne-Sophie Barthez, professeur de droit
Miguel Benasayag, écrivain
Daniel Bensaïd, philosophe
Luc Boltanski, sociologue
Judith Butler, philosophe
Pascale Casanova, critique littéraire
François Cusset, philosophe
Christine Delphy, sociologue
Isabelle Garo, philosophe
François Gèze, éditions La Découverte
Jean-Marie Gleize, professeur de littérature
Eric Hazan, éditions La Fabrique
Rémy Hernu, professeur de droit
Hugues Jallon, éditions La Découverte
Stathis Kouvelakis, philosophe
Nicolas Klotz, réalisateur
Frédéric Lordon, économiste
Jean-Luc Nancy, philosophe
Bernard Noël, poète
Dominique Noguez, écrivain
Yves Pagès, éditions Verticales
Karine Parrot, professeur de droit
Jacques Rancière, philosophe
Jean-Jacques Rosat, philosophe
Carlo Santulli, professeur de droit
Rémy Toulouse, éditions Les Prairies ordinaires
Enzo Traverso, historien
Jérôme Vidal, éditions Amsterdam
Slavoj Zizek, philosophe
Lien vers le texte :
http://www.soutien11novembre.org/index.php?option=com_content&view=article&id=22&Itemid=17
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