La Belgique rode sa législation antiterroriste
par Jean-Claude Paye*
L’interminable procédure engagée par la Belgique contre un sympathisant du parti marxiste-léniniste turc DHKP-C arrive à son terme. Le troisième procès en appel fournit une occasion aux partisans de la guerre globale au terrorisme pour remettre en cause la liberté d’expression et pour criminaliser tout lien intellectuel avec des groupes radicaux. Pour le sociologue Jean-Claude Paye, cette procédure a valeur de test.
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Dans les dispositions antiterroristes, deux voies sont développées en parallèle pour s’attaquer aux libertés individuelles et collectives : la loi et la jurisprudence. Les pays anglo-saxons ont privilégié l’inscription directe dans la loi en développant de nouvelles incriminations, telle que celle d’incitation indirecte [1] au terrorisme qui, en Grande-Bretagne, permet de criminaliser toute prise de position politique qui critique la politique extérieure du gouvernement anglais ou d’un pouvoir étranger allié. Généralement, les pays européens continentaux agissent d’abord par le biais de la jurisprudence. C’est surtout le cas d’États qui, comme la Belgique, disposent d’une loi antiterroriste depuis peu d’années. Cependant, bien que moins visible, cette procédure peut rapidement arriver à un résultat semblable comme nous le montre les procès qui se sont déroulés, en Belgique, dans le cadre de l’affaire DHKP-C. Ce 25 mai 2009, à Bruxelles, s’est ouvert le troisième procès en appel intenté à des personnes liées au DHKP-C, une organisation politique d’opposition radicale au gouvernement turc. Il s’agit de la dernière phase d’un procès à rebondissements : trois jugements et deux arrêts de Cassation ont déjà ponctué cette affaire. Il s’agit cependant d’une phase décisive, celle qui, si les prévenus sont condamnés, permettrait d’installer une jurisprudence qui autoriserait une utilisation directement politique de la loi antiterroriste. Cela permettrait de punir tout acte de solidarité ou d’empathie avec des mouvements, nationaux ou étrangers, qui seraient désignés comme terroristes. Ce procès s’était d’abord conclu, le 28 février 2006, par une première condamnation, par le tribunal correctionnel de Bruges, à des peines allant de quatre ans à six mois de prison pour appartenance à une organisation terroriste [2]. Ces peines ont été aggravées par le tribunal d’Appel de Gand en novembre 2006 [3]. Quelle est la jurisprudence qui se mettrait en place si ces personnes étaient condamnées pour « soutien » à une organisation terroriste ? C’est l’enjeu fondamental de ce procès. Les lois antiterroristes sont des lois cadres qui vont dépendre de l’interprétation qui en sera donnée. Elles sont écrites pour pouvoir s’attaquer aux mouvements sociaux et à toute forme de résistance, armée ou non, à un régime d’oppression, n’importe où dans le monde. Les parlementaires ont formellement voulu éviter une telle utilisation. Ils ont ajouté, au projet initial de la loi antiterroriste, un article qui stipule qu’« aucune disposition de ce titre ne peut être interprétée comme visant à réduire ou à entraver les droits ou libertés fondamentales tels que le droit de grève, la liberté de réunion, d’association ou d’expression ». Le deuxième jugement d’appel, celui qui relaxé les prévenus, a rappelé l’existence de cet article. Malgré cela, la Cour de Cassation a suivi le procureur dans une lecture de la loi opposée à ces principes. Il s’agit là d’une interprétation qui dénie toute valeur à ce qui nous était présenté comme une garantie contre une utilisation liberticide de la loi. Ainsi, la jurisprudence va jouer un rôle primordial. Pour le gouvernement, il s’agit de l’unifier dans le sens voulu, à savoir pouvoir criminaliser toute forme de résistance. Il s’agit de faire inscrire, dans les attendus des jugements prononcés, des considérations qui créeront, dans les faits, de nouvelles incriminations qui existent déjà dans les textes de loi d’autres pays européens, comme celles de « glorification » et de « soutien indirect » au terrorisme, des incriminations qui se détachent de plus en plus de la commission d’un acte délictueux. Une personne devient terroriste simplement parce qu’elle est nommée comme telle. Face à cette orientation liberticide, une partie de l’appareil judiciaire de notre pays a rappelé la primauté des libertés fondamentales. La Cour d’Appel va-t-elle confirmer cette exigence ou, au contraire, en condamnant les inculpés, va-t-elle engager la Belgique dans un État de non droit ?
1] Terrorism Bill of 2006, clause 1(1) . Document téléchargeable [2] « Le procès du DHKP-C », Comité de vigilance contre le terrorisme (comité T), Rapport 2007, Ligue des Droits de l’Homme en Belgique. [3] « Un procès qui engage nos libertés », collectif, La Libre Belgique, le 16 novembre 2007. [4] Cour de Cassation de Belgique, Arrêt P.06.1605.N/1, p. 9, Document téléchargeable. [5] Marc Metdepenningen, « DHKP-C : Bahar Kimyongur acquitté à Anvers », Le Soir, 7 février 2008. |
http://www.voltairenet.org/article160324.html