L’appropriation du sens réel des spiritualités comme arme contre la servitude (première partie)
Par Régis Mex
Le fait que nous vivons dans une société aux valeurs inversées, c’est-à-dire dans une société où l’esprit collectif a plus de respect pour toutes les manifestations du mal que pour celles du bien, n’est un secret pour personne. Les masses vouent effectivement plus de respect à tout vice qui revêt d’un caractère égoïste, impudique et impulsif qu’à l’altruisme, l’érudition, la générosité ou toute autre vertu. Elles n’apprécient en fait ces dernières que lorsqu’elles peuvent en profiter et non lorsqu’elles peuvent les appliquer; autrement dit, lorsque cela peut contribuer à renforcer leur égoïsme. Ces mêmes masses ont toutefois l’audace d’attendre que les plus grandes vertus siègent « ad vitam eternam » en la personne de leurs dirigeants, sans avoir conscience que l’âme de l’élite d’un pays est le reflet de l’âme de ce même pays. Et l’âme de ce pays est faite par la majorité des citoyens qui y vivent. Le sommet d’une construction est tel que sa base; il ne peut défier fièrement et longuement le ciel en grande splendeur si la base sur laquelle il repose est pourrie.
En théorie, l’État est fait pour être au service des citoyens plus que les citoyens ne sont faits pour servir l’État. Mais si les citoyens sont esclaves d’eux-mêmes, comment pourraient-ils devenir autre chose, en toute logique, que les esclaves de l’État qui découle de leur existence ? En effet, s’il est vrai que quelques hommes ou femmes politiques avec de nobles intentions arrivent jusqu’à des postes d’une importance suffisante pour avoir un certain impact sur des domaines définis, il est également vrai qu’ils/elles perdront rapidement l’indépendance nécessaire pour pouvoir continuer de nourrir des desseins qui s’écartent de la ligne de route tracée par les véritables détenteurs du pouvoir. Ces derniers sont, entre autre, les plus riches des oligarques et les plus éminents stratèges et experts des sphères politique et économique. Alors que l’opinion publique voit rassemblé dans son président le pouvoir ultime du pays qu’il dirige, le pouvoir qu’il détient n’est que symbolique, puisqu’il a comme seule possibilité d’exécuter des choix et d’appliquer des directives qui émanent d’autres personnes que lui.
Mais si nous avons transcendé l’illusion que le pouvoir réel est toujours dans les mains de l’État, nous ne continuons pas moins de nous demander pourquoi les véritables chefs, venant du secteur privé, ne pourraient pas trouver en leur sein quelques dissidents susceptibles de changer la nature de leurs desseins. Il nous est plus délicat de le savoir, puisque ces personnes travaillent dans l’opacité, mais en toute logique, il y en a, puisqu’il y a toujours des dissidents dans tout domaine que ce soit. Or, il est évident qu’ils subiront le même sort que tout autre indésirable de cette espèce; soit ils finiront par se ranger derrière la pensée dominante, soit ils seront écartés.
Qu’est-ce que cette « pensée dominante » ? Rien de plus, au sens auquel je l’entends, que la feuille de route qui a prévalu en matière politique et économique depuis le début de la civilisation. Si les civilisations et les systèmes de société furent effectivement nombreux au cours de l’histoire humaine, les plus anciens disparaissant pour laisser place à de nouveaux, l’être humain en lui-même n’a guère changé depuis sa dernière évolution biologique en homo sapiens. C’est pourquoi même nos sociétés industrialisées actuelles, derrière leur apparence civilisée, cachent une sauvagerie équivalente aux sociétés d’il y a 6000 ans, 500 ans, 10 ans, … Le fond de l’histoire reste toujours le même ; seule la forme change à peu près. Par exemple, nos démocraties ne sont dignes de ce nom que par la forme, car le fond n’est pas différent d’une dictature ou de n’importe quel autre régime qui ait existé au cours de l’histoire. Les mécanismes sont toujours les mêmes en substance. Simplement, la force physique par laquelle règnent les dictatures est remplacée par des notions juridiques qui servent le pouvoir en place (les autres sont contournées si nécessaire) en démocratie, ce qui est encore de la force, mais régie par une forme plus subtile. S’il est plus agréable de vivre dans un tel système, il n’en reste pas moins que nous y sommes tout autant esclaves que dans un régime dit de non droit.
C’est pourquoi les régimes instaurés par tous les révolutionnaires, après qu’ils aient réussi à faire s’effondrer le régime en place dans leur pays, ressemblaient en substance à s’y méprendre au précédent… La forme sous laquelle ils se sont manifestés était simplement meilleure ou pire que celle de leur prédécesseur. Les capacités de l’être humain d’influencer, voire de modifier, l’ordre naturel des choses sont impuissantes à changer son ordre intérieur. En effet, tant que l’humanité restera telle qu’elle l’est, au plus profond d’elle-même, c’est-à-dire tant que le programme biologique de l’être humain continuera d’avoir une emprise absolue sur son comportement, l’Histoire ne cessera de se répéter. Seule une nouvelle évolution biologique pourrait rendre le monde moins mauvais qu’il ne l’est actuellement. La seule chose en rapport avec l’humanité qui évolue réellement est la quantité de connaissances qui lui est accessible, et qu’elle ne cesse d’augmenter de manière exponentielle grâce à ses incessantes recherches et découvertes. Cela n’empêche cependant pas que la proportion de savants et d’érudits dans la population reste inchangée par rapport à ce qu’il y a toujours eu au cours de l’Histoire, car il n’y a pas plus de personnes ayant l’intelligence nécessaire pour avoir envie d’apprendre des choses et être capable de les comprendre qu’à n’importe quel autre époque. Le destin de l’Homme est effectivement tout tracé par sa biologie, puisqu’il n’a d’autre choix que d’obéir à ce qui est écrit dans son ADN. Or, l’ordre des choses veut qu’il reste toujours la même proportion de psychopathes, d’imbéciles et d’égoïstes dans la population, quel que soit le nombre de personnes qu’elle représente, que de braves, d’altruistes et de savants. Et force est de constater que ces proportions ne sont pas très égales, ni au niveau des compétences intellectuelles, ni au niveau de la pureté d’esprit (encore moins).
Peut-être les adeptes des principes de la pyramide en briques surmontée d’un œil représentée sur le billet d’un dollar, qui représente l’élite (l’œil) dominant les masses aveugles (les briques) se rendent-ils comptent que le modèle que représente un tel symbole est illusoire. En effet, tout comme l’esclave est esclave de son maître à cause des moyens que celui-ci utilise pour maintenir sa domination sur lui, le maître est esclave de la nécessité de conserver sans cesse ce contrôle et finit par être corrompu par la nature des moyens auxquels il doit avoir recours. Les « maîtres » ne sont donc eux-mêmes pas libres ; et quand bien même de nobles intentions réformatrices les animeraient-ils, ils devraient rapidement les abandonner car il y a de fortes chances que le peuple, préférant rester dans sa vulgarité et son ignorance, les repousse. L’élite elle-même n’aura donc qu’un pouvoir illusoire face à l’ordre des choses, qu’elle sera contrainte de suivre. Elle s’en retrouvera rabaissée à la même vulgarité que le peuple qu’elle méprise, ayant comme seule possibilité de se plonger dans l’égoïsme et la préoccupation de son seul confort.
Comme nous le disions dans le premier paragraphe, l’élite d’un groupe n’est que le reflet de ce groupe, puisque ce sont ses membres qui lui permettent, plus ou moins consciemment, plus ou moins directement, d’accéder à la fonction suprême qui consiste à les guider. Ils ne pourront alors choisir que des personnes avec qui ils partagent des affinités, qui les rassurent, qui leur promettent une vie béate dénuée de toute souffrance due à quelque prise de conscience que ce soit… C’est aussi la raison pour laquelle les élites d’un temps chutent et que d’autres leur succèdent ; les chefs sont remplacés lorsque la différence entre eux et ceux qu’ils mènent a atteint un seuil critique.
Or, en quoi la base sur laquelle ces chefs reposent, donc les classes sociales qui leur sont inférieures, peut-elle changer, puisque le genre humain n’a pas changé depuis qu’il est tel que nous le connaissons ? S’il n’a pas changé dans le fond, la mentalité de certaines sociétés et quelques circonstances ont permis des changements de régime sur fond de révolution. Ceux qui n’ont rien eu dans leur vie, de leur naissance à leur décès, n’ont généralement pas tendance à se rebeller car ils trouvent cet état des choses normal, puisqu’il a toujours été le leur. La frustration qui mène à l’envie de rébellion apparaît lorsqu’une part significative de la qualité de vie a été enlevée, ou qu’il devient si pénible pour la survie des classes les plus pauvres que la révolte est le dernier recours auquel leur corps puisse faire appel ; c’est une conséquence de l’accumulation de connaissances par le genre humain : les savoirs acquis et exploités servent souvent à vivre mieux tout en travaillant moins péniblement, et il ne peut y avoir de retour en arrière sans résistance. Alors est rassemblée la condition principale à l’établissement d’une base populaire nécessaire aux éventuels intellectuels, généraux et oligarques mécontents du système, qui pourront prétendre le renverser.
Donc, pour en revenir à la symbolique de la pyramide du billet d’un dollar ; il est impossible qu’un œil surmontant une pyramide de briques ne devienne lui-même l’équivalent spirituel d’une de ces briques. Pour que cet œil puisse rester digne de ce qu’il représente, il faudrait que toutes les briques soient remplacées par des yeux. Peut-être les partisans d’une telle croyance en la supériorité de l’élite dirigeante n’ont-ils pas conscience de l’ineptie de ce paradoxe, trop enfoncés dans un égoïsme résultant de leur bassesse spirituelle. Il est vrai que l’on a occulté de tous temps les indescriptibles richesses de la plus puissante faculté de l’Homme, la spiritualité. Pourtant, tout a été dit sur ce sujet depuis l’aube de la civilisation, l’Égypte ayant été la plus complète dans ce domaine.
Cependant, plus les progrès matériels se sont multipliés, et plus l’importance de la spiritualité a diminué ; le sens des analogies et métaphores tirés des mythologies et des symboles fut si dévoyé qu’elles finirent par ne plus avoir de sens du tout, empêtrées dans le grotesque et l’absurde, prélude de la disparition de la religion à laquelle elles appartenaient. En général, une nouvelle religion succédait ; par exemple, le christianisme a pu s’imposer et remplacer les dieux romains parce que plus personne dans l’Empire n’avait de foi dans les mythes romains, dénués de tout sens si on les lisait au sens propre, et ne rendait plus de culte qu’à l’empereur par obligation. Le christianisme a alors joui de la plus grande crédibilité, jusqu’à ce qu’il la perde progressivement en allant de corruption en corruption, pour finir par être détrôné par une Science de plus en plus respectée grâce à ses explications indiscutables de toute une série de phénomènes. Or, comme le disait si bien Rabelais : « Science sans Conscience n’est autre que ruine de l’âme ». Dire que la foi sans la raison serait ruine de l’âme serait tout aussi vrai.
Il se trouve que nous avons passé notre histoire dans ce déséquilibre ; l’obscurantisme religieux et l’obscurantisme matérialiste se sont relayés sans cesse. Une société à qui il manque soit l’intelligence spirituelle soit l’intelligence pragmatique souffre d’une cruelle imperfection. Il est vrai qu’atteindre un stade où l’on peut concilier en dose suffisante les deux faces de la pièce demande autant d’une intelligence que de l’autre, ce qui n’est pas à la portée de tout le monde. Ceux qui ont l’une n’ont généralement pas l’autre, et la catégorie des masses n’a ni l’une ni l’autre. Mais, si les lois les plus inexorables de ce monde ont établi que rien ne pouvait être parfait ici bas, les dirigeants pourraient toujours prétendre rendre leur société aussi parfaite que possible.
Certes, si le sens rationnel et puissant de la spiritualité n’a jamais pu être compris des masses, et que seuls des mythes incohérents et vulgairement ravalés à une conception matérielle furent à leur portée, il n’en est pas moins que les dirigeants de tous temps n’ont jamais ignoré que la religion pouvait représenter un formidable outil de manipulation et d’asservissement des masses. Ils ont donc abusé de l’incompréhension de l’opinion publique pour transformer le domaine de la spiritualité, libre d’accessibilité et dépourvu de toute intolérance, en religion, fondée sur une doctrine et érigée en pilier du fonctionnement de l’État, ce qui n’a pu que lui donner un rôle plus temporel (politique) que spirituel dans la société jusqu’à la séparation entre l’État et le clergé (1905 en France, jamais advenu aux États-Unis), ce qui n’empêche pas le Vatican de continuer de jouer un rôle politique incontestable dans certaines affaires.
Donc, nous pouvons nous demander comment réagirait le public si on lui servait, de bonne foi, une vraie spiritualité qui soit irréprochable dans sa logique et dans son approche des réalités du monde, ce qui la rendrait alors conciliable avec la Science puisqu’elle serait une science en elle-même. Sans doute, pour autant que cela ne tourne pas à nouveau à la dérive religieuse, cela ne pourrait-il avoir que des résultats positifs, et contribuerait à trouver, autant que possible, un équilibre entre Science et Conscience au sein de la société. C’est en cela qu’à mon sens, la seule révolution qui puisse véritablement aider le XXIe siècle est d’ordre spirituel.
Or, de majestueux ouvrages où tout est dit sur le domaine de la spiritualité existent depuis très longtemps, et la plupart des occultistes des XVIII et XIX siècles n’ont fait que redire ce qui avait déjà été dit en s’inspirant d’anciens écrits. Le problème est qu’il n’est pas toujours des plus évidents de trouver l’une de ces perles qui constitue une pièce maîtresse du sujet. La version retraduite du Sépher de Moïse par Fabre d’Olivet (1767-1825), écrivain, philologue et occultiste français qui avait fourni de remarquables efforts pour s’approprier toutes les subtilités de la langue hébreuse est des plus marquantes, car elle offre un contraste choquant avec la grossière version biblique de la Genèse. Nous consacrerons la deuxième partie de cet article à la publication et à l’explication des passages les plus importants et accessibles de la comparaison entre ces deux versions. Pour ce qui est des commentaires, je m’aiderai de ceux dont Claude Le Moal fait part dans son livre “La véritable histoire d’Adam et Ève enfin dévoilée”. En avant-goût de la suite, je place ci-dessous un extrait de l’Évangile de Matthieu qui exprime clairement l’hypocrisie des classes dirigeantes, phénomène inhérent aux sociétés humaines:
Évangile selon Matthieu :
23.1. Alors Jésus, parlant à la foule et à ses disciples, dit : « Les scribes et les Pharisiens sont assis dans la chaire de Moïse. Faites donc et observez tout ce qu’ils vous disent ; mais n’agissez pas selon leurs œuvres. Car ils disent, et ne font pas.
23.4. Ils lient des fardeaux pesants, et les mettent sur les épaules des hommes, mais ils ne veulent pas les remuer du doigt. Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes. Ainsi, ils portent de larges phylactères, et ils ont de longues franges à leurs vêtements ; ils aiment la première place dans les festins, et les premiers sièges dans les synagogues ; ils aiment à être salués dans les places publiques, et à être appelés par les hommes Rabbi, Rabbi. Mais vous, ne vous faites pas appeler Rabbi ; car quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé.
23.14. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! Parce que vous fermez aux hommes le royaume des cieux, vous n’y entrez pas vous-mêmes, et vous n’y laissez pas entrer ceux qui veulent y entrer. Malheur à vous, parce que vous dévorez les maisons des veuves, et que vous faites pour l’apparence de longues prières ; à cause de cela, vous serez jugés plus sévèrement. Malheur à vous, parce que vous courez la mer et la terre pour faire un prosélyte ; et quand il l’est devenu, vous en faites un fils de la géhenne deux fois plus que vous. Malheur à vous, conducteurs aveugles, qui dites : « Si quelqu’un jure par le temple, ce n’est rien ; mais si quelqu’un jure par l’or du temple, il est engagé ». Malheur à vous, parce que vous payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et que vous laissez ce qui est plus important dans la Loi : la justice, la miséricorde et la fidélité. C’est là ce qu’il fallait pratiquer, sans négliger les autres choses. Malheur à vous, parce que vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, et qu’au-dedans ils sont pleins de rapine et d’intempérance.
23.26. Pharisien aveugle ! Nettoie premièrement l’intérieur de la coupe et du plat, afin que l’extérieur aussi devienne net. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux au dehors, et qui, au-dedans, sont pleins d’ossements de morts et de toute espèce d’impuretés. Vous, de même, au dehors vous paraissez justes aux hommes, mais au-dedans, vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité. Serpents, race de vipères ! Comment échapperez-vous au châtiment de la géhenne ?
23.34. C’est pourquoi, voici, je vous envoie des prophètes, des sages et des scribes. Vous tuerez et crucifierez les uns, vous battrez de verges les autres dans vos synagogues, et vous les persécuterez de ville en ville, afin que retombe sur vous tout le sang innocent répandu sur la terre, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le temple et l’autel. Je vous le dis en vérité, tout cela retombera sur cette génération.
Par Régis Mex, pour Mecanopolis.