Affaire Erignac : Un défi pour la Justice
Vendredi 4 juillet 2003, Yvan Colonna des policiers du Raid pénètrent dans la bergerie Margaritaghia, à Porto-Pollo en Corse du sud, entre Ajaccio et Propriano.
Le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, est aussitôt informé. Il est meeting à Carpentras, et interrompt son discours : « J’ai quelque chose de très important à vous dire : il y a vingt minutes, la police française a arrêté Yvan Colonna, l’assassin du préfet Erignac ». Et la foule UMP applaudit à tout rompre. Le référendum sur l’avenir institutionnel de l’île, une invention du ministre de l’Intérieur, a lieu le 6 juillet, mais il sera rejeté.
Ce 30 juin 2010, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’assises de Paris, qui le 27 mars 2009 avait condamné Yvan Colonna la perpétuité assortie de 22 ans de sûreté pour l’assassinat du préfet Erignac, le 6 février 1998.
Aujourd’hui, Sarkozy se tait, et les militants ne sont plus là pour applaudir l’arrestation de « l’assassin ». C’est MAM qui doit monter au créneau pour se fendre d’un communiqué, affirmant que cet arrêt « ne porte en rien sur la question de fond de la culpabilité » du berger de Cargèse. Cette incapacité à respecter la justice est un grand aveu de faiblesse.
La cassation ne repose pas sur un motif anodin, genre « purement formel »… Lors du procès, les 12 et 13 février 2009. Aurèle Mannarini, balisticien amateur, est cité comme témoin. Il doit selon la procédure faire une déclaration spontanée, avant d’être interrogé par le président, puis la partie civile, puis le Parquet et enfin par la défense. Le plus souvent, ça se passe bien. Par fois, ce genre d’exercice fini un peu en vrac, et le président doit tailler dans le vif pour que trouver une issue. Mais chacun a pu se faire une idée, car la déclaration spontanée a été faite dans la sérénité
Le problème est double : Aurèle Mannarini ne semble pas dégager une autorité naturelle, et ses analyses vont à l’encontre de la thèse de l’accusation sur un point majeur : les tirs mortels.
Aurèle Mannarini commence son exposé, mais il est rapidement contesté par certaines parties civiles et le ministère public, qui cherchent à discréditer son propos en pointant des incohérences. La défense proteste, et demande que ce témoin, pour elle important, puisse déposer dans la sérénité, observations écartées par le président de la cour d’assises.
Et la Cour de cassation n’est pas d’accord. « La cour d'assises a imposé à l'accusé une charge disproportionnée qui rompt le juste équilibre entre, d'une part, le souci légitime d'assurer le respect des conditions formelles pour la saisir et, d'autre part, le droit d'accès de ce dernier à cette instance». En refusant de prendre en considération, lors de l'audience, les observations de la défense, le président de la cour d’assises a péché par « excès de formalisme », portant ainsi « atteinte à l'équité de la procédure ».
La Cour casse l’arrêt de la cour d’assises, et ajoute qu’ainsi elle n’a pas à examiner les autres moyens formés contre cet arrêt.
Yvan Colonna est ainsi en détention depuis sept ans, alors qu’il est toujours présumé innocent. Un délai tout de même peu raisonnable, alors que l’un de points d’achoppement est la réalisation d’actes d’instruction sur les circonstances des faits, douze ans après les faits. Ce qui pose la question du délai raisonnable de cette détention provisoire. C’est le débat qui va être tranché dans les jours qui viennent, et la remise en liberté de celui qui reste accusé mais innocent, est désormais loin d’être une hypothèse d’école. Le point faible reste sa longue fugue, mais sept ans c’est trop long.
Dominique Erignac a ce soir de quoi être amère, si ce n’est écœurée. Son mari, préfet de la République, a été abattu de dos, en pleine ville. Douze ans après les faits, la justice n’a su dire qui a été l’assassin, et le procès a montré que c’est toute la machine qui s’est enraillé, dès les premiers instants de l’enquête judiciaire, ce qui laisse autant d’incertitudes sur le troisième procès.