Affaire Merah : que la vérité soit dite, aussi déplaisante soit-elle…
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Par Gilles Munier
Deux affaires criminelles ont ensanglanté la France pendant la campagne présidentielle du premier tour : l’affaire Merah et celle de l’Essonne (quatre meurtres perpétrés par un motard). Elles ont été traitées différemment par les médias et l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy parce que le ou les assassins présumés de la seconde n’étaient pas musulmans et sans lien possible avec Al-Qaïda ou la question palestinienne. Pour le président sortant, il n’y avait aucun point à gagner dans les sondages au détriment de Marine Le Pen …
La médiatisation forcenée de la liquidation de Mohammed Merah - dont il avait surestimé les gains - ne lui aurait fait gagner qu’un point tout au plus, vite rogné ; les électeurs du Front National préférant le discours leur candidate plutôt que sa copie.
Le siège de l’appartement de Merah, transformé par le ministre de l’Intérieur Claude Guéant en spectacle médiatico-sécuritaire, n’aura donc servi à rien, mais il a conforté les islamophobes de tous poils dans l’idée que l’islam est un danger. Il est donc urgent que la vérité soit dite sur le parcours et la mort de Merah, aussi déplaisante soit-elle. Donner l’ordre de tuer un criminel présumé, quand on a la possibilité de le neutraliser autrement, est un crime. Faire classer son dossier « Secret défense », sans raison apparente, est un délit grave.« Nous verrons, au terme de l'enquête », a déclaré François Hollande en campagne, « qui a dirigé les choses et comment interpréter leur action » (1). Espérons qu’élu, il n’enterrera pas l’affaire.
La police poursuit son enquête. Abdelkader Merah, frère du tueur présumé, est maintenant sur le gril. Quatre juges d’instruction mènent les investigations. On l’accuse d’être « antisémite » parce que, musulman, il ne supportait pas qu'un de ses frères soit marié à une juive, et d’avoir « aidé matériellement » Mohamed. Son avocate affirme qu’il n’a eu « aucun rôle de complicité logistique » (2). En revanche, il n’est plus question de l’individu qui a envoyé la vidéo des crimes de Montauban et de Toulouse à Al-Jazeera, ni de celui – prétendant être Mohamed Merah - qui a téléphoné à France 24 d’une cabine située, dit-on, à deux kilomètres du domicile assiégé de ce dernier. On est sans nouvelles aussi de Maître Me Zahia Mokhtari, mandatée par le père de Mohamed Merah pour défendre la mémoire de son fils. Le 1er avril, elle a affirmé détenir un DVD où l’assassin présumé clamait son innocence. Le Consulat de France à Alger aurait refusé de lui accorder un visa.
Mourad Dhina,
victime collatérale de l’affaire Merah ?
Le mystère s’épaissit un peu plus quand on apprend que l’avocate algérienne serait proche d’anciens membres de l’AIS (Armée islamique du Salut) – branche armée du FIS, auto-dissoute en janvier 2000 - aujourd’hui en relation avec le DRS, la police politique du régime d’Alger.
Selon des opposants algériens bien informés, l’annonce qu’un DVD infirmant la thèse officielle de la sarkozie serait bientôt remis à la justice française était un moyen de pression pour obtenir l’extradition, ou tout du moins le maintien en détention de Mourad Dhina, militant islamique des droits de l’homme incarcéré depuis le 17 janvier à la prison de la Santé. Co-fondateur du Mouvement Rachad (Droiture), bête noire des éradicateurs d’Alger, il militait pour le boycott des élections législatives qui se dérouleront le 10 mai 2012 en Algérie (3).
Les opposants que j’ai rencontrés avaient-ils raison ? Le 5 avril, la Cour d'appel de Paris a renvoyé sa décision au 6 juin, dans l’attente d’un « complément d’information ». Mourad Dhina a réintégré sa cellule et son avocat demandé sa mise en liberté provisoire, éventuellement avec bracelet électronique. Les juges, prudents, attendront certainement les résultats du second tour de la présidentielle pour lui répondre.
(2) Mohamed Merah, une histoire de famille, par Ondine Millot (Libération – 19/4/12)
(3) La menace d’extradition pèse toujours sur Mourad Dhina