« Big Brother » n'a qu'à visiter les réseaux sociaux
[ 26/03/10 ]
Dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, l'ex-président George Bush avait secrètement autorisé le FBI à lancer le projet Carnivore.
La police fédérale américaine voulait développer des programmes informatiques permettant de relier entre elles toutes les bases de données personnelles (impôts, achats chez les commerçants, etc.). Il s'agissait de se donner les moyens de suivre à la trace (informatique) n'importe quel individu susceptible de se transformer en terroriste… Informé par la presse de ce projet Big Brother, le Congrès américain lui brûla les ailes en supprimant son budget.
Dix ans plus tard, les agences de sécurité fédérales américaines n'ont peut-être plus besoin de se lancer dans des projets informatiques si liberticides pour arriver au même résultat.
L'engouement croissant des internautes pour les sites de réseaux sociaux est en effet tel que de plus en plus les informations personnelles mises en ligne volontairement par les utilisateurs suffisent désormais pour qu'on sache presque tout de leurs faits et gestes. On peut ainsi faire savoir à tout le monde, sur Facebook ou Twitter, où l'on se trouve, ce que l'on fait et avec qui.
On peut même maintenant publier la liste de tous ses achats en ligne. Depuis mi-janvier, Blippy, une start-up de la Silicon Valley propose en effet un service qui offre d'enregistrer ses informations bancaires (numéros de cartes de crédit) afin de rendre immédiatement visible chaque achat effectué avec ces moyens de paiement…
Dirigée par des entrepreneurs expérimentés d'Internet et financée par de grandes sociétés de capital-risque de la Silicon Valley, la start-up reconnaît qu'elle a eu du mal à convaincre ses premiers utilisateurs que cet exhibitionnisme de leur consommation pouvait leur permettre de recevoir conseils et astuces du « réseau ». Mais finalement, il paraît que les internautes non seulement se l'approprient mais qu'ils en rajoutent. Par exemple en détaillant leurs achats lorsqu'ils sont groupés dans une seule facture de carte de crédit…
Plus le nombre d'informations personnelles disponibles en ligne augmente ainsi, plus elles sont exploitées et intégrées. D'abord par des services marchands : Facebook propose aux entreprises commerciales de plus en plus d'outils pour communiquer avec ses utilisateurs, sur la base des informations qu'ils placent sur Internet. D'autre part, les connexions entre les applications du Web elles-mêmes démultiplient l'effet. Toute la philosophie de « Buzz », lancé par Google il y a quelques jours, est de disposer instantanément de 175 millions d'utilisateurs de son nouveau service de réseau social en l'intégrant à sa messagerie électronique Gmail.
Certes, cette évolution rencontre quelques résistances. Facebook a dû modifier plusieurs fois ses projets de commercialisation des données disponibles pour ses annonceurs. Et même si Google a modifié trois fois en une semaine les réglages « Privacy » de son nouveau service, il n'a pu empêcher le puissant Electronic Privacy Information Center, une association non gouvernementale, de déposer une plainte contre Buzz pour insuffisance de garanties concernant les données personnelles des utilisateurs.
Pour autant, ces actions ne semblent pas de nature à freiner véritablement le mouvement. Du moins aux Etats-Unis. Les jeunes générations d'internautes, moins sensibles que les autres à ces enjeux sécuritaires, se laissent facilement séduire par ces services qui leur permettent d'échanger toujours plus. Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, constatait récemment que la mentalité des internautes évolue si vite que la frontière de ce qu'il est socialement possible de partager en public est sans cesse repoussée…
Une évolution qui ne semble se heurter à aucune réticence du gouvernement américain. Conseillé pendant sa campagne électorale par le fondateur de Facebook, le président Obama se félicite d'avoir été élu (en partie) grâce au buzz généré sur les réseaux sociaux. Depuis son élection, la bienveillance de la Maison-Blanche à l'égard de ces réseaux semble même tourner à l'idéologie, s'inquiètent certains observateurs aux Etats-Unis.
Ainsi, Evgeny Morozov, chroniqueur diplomatique réputé, assure que la ministre des Affaires étrangères, Hillary Clinton, encourage financièrement toutes les organisations favorisant la diffusion des réseaux sociaux dans les pays non démocratiques. Selon lui, l'Administration américaine le fait parce qu'elle estime que ces sites de réseaux sociaux, provoquant une communication plus libre et sans limite, sont un puissant facteur d'accélération de la démocratie dans les pays totalitaires. Pour Evgeny Morozov au contraire, l'expansion de ces nouveaux services en ligne risque de mettre à la disposition des pouvoirs non démocratiques les instruments d'une vraie « dictature numérique ». On n'en est pas là au pays de l'Oncle Sam, mais les instruments sont là…