Désobéissance pédagogique : l’appel à l’insurrection des consciences d’Alain Refalo
Malgré les sévères sanctions dont il a fait l’objet pour avoir refusé ouvertement d’appliquer les réformes de Xavier Darcos (lire libé Toulouse du 26/08/2009), il y justifie son combat en faveur de l’école publique menacée, selon lui, «par des réformes scélérates». Entretien
Alain Refalo : Un grand désarroi règne chez les enseignants que les dernières réformes n’ont fait qu’accentuer. Ils ont le sentiment d’être méprisés, peu écoutés et en plus on ne leur fait pas confiance. La pression augmente avec la culture du résultat et de la performance qui est imposée par la hiérarchie. Alors que les difficultés auxquelles ils sont confrontés ne cessent de s’accroître, le gouvernement réduit drastiquement les moyens et supprime des dizaines de milliers de postes. Dans le primaire, l’esprit de compétition est en train de se distiller dans des dispositifs qui heurtent la conscience professionnelle de nombreux enseignants partagés entre résignation et révolte.
Le mouvement de résistance pédagogique rassemble 3 000 enseignants-désobéisseurs sur les 380 000 en poste. Est-il un épiphénomène comme le cataloguent Xavier Darcos et son successeur Luc Chatel?
Dans les nouveaux programmes, vous contestez l’instruction morale et civique et notamment l’apprentissage de la Marseillaise.
Alain Refalo : Les auteurs de ces programmes avaient la nostalgie de la phrase de morale inscrite au tableau noir. Si l’amélioration du comportement des enfants tenait dans ces quelques maximes apprises par cœur, cela se saurait ! Nous préférons parler d’éducation citoyenne, d’éducation au vivre ensemble. Ce n’est pas l’étude en classe de la Marseillaise qui pose problème que d’apprendre aux élèves à la chanter comme un hymne sacré et immuable. Cela s’apparente à de l’embrigadement ! Il est essentiel de resituer ce chant dans son contexte guerrier, mais également de dénoncer tout qui dans ce chant légitime la haine et la violence. C’est faire œuvre utile pour l’avenir que d’apprendre aux élèves à faire preuve de discernement et de pensée, tant vis-à-vis des paroles de la Marseillaise que des lois de la République, comme le préconisait d’ailleurs le ministre de l’instruction publique Paul Bert, en 1882. C’est pourquoi je suggère que nous rendions un grand service à la Nation en proposant aux élèves de réécrire certaines paroles de l’hymne national pour en faire véritablement un hymne à la fraternité. Car dans ce monde malade de la violence, c’est bien de fraternité dont nous avons besoin.
Pourquoi contestez-vous les évaluations nationales et que proposez-vous ?
Vous épinglez l’action décevante des syndicats d’enseignants, lesquels devraient, selon vous, revisiter leur logiciel de résistance.
Alain Refalo : Ils sont en retard d'une bataille. Ils sont majoritairement restés sur le mythe de 1995 lorsque les grèves et les manifestations avaient fait reculer le gouvernement Juppé. Le pouvoir a su tirer les leçons de cet échec. Il sait faire face à des mouvements de grève et ne pas reculer. Les syndicats d’enseignants sont-ils prêts à neutraliser les réformes néfastes qui déconstruisent l’école publique ou bien vont-ils continuer à s’en accommoder tout en organisant de temps en temps des journées d’action ponctuelles et sans lendemain ? La résistance par la désobéissance apporte des pistes nouvelles d’action collective sur la manière d’organiser une pression permanente sur le pouvoir, tout en mettant en œuvre des alternatives constructives au service de tous les élèves. Ce qui rend cette action très populaire. Les syndicats devraient s'en inspirer.
Dans votre livre, vous faites l’éloge de «l’insurrection des consciences qui vient».
Alain Refalo : C’est un clin d’œil à Xavier Darcos qui nous a accusés d’être manipulés par l’ultra-gauche, précisément en pleine affaire Julien Coupat ! Depuis plusieurs années, des citoyens s’engagent dans des actions de désobéissance civile, par exemple aux côtés des sans papiers et des exclus. Ces luttes contre les injustices sociales et économiques sont porteuses d’espérance. Lorsqu’un gouvernement abuse de son autorité, malmène la démocratie et les libertés publiques, l’insoumission collective non-violente m’apparaît comme la seule voie radicale, responsable et réaliste pour sortir de la «servitude volontaire» dans laquelle le pouvoir aimerait tant maintenir le peuple d’en bas. Face à la répression et la politique de la peur, la résistance non-violente est une exigence morale tout autant que politique.
Propos recueillis par Jean-Manuel Escarnot
«En conscience, je refuse d’obéir. Résistance pédagogique pour l’avenir de l’école», Editions des Ilots de résistance, 256 p. Parution le 14 janvier. Prix : 16 euros