Haïti : Les quartiers riches presque épargnés
Le luxueux quartier de Pétionville a été peu touché par le séisme. Quelques maisons seulement se sont effondrées et les habitants ont pu fuir.
28.01.2010 | Juan Carlos Chavez | El Nuevo Herald
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Sur les hauteurs des collines de Pétionville, à Port-au-Prince, il n'y a ni morts ni gravats dans les rues. Le tremblement de terre qui a endeuillé le peuple haïtien le 12 janvier n'a pas trop touché les riches qui vivent là. "La plupart ont préféré partir en attendant que ça se calme. Quelques maisons se sont effondrées, mais pas beaucoup. D'après moi, ce n'est pas grave : les propriétaires en feront reconstruire une autre", assure Jean Robert, un ouvrier haïtien de 55 ans venu travailler dans ce quartier chic pour renforcer un mur de soutènement.
Mais à peine descend-on la colline que le paysage change et que l'on passe presque sans transition des larges rues rectilignes bordées d'arbres à un amas de petites constructions fragiles. Sous les gravats, des cadavres n'ont toujours pas été récupérés et les sinistrés réclament à cor et à cri l'aide des organisations internationales.
Entre-temps, au sommet, les affaires continuent, et l'hôtel Ibo Lelé, de Montagne Noire, n'a pas fermé ses portes ; dans les ensembles résidentiels, comme La Clos, c'est à peine si les murs sont fissurés. Même l'église fortifiée du quartier, la paroisse de Divine Mercy, peut estimer avoir eu de la chance. Il y aura sans doute une messe ce dimanche, et la lézarde qui court sur les murs de l'autel sera bien vite réparée.
"Ici, ce n'est pas pareil", commente le curé de la paroisse, le père Calixte Hilaire, à propos de l'impact minime du séisme sur les familles riches des environs de Pétionville.
Ce prêtre haïtien, qui anime depuis 2001 la paroisse de Divine Mercy, se dit très inquiet du climat d'incertitude et de chaos qui s'est abattu sur Port-au-Prince. Il a attendu l'aide des gens qui vivent dans le luxe, mais, pour l'instant, une seule famille, sur la petite centaine qui jusqu'à ce jour fatidique de janvier assistaient aux services religieux, a apporté des boîtes de conserve, de l'eau et des médicaments.
Janel Lettes, un vigile privé qui surveille et entretient une grande demeure, ne semble pas surpris que les riches ne participent pas davantage à l'élan de solidarité. D'après lui, une grande partie des habitants ont provisoirement déserté le quartier pour fuir la crise, mais aussi parce qu'ils étaient terrorisés par les répliques du séisme qui ont secoué la zone dans les jours suivants.
Sur sa chemise d'uniforme, Lettes porte un fusil en bandoulière. Il a passé la matinée à nettoyer la maison de ses patrons, une villa de cinq pièces avec piscine et antenne parabolique qui n'a pas résisté à la violence du tremblement de terre et qui devra être rasée.
Mais cela n'inquiète pas outre mesure son propriétaire, un commerçant qui a quitté le pays après le tremblement de terre et qui, à en croire Lettes, envisage de lancer le chantier de sa nouvelle maison dès que le marché des matériaux de construction aura retrouvé son niveau normal.
"Mis à part ça, comme vous le constatez, tout est tranquille", ajoute-t-il. "On croirait qu'il s'agit d'une mauvaise blague, parce que, en bas, les gens vivent un enfer. Ils ont faim, ils n'ont plus d'espoir."
Il est vrai que les désagréments que connaît Pétionville sont très anecdotiques par rapport au reste de la capitale : il n'y a plus d'essence pour remplir les réservoirs des 4 x 4 qu'apprécient tant les habitants de cette enclave ; l'école de danse classique a dû fermer provisoirement ses portes ; et le terrain de golf qui faisait autrefois la fierté des résidents a été réquisitionnée par l'armée américaine. C'est en effet de là que les militaires coordonnent leurs opérations, en particulier le transfert de milliers de sinistrés vers des régions plus sûres du pays.
"On a du mal à réaliser. Je crois que la situation ne fait que se dégrader", explique Cabrini Demesmin, un artiste de 30 ans qui exécute des tableaux et des gravures pour de riches clients. Demesmin a hérité la maison de son père à Pétionville, un avocat réputé, décédé il y a quelques années. Aujourd'hui, il la partage avec une dizaine de parents, qui continuent à penser que le pire est encore à venir.
"On nous a prévenus qu'il fallait s'attendre à de nouvelles secousses pendant au moins un mois", précise Demesmin.
Entre-temps, Lettes passe des heures à écouter les informations à la radio et à se demander où échoueront les quelque 500 000 personnes qui sont aujourd'hui à la rue. "Sur les hauteurs de Pétionville, il reste beaucoup de place", commente-t-il.
source : Courrier International