Hollande ne peut se passer des réseaux françafricains
mise à jour 16/05/2012
Il n’y aura plus de cellule africaine à l'Élysée, du moins c’est ce que le nouveau président français a décidé. Mais la rupture se décrète-t-elle?
Cérémoine de passation des pouvoirs entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, Elysée, 15 mai 2012 REUTERS/Benoit Tessier
C’est fait: Hollande est aux commandes de l’Hexagone depuis hier mardi. Il a tout de suite marqué la différence avec son prédécesseur, notamment en supprimant la fameuse cellule africaine de l’Elysée au centre de tant d’intrigues. Mais quid des financements occultes, des peuples et des dirigeants?
Une telle mesure, c’est assurément bon pour le moral, même si dans l’imaginaire collectif, très peu d’Africains parmi les mieux informés croient en ce qui peut paraître un numéro de prestidigitation. La chirurgie sera très difficilement acceptée dans certains milieux. La résistance des mafieux, leur métamorphose, on en a fait le constat sous Mitterrand. Sarkozy qui avait promis la rupture avait lui aussi dû reculer. Voilà pourquoi, très peu en Afrique se laissent convaincre qu’il sera aussi facile de se débarrasser d’une cellule aussi vieille qu’envahissante, avec des ramifications partout, même parmi les lobbies socialisants.
La France a toujours cheminé avec les cellules sombres. On n’a pas forcément besoin d’un siège à l’Elysée, Matignon ou autres, pour faire fructifier certains intérêts. Par exemple, les milieux huppés de la Francophonie pourraient bien faire l’affaire et servir de bouées de sauvetage le cas échéant. La connaissance du terrain et des hommes, les archives et les réseaux sont des acquis dont un nouveau régime se passe difficilement sur l’échiquier international.
Que pourrait bien faire Hollande face aux intérêts de l’entreprise française en Afrique? La situation intérieure et sa réélection en dépendront. Il faut donc s’attendre à tout et ne pas exclure la multiplication de substituts. Sur la base d’intérêts hétéroclites, les uns pourraient s’acoquiner avec d’autres, pour traiter des mêmes affaires au profit de la république des mafieux. Peut-être l’esprit va-t-il changer. Mais pour un temps seulement.
Car, aussi bien en France, en Europe qu’ailleurs, Hollande aura des défis de taille à relever. Autant que la rupture, la suppression de la cellule africaine de l’Elysée ne se décrète pas. Il faut savoir se garder des effets d’annonce. La suppression d’une entité ne signifie pas qu’elle ne peut pas renaître de ses cendres. Le passé est riche d’enseignements à ce sujet.
S’agissant en particulier de l’Afrique, il lui faudra bien s’entourer, s’il ne veut point voir repousser l’hydre aux mille têtes. Nul doute en effet que les lobbies de la droite brute qui boivent depuis des lustres à la source coloniale se sont longuement préparés à parer le coup. Et les rivaux de l’Hexagone feront-ils pour autant disparaître leurs «cellules africaines»? De tous côtés, des experts viendront, qui chercheront à occuper les places laissées vacantes.
A contrario, Hollande pourrait bien aider les dirigeants africains à «grandir», ne serait-ce qu’en les marginalisant. L’orgueil piqué, ils auraient ainsi l’opportunité de se responsabiliser davantage. Nos finances et notre dignité s’en porteraient bien mieux. La réhabilitation et le renforcement de liens d’amitié et de coopération mutuellement avantageuse avec l’Afrique passent inévitablement par une petite cure. Il est temps de mettre fin à ces courbettes d’autres époques, à ces escapades et à ces pleurnicheries. Elles n’ont jamais profité qu’aux quelques acteurs d’un théâtre dont, à vrai dire, les peuples d’Afrique et de France n’ont jamais été friands.
Comme le dit la rumeur, et contrairement à plusieurs de ses prédécesseurs, peut-être que Hollande ne sait-il pas grand-chose de l’Afrique. Mais les Africains, qu’attendent-ils réellement de la France d’aujourd’hui? Et d’ailleurs, quelles catégories d’Africains? C’est pourquoi la société civile africaine est interpellée, suite à cette décision qui va marquer l’époque et des générations de leaders.
Si en France, Hollande entend privilégier la justice et la jeunesse, il lui faudra aussi savoir prendre ses responsabilités en conséquence, étant donné le faisceau d’imbrications qui lient l’Afrique et l’Hexagone. En attendant, on a pu sans gêne saluer son geste, son audace et sa franchise. C’est important, ne serait-ce que pour le symbole, les fameuses cellules ayant été décriées des décennies durant.
En Afrique, ces relations incestueuses n’ont jusque-là profité qu’aux dirigeants le plus souvent impliqués dans des affaires de corruption et lâchés par les peuples aspirant à un changement véritable. Sous Nicolas Sarkozy, la France s’était illustrée par une diplomatie à géométrie variable. Malgré les discours sur la démocratie, la protection était assurée aux gouvernants à vie, aux dirigeants médiocres et vomis des peuples.
L’Afrique de la génération montante a hâte de se débarrasser de ces potentats et leurs groupes mafieux. Ils ont suffisamment pillé les ressources nationales, mis les économies à genoux. Ils n’ont vraiment jamais aimé leurs peuples. Sinon comment peuvent-ils, après plus de cinquante années d’indépendance, s’accommoder de les voir dans leur misère, pendant qu’eux-mêmes font scandaleusement étalage de leurs fortunes acquises le plus souvent dans des conditions illicites?
A preuve, le stade de développement actuel des pays d’Asie, d’Orient et d’Amérique latine. Après s’être battus et libérés des griffes de l’envahisseur bien après la plupart des pays d’Afrique, ils ont pris de l’avance. Tant et si bien que plusieurs fois, ils dament le pion aux pays fortement industrialisés, au point de mettre en péril leurs économies. Avec sa fixation sur la justice, Hollande fait rêver. Fini le temps de l’impunité en Afrique francophone et de la protection à l’infini en France?
Le nouveau regard devra être plus objectif vis-à-vis du combat des peuples africains. Mais, la mesure de François Hollande ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau si les Africains ne parviennent pas à se saisir de l’opportunité ainsi offerte. Ils doivent s’affranchir de ces tutelles nauséabondes et prendre leurs responsabilités. La suppression de la cellule africaine à l’Elysée doit faire prendre conscience à certains chefs d’Etat africains qu’il est temps d’être majeurs, d’être à l’écoute de leurs peuples.
Il faut sortir de l’anonymat désastreux tout comme de cette dépendance légendaire qui a longtemps caractérisé les rapports bilatéraux et multilatéraux. L’Afrique a suffisamment de ressources pour relever les défis à venir. Hollande sera-t-il un grand président? L’avenir nous le dira. La prochaine fête du 14 Juillet et le sommet de la francophonie en octobre 2012 donneront peut-être des indications devant permettre de situer l’opinion, s’agissant de la nouvelle politique française en Afrique. En tout cas, il a démarré son premier quinquennat avec un acte fort, la suppression de la cellule africaine.
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