L’avènement de l'arche de Noé de l’OTAN : Le déluge pour le Monde d’en bas

Publié le par sceptix


Mondialisation.ca, Le 27 novembre 2010

Pr Chems Eddine Chitour

«Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps: Tu ne nous as point donné un coeur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger; (...) faites que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère;(..) Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères!»

 Voltaire (1763)

En son temps, Voltaire parlait aussi du désastre de Lisbonne en 1759. 2010: un autre désastre issu de l’égoïsme sans borne des hommes, en l’occurrence, le sommet de l’Otan à...Lisbonne. On sait qu’ après la Guerre froide, marquée par la dislocation de l’Urss, la fin du Pacte de Varsovie pendant de l’Otan, on pensait que l’Otan avait perdu sa raison d’être. Il n’en fut rien, on se souvient comment la Serbie a été démolie par les avions de l’Otan stationnés sur la base d’Aviano en Italie. Le Sommet de l’Alliance atlantique, qui s’est tenu à Lisbonne les 19 et 20 novembre 2010, a adopté le nouveau Concept de l’Otan. La nouvelle doctrine concrétise rien moins qu’un nouveau gouvernement planétaire, sorte d’arche de Noé pour 47 Etats qui seront «sauvés» parce que protégés de la colère de l’Otan et les autres qui seront des candidats au déluge parce n’appartenant pas à la caste des «élus». Des milliards de dollars vont être dépensés en pure perte alors que la famine menace 1 milliard de personnes. Le budget de l’Otan est de près de 250 milliards de dollars. L’ONU demande un don de 100 millions de dollars pour lutter contre le choléra qui fait des ravages en Haïti.

« Le Sommet de Lisbonne, écrit l’ambassadeur algérien Hocine Maghlaoui, s’est tenu dans un contexte marqué par une tendance en Europe axée sur les restrictions budgétaires en matière de dépenses militaires. Ceci est de nature à creuser l’écart entre ces derniers et les Etats-Unis qui assurent déjà près des trois quarts des investissements militaires de l’Alliance. Ceci va donner lieu à des réformes complexes des structures. (...) Le Concept stratégique est en général accompagné d’une Directive stratégique destinée à être utilisée dans le cadre de l’établissement des plans de défense de l’Otan. Le nouveau Concept entend donner à l’Otan une nouvelle mission. Le Sommet de Lisbonne a adopté le nouveau Concept stratégique de l’Otan. Le nouveau Concept vise à conforter l’Otan dans un rôle planétaire et à en faire la seule puissance globale dans le monde au service des seuls intérêts occidentaux. (...) »(1)

L’économiste Jacques Cossart s’interroge sur « Qui donc protéger? Bien sûr, la tâche est considérée comme aussi noble qu’indispensable: protéger les peuples du terrorisme! Cette « protection » passe, bien entendu, par celle des propriétaires du capital. La paix, comme bien commun! La nouvelle fonction affichée, écrit Niels Anderson du Conseil scientifique d’Attac: assurer sur le continent européen la stabilité du nouvel ordre mondial. En 1999, le deuxième « nouveau concept stratégique de l’Otan » fixe comme objectif de «sauvegarder - par des moyens politiques et militaires - la liberté et la sécurité» de l’Amérique du Nord et de l’Europe, c’est-à-dire de devenir le bras armé des intérêts occidentaux et de l’économie de marché. (...) Quel est le troisième «nouveau concept stratégique» de l’Otan? Pour l’élaboration de ce nouveau concept stratégique il a été créé en septembre 2009 un «Groupe des sages», groupe d’experts placé sous la présidence de Madeleine Albright, qui fut la secrétaire d’État ultra-atlantiste de Bill Clinton, et la vice-présidence de Jeroen Van der Veer, ancien P-DG de Royal Dutch Shell. Parfaite illustration d’une Otan instrument militaire de l’idéologie atlantiste et protectrice des intérêts économiques des transnationales ».(2)

« Quelles sont les menaces considérées comme prioritaires? Toujours la menace terroriste, la piraterie et la prolifération nucléaire, mais d’autres priorités sont fixées: se défendre contre les risques de cyberattaques qui peuvent provoquer la paralysie d’un pays (la meilleure des défenses étant l’attaque, l’Otan profile la guerre cybernétique) et la sécurité des voies d’approvisionnement par pipelines ou maritimes. Le Rapport précise que «l’Otan a tout intérêt à protéger les axes vitaux qui alimentent les sociétés modernes». On ne peut être plus clair, le rôle du Traité de l’Atlantique Nord est d’assurer la sécurité énergétique et l’approvisionnement de moins de 15% de la population mondiale. Il est aussi demandé de prendre en compte la pauvreté, la faim, l’eau, les mouvements migratoires, le changement climatique, non pas pour résoudre ces fléaux et menaces mais pour les sources de crises et de troubles qu’ils représentent. Bras armé du néolibéralisme, l’Otan doit aussi servir à réprimer les peuples qui luttent pour leur survie ».(2)

 

Des capacités élargies

« Il est en particulier confirmé que l’Otan doit être dotée de «capacités expéditionnaires pour des opérations militaires au-delà de la zone du Traité». (...)L’échec de la guerre d’Afghanistan et de la guerre d’Irak, les conséquences de la crise financière auxquelles est confrontée l’Otan, sont des réalités qui pèsent sur le nouveau concept stratégique adopté à Lisbonne. La première étape du nouveau concept stratégique a été l’élargissement de l’Otan sur le continent européen en intégrant des pays de l’Europe centrale et orientale. Avec l’adhésion de 12 nouveaux membres depuis 1999, elle a pratiquement doublé de taille. Leur énumération permet de comprendre la toile tissée par l’Otan dans la zone euro-atlantique et hors de celle-ci: le Partenariat pour la paix regroupe les pays européens ou de l’ex-Union soviétique d’Europe et d’Asie, non-membres de l’Otan, couvrant ainsi l’ensemble du continent; le partenariat avec l’Union européenne, considérée comme un partenaire stratégique global de l’Otan, autrement dit d’assujettir l’Europe de la défense aux États-Unis, dont le budget militaire représente 80% des budgets de l’ensemble des États membres de l’Otan, dans un monde néolibéral, disposer de 80% du capital ou de la force financière d’une société ou d’une institution, c’est détenir le pouvoir; le Partenariat avec l’ONU, sert à légitimer des opérations de l’Otan en lui transférant des prérogatives de l’ONU, le Partenariat avec la Russie, le Rapport des experts accorde une grande attention à la relation avec la Russie et on y relève que Moscou se montre «disposée à soutenir le transport aérien et terrestre des approvisionnements pour les forces de l’Otan en Afghanistan». À ces partenariats qui couvrent, au-delà des 28 États membres de l’Otan, l’ensemble de la zone euro-atlantique, viennent s’ajouter des partenariats ou des alliances ad hoc hors zone. » (2)

Niels Anderson décrit une «troisième mission: les interventions militaires pour «assurer la sécurité internationale». Il écrit:

«Le Rapport propose que l’Otan combine à l’avenir les approches militaires et civiles, en ayant recours au «savoir-faire dans le domaine civil» des institutions internationales ou des ONG.(...), la leçon tirée de la guerre d’Afghanistan n’est pas le développement économique et social, ni de rompre avec la logique du conflit de civilisations, mais bien d’avoir recours à la stratégie du déploiement d’un parapluie civil pour couvrir des actes de guerre! Concernant le retrait des armes nucléaires stationnées en Europe, ses conclusions sont sans ambiguïté. La stratégie de dissuasion demande le maintien de la composante nucléaire, aucun plan de désengagement du dispositif états-unien en Europe n’est envisagé et le groupe d’experts s’est prononcé contre tout retrait unilatéral. Plus encore, la défense antimissile est considérée comme «une mission militaire essentielle. » (2)

Vladimir Soloviev du journal russe Kommersant a interrogé l’ambassadeur russe à l’Otan, sur les attentes de Moscou. Ecoutons-le:

« Les négociateurs américains tentent sans cesse d’imaginer de nouvelles obligations pour la Russie (...) Avant, il s’agissait de retirer nos bases de Géorgie, nous l’avons fait, et pourtant nous avons eu la guerre. A présent, on voudrait nous forcer à retirer nos hommes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud (...) Je n’imagine pas que le président Medvedev revienne sur sa décision et personne ne peut l’imaginer. (...)La guerre en Géorgie a constitué un révélateur important. Elle a montré à l’Occident que la Russie était capable de prendre instantanément la décision de mettre en oeuvre d’importantes forces militaires pour protéger ses citoyens. Cela a été un choc pour les membres de l’Otan. L’autre surprise a été pour nous, quand nous avons découvert que finalement, l’Otan avait poussé la Géorgie. Mais juste après avoir incité Saakachvili à attaquer, l’Alliance a aussitôt botté en touche».(3)

Pourtant, la Russie de Medvedev s’intègre harmonieusement dans le grand dessein de l’Otan pour des raisons pécuniaires qui évacuent définitivement le côté idéologique. Ainsi, le journal Nezavissimaïa Gazeta vraisemblablement « inspiré », pose les conditions du partenariat. D’abord la livraison d’armes et d’hélicoptères russes à l’Afghanistan, la lutte contre le trafic de drogue. Mais aussi sur le « désengagement » d’Afghanistan, la possibilité pour les pays de l’Alliance de retirer leur matériel militaire et leurs hommes en passant par la Russie au lieu d’emprunter le chemin périlleux qui traverse le Pakistan. Les spécialistes affirment que cet accord nous rapportera plusieurs millions de dollars par mois. Est-ce une bonne affaire pour la Russie? Oui, et pas seulement du point de vue financier. Si un accord de collaboration sur un système de défense antimissile européen est également conclu à des conditions acceptables pour Moscou, c’est-à-dire en intégrant la production de notre complexe industriel de défense au lieu de se fonder sur le seul matériel américain, la « valeur ajoutée » pour notre pays sera indéniable. « Cela signifiera une reconnaissance par l’Europe de la qualité de notre armement qui, pour l’instant, n’arrive toujours pas à se frayer un chemin vers ces marchés. (..) Pour ce qui est de la coopération à propos de l’Afghanistan, (... notre armée n’a aucune raison de vouloir replonger dans ce rôle. (..) Les généraux russes avaient prévenu leurs homologues de l’Otan qu’une guerre en Afghanistan ne tournerait pas à leur avantage. On ne les a pas écoutés».(4)

Les grands oubliés

Dans tout ce ballet diplomatique un perdant: le Pakistan.

« L’accord, écrit l’éditorialiste du Daily Times, sur les routes d’approvisionnement conclu entre l’Alliance et Moscou, dessert les intérêts du Pakistan, qui n’est plus désormais un passage obligé vers l’Afghanistan. Islamabad y perd un outil de pression important, d’autant que les frappes de drones vont s’intensifier. Un article publié dans The Washington Post a secoué le pays. «Les Etats-Unis veulent élargir la zone d’intervention des drones au Pakistan», titrait le quotidien américain. Selon ce document, «cette demande américaine concerne la région de Quetta [capitale de la province pakistanaise du Baloutchistan] où serait installé l’exécutif du mouvement taliban. Ce document clarifie plusieurs points. Premièrement, les Pakistanais ont beau minimiser l’importance de la Quetta Shura [l’organe de décision des insurgés islamistes, dirigé par le mollah Omar] et nier sa présence, les Américains sont convaincus du contraire. Les raisons du refus pakistanais sont nombreuses. Quetta étant une très grande agglomération, les dommages collatéraux risquent d’être importants. Autre décision d’importance, l’Otan est parvenue à un accord avec Moscou afin de faire passer l’approvisionnement militaire occidental par la Russie à la frontière avec l’Afghanistan.(...) Notre défiance à l’égard de l’Inde et notre politique de «profondeur stratégique» ne nous ont menés nulle part. Notre pays est en train de s’effondrer devant nous, (...) Il est temps que notre gouvernement ouvre les yeux avant que le pays ne soit plus qu’un champ de ruines ».(5)

« Les pays du Sud, écrit l’ambassadeur Hocine Maghlaoui, sont les grands oubliés. Or, ils doivent être convaincus que l’Otan est autre chose que le règne de la terreur à travers le massacre de civils dans des frappes qualifiées de chirurgicales ou l’utilisation d’armes prohibées comme les bombes à uranium appauvri ou à fragmentations qui causent des dommages irréversibles aux populations. Que l’Otan n’est pas aussi l’intolérance intégrale contre tout ce qui s’oppose aux valeurs ou aux intérêts de l’Occident qu’elle défend par la force brutale en faisant fi des institutions de l’ONU, mettant en péril le système de sécurité collectif créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. » (1)

On peut s’interroger pourquoi l’Otan n’est pas « ouverte » à la Chine, à l’Inde ou plus généralement à tous les autres? Ceux d’en bas qui, eux, ont plus de besoin de sécurité, notamment de survivre? Pourquoi un bouclier et contre qui? Même si on appelle un chat un chat l’Iran est une perturbation de second ordre par rapport à l’armada de chacun des pays. L’ambassadeur d’Iran en Espagne a déclaré que toute option militaire de l’Occident contre l’Iran, serait pure folie. S’agissant de la Russie, Dmitri Medvedev, le nouveau Gorbatchev, est acquis pourvu qu’il ait un strapontin; nous sommes loin du nationaliste ombrageux de Vladimir Poutine à moins que lors des nouvelles élections il y ait une inversion des rôles. Combattre le terrorisme avec un bouclier antimissile? Cela risque d’être long, coûteux et sans effet, car le terreau du terrorisme sera toujours là tant que l’injustice des grands envers les petits continuera. Il est hors de doute que la nouvelle doctrine fera qu’il y aura plus que jamais un seul gendarme planétaire qui doit s’assurer des sources d’approvisionnement pérennes, notamment en énergie. Comme en Irak, l’armée de pacification américaine surveille les puits, elle le fera ensuite en Afghanistan à partir de 2014.

En conclusion, Niels Anderson remet l’homme au centre du débat. Il écrit :

« Dans le Rapport qui fonde la stratégie de l’Otan jusqu’en 2020, il est un mot qui n’est jamais mentionné, auquel il n’est nulle part fait allusion: le mot peuple. Il est donc plus que jamais important que les peuples rappellent leur existence aux experts, aux états-majors, aux politiques, aux idéologues atlantistes et qu’ils expriment leur opposition à l’Otan et à ses objectifs militaires, que les peuples demandent la dissolution de l’Otan et le respect de l’article 1 de la Charte des Nations unies, fondée sur une vision multilatéraliste du monde, précisant que seules les forces de l’ONU sont habilitées à «réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix». Au contraire de ce qui est écrit en conclusion du Rapport, l’Otan ne répond pas à «des besoins immuables», le seul besoin immuable des peuples est une politique de paix et non un engrenage et une logique de guerre ».(2)

On l’aura compris, les «élus» monteront dans l’arche protégé par un bouclier. Les damnés seront confrontés à des déluges au quotidien. A l’insécurité, à la famine, s’ajoutent les colères de la Terre sous forme de déluges provoqués par un Occident drogué aux énergies fossiles. Est-ce ainsi que les hommes vivent?

 

Notes/Références

1. Hocine Maghlaoui. L’Otan confortée dans son rôle planétaire. L’Expression 21.11.2010

2. Niels Anderson: Le «Nouveau concept stratégique de l’Otan»: assurer la défense et les voies d’approvisionnement des «sociétés modernes» Attac-France Novembre 2010

3. Dmitri Rogozine: «L’Otan n’est pas le gendarme du monde» Kommersant 17.11.2010

4. Pour un partenariat, mais pas à n’importe quel prix - Nezavissimaïa Gazeta18.11.2010

5. Editorial: Un grand perdant: le Pakistan Daily Times 22.11.2010

 

 

Pr Chems Eddine Chitour : Ecole Polytechnique enp-edu.dz

Publié dans OTAN-défense - ONU

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