Le festin des banksters pendant la peste

Publié le par sceptix

Richard Bach, l’auteur de « Jonathan Livingston le goéland » a écrit qu’il n’y a pas de problème assez énorme pour qu’on ne puisse pas le fuir. Et à lire la presse financière traditionnelle, on se demande s’il n’a pas raison !

Le but de cet article n’est pas de sombrer dans la déprime mais de pouvoir se préparer en toute lucidité. La plus grande des illusions est de croire que les problèmes soulevés par la crise pourront être résolu par l’intervention d’une quelconque autorité. C’est impossible car, étant la conséquence de trop d’excès et de dérives, ils sont tout simplement devenus trop importants.

Depuis avril 2010, je ne suis plus intervenu pour les commenter. D’une part il n’y a pas eu de développements véritablement nouveaux mais plutôt une aggravation des problèmes que j’ai déjà longuement décrits. Essentiellement la crise s’est répandue par la contagion des banques vers les Etats et des Etats vers les collectivités plus locales (Régions, villes, etc.).

En ces temps d’incertitude nombreux sont ceux qui s’interrogent sur l’avenir.

En ce qui me concerne n’étant doué d’aucun don particulier, je ne peux donc prédire l’avenir. Par contre, même en ignorant l’imprévisible, il est parfaitement possible d’identifier les éléments financiers critiques qui finiront, tôt ou tard par réagir ensemble dans un mélange détonant.

C’est ce que je vais tenter de faire en structurant l’article comme suit :

Les banques commerciales sont au cœur de la crise et je crois indispensable de rappeler qu’elles souffrent d’un manque de capital. On peut ensuite se demander si les « solutions » mises en place par les banques centrales pour les aider ne risquent pas de provoquer un jour, soit une forte déflation ou au contraire une hyperinflation ?

Ensuite, j’exposerai la situation actuelle de la crise au niveau mondial en évoquant plus particulièrement le cas des États-Unis, de l’Europe et de la Chine.

L’or étant un indicateur stratégique, il mérite que l’on s’y attarde. Je terminerai en rappelant que les programmes de trading restent un grave danger et en donnant les dernières nouvelles de la future monnaie mondial.

Les banques ont besoin de capital

On lit que les banques ont été gavées de liquidités par les banques centrales et donc qu’elles vont bien. Il s’agit là d’une grave erreur qui revient souvent, partant, je crois utile d’expliquer la nature du problème. Essentiellement il provient du fait que lorsqu’un prêt ou un instrument financier à l’actif du bilan d’une banque fait défaut, la perte influence négativement le capital de cette banque. Or la banque doit obligatoirement détenir en toute circonstance un niveau minimal de capital par rapport à ses dettes en application du principe de réserve fractionnée que j’ai souvent décrit.

A priori il s’agit là de notions arides et abstraites mais elles jouent un rôle tellement central dans la crise qu’il est utile de les approfondir.

Qu’est-ce que le capital ? Pour donner une image c’est une dette envers les actionnaires mais qui ne devrait jamais être remboursée.

Pour bien comprendre, partons d’un exemple didactique (avec des montants imaginaires) et considérons le cas d’une banque qui possède à son passif : 999 millions d’euros de dettes et 1 million de capital (sous la forme d’actions détenues par des actionnaires).

A son actif, elle a un milliard d’euros principalement sous la forme de différents prêts. Pour une banque, un prêt est un actif qu’elle possède.

Si par malheur certains clients ne remboursaient plus leur prêt, la valeur de l’actif du bilan de la banque diminuerait. Si cette valeur devait baisser de plus de 0.1% (soit 1 million d’euro), les pertes absorberaient la totalité du capital et la banque ferait faillite.

Face à cette situation, la banque envisage deux stratégies: la première, celle utilisée par la majorité des banques actuellement, est la suivante : imaginons que cette banque emprunte 1 milliard d’euros auprès de sa banque centrale à quasi 0% d’intérêts et qu’elle utilise cet argent pour acheter des obligations d’Etat qui lui rapportent 0.5%. Cette opération semble très rentable. Voyons à présent l’impact sur le bilan de la banque : le passif compte 1999 millions de dettes et toujours un million en capital et l’actif compte 2 milliards de prêts. Face aux dettes le capital a été dilué de moitié.

Remarquons qu’il n’y a aucune différence avec la situation initiale, en cas de pertes sur ses prêts, le petit capital de la banque disparaît. Un an plus tard, la banque reçoit du gouvernement 1005 millions, elle rembourse la banque centrale et empoche 5 millions.

Mais sa situation reste aussi fragile: si un peu plus de 0.6% de ses prêts devaient faire défaut, elle n’aurait plus de capital, ses actions ne vaudraient plus rien et ce serait la faillite.

La deuxième stratégie consiste à émettre de nouvelles actions pour augmenter le capital de 1 milliard d’euros. Aussitôt après cette augmentation de capital, la banque se retrouve avec les mêmes 999 millions d’euros de dettes et 1 milliard de prêts mais elle possède maintenant à l’actif un milliard en cash. Les fonds propres ont bondi de 1 à 1001 millions !

La banque peut prêter ce milliard supplémentaire, son ratio fonds propres/endettement est considérablement augmenté et ne pose plus de problème. Elle peut même prêter pour financer des projets plus risqués et demander un taux bien plus élevé que les 0.5% proposé par l’Etat.

On voit que dans les deux cas, la banque reçoit 1 milliard d’euro mais lorsque cet argent est reçu sous forme de prêt, la situation de la banque reste très fragile. On comprend également que lorsque les choses tournent mal et que les banques ne peuvent emprunter, pour éviter la faillite, elles doivent convertir leurs dettes en capital. Ceci se fait au détriment des actionnaires initiaux qui détiennent, après cette conversion, un plus faible pourcentage de la banque.

Les banques ont reçu beaucoup de cash sous forme de prêts des banques centrales qu’elles reprêtent aux gouvernements mais pour autant leurs situations restent périlleuses si leurs clients ou les instruments qu’elles détiennent devaient faire défaut.

Ainsi il apparaît que les banques sont largement sous-capitalisées pour affronter une crise.

Que faut-il craindre, l’inflation ou la déflation ?

Maintenant que la notion de capital minimal a été clarifiée, il est possible d’analyser la nature profonde du problème des banques commerciales et le rôle des banques centrales.

Rappelons que les banques centrales sont prioritairement au service des banques commerciales. Ceci n’est pas une nouveauté car cela a toujours été depuis l’origine et en l’occurrence, il ne faut pas faire preuve de naïveté. D’ailleurs, du point de vue d’une banque centrale, l’économie ne peut pas prospérer si elle n’est pas soutenue par des banques commerciales en pleine santé. Donc pour comprendre l’action des banques centrales, il ne faut pas se tourner vers le monde politique ou vers les économistes mais bien vers les banques commerciales.

Les Etats-Unis sont au cœur de la finance et de l’économie mondiale c’est pourquoi je crois utile de mettre l’accent sur la situation de ce pays et de prendre à titre d’exemple, l’évolution du système bancaire aux US depuis le début de la crise.

On se souvient qu’en 2008, la Fed a noyé les banques américaines avec des liquidités en leur rachetant une masse de produits toxiques illiquides liés au marché immobilier (1100 mlds de USD depuis mars 2009 dont la moitié en subprime) en payant avec de l’argent créé à partir de rien comme peuvent le faire les banques centrales. Finalement la Fed est devenue la fameuse « mauvaise banque » que le gouvernement américain avait envisagé de créer au tout début de la crise.

Afin de maintenir un certain niveau de capital les banques ne pouvaient garder ces titres sans ou n’ayant que peu de valeur et la Fed s’est « dévouée » pour éviter aux banques commerciales de devoir revendre avec des pertes abyssales ces instruments dont encore actuellement, personne ne veut, mis à part les banques centrales. Comme on le sait les banques commerciales ont accumulé ce cash sans le prêter anticipant les lourdes pertes futures. Théoriquement les banques pourraient utiliser ce cash pour le prêter et le multiplier, ce qui théoriquement pourrait entraîner une dilution de la valeur d’échange de l’argent et in fine une inflation des prix. C’est d’ailleurs ce que craignent ceux qui sont convaincus que c’est l’inflation qui nous attend. Pour éviter ce risque théorique, la Fed a décidé de payer des intérêts sur ce cash que les banques commerciales laissent dormir dans leurs coffres virtuels. Ainsi elle décourage les banques d’utiliser cet argent et leur verse chaque mois 230 millions de USD en intérêts pour ne rien faire.

Afin de ne pas enregistrer la moindre perte, la Fed enregistre dans son bilan, ces titres toxiques à leur valeur faciale. Officiellement elle pourra les revendre et retirer le cash du système bancaire quand la crise sera terminée ceci afin d’empêcher l’inflation. Reste à cet égard deux inconnues majeures: quand est-ce que la crise se terminera et que vaudront ces titres douteux à ce moment-là. D’ici là, la Fed vit dans l’illusion mais demain est un autre jour.

Le débat qui fait rage entre ceux qui craignent une inflation mortelle et ceux qui, comme moi, pense que nous plongeons vers la déflation (la destruction de l’argent par le non renouvellement et le non remboursement des crédits) tourne finalement autour du point central suivant: quelles pertes les banques devront elles essuyer dans les prochains mois et années ?

Lorsqu’une banque provisionne de l’argent pour affronter des pertes elle diminue ses profits et surtout ses fonds propres. Il est évident que c’est absolument la dernière chose qu’une banque souhaite faire. Traditionnellement lorsqu’un prêt immobilier fait défaut, la banque saisit le bien immobilier et le revend au plus vite pour rembourser le prêt et ne pas devoir enregistrer une perte qui absorberait une partie de son capital. Mais le marché immobilier est moribond et si les banques devaient revendre toutes les maisons saisies elles tueraient définitivement ce marché et ce faisant elles se suicideraient.

Alors que faire vu ces circonstances exceptionnelles ? En un mot: gagner du temps en attendant des lendemains meilleurs. Dans un premier temps les banques peuvent renégocier le prêt, proposer à l’emprunteur d’étaler les paiements sur une plus longue durée et réduire ses mensualités, offrir la possibilité à l’emprunteur de ne pas rembourser pendant quelque temps et de reprendre les paiements ensuite. Dans les cas extrêmes, les banques peuvent ne pas saisir les maisons: c’est ainsi que les témoignages sont de plus en plus nombreux de personnes qui continuent à vivre dans leur maison sans payer la moindre mensualité (ainsi au moins ils maintiennent la maison en état). On commence même à lire dans la presse que les deux géants nationalisés du crédit hypothécaire, Fannie et Freddy pourraient offrir des aides supplémentaires aux emprunteurs en réduisant leurs taux hypothécaires.

Le problème résulte du fait qu’avec la chute des prix, la valeur actuelle d’un bien immobilier peut être largement inférieure au capital qui reste à rembourser (on parle de « negative equity »). Des emprunteurs ayant vu la valeur de leur maison chuter si fortement sont ainsi très nombreux, et tellement découragés, qu’ils préfèrent ne plus rembourser; un phénomène marginal au début de la crise mais très réel actuellement. Mark Zandi, économiste en chef de « Moody’s Economy.com » et le professeur Robert Shiller de l’université de Yale ont mené une étude récente illustrant l’ampleur du désastre: 14,7 millions de prêts hypothécaires résidentiels (soit 19% du total) ont une « negative equity » de 770 mlds de USD ce qui met en danger les banques pour l’équivalent de 2400 mlds de USD de dettes. Afin de les aider, il semblerait que l’administration Obama va même demander à Fannie et Freddy (comprenez le contribuable américain) d’absorber en plus cette « negative equity » (en réduisant le capital qui reste à rembourser). Les Démocrates qui se préparent à vivre une défaite historique en novembre prochain compteraient sur cette annonce pour remonter dans les sondages !

In fine, l’essentiel pour les banques est qu’elles puissent maintenir à l’actif de leurs bilans ces prêts qui sont en réalité en défaut et qui devraient normalement être épongés par du capital. Mais ces banques qui accumulent des réserves savent que, sauf miracle, le pire est à venir. C’est l’ampleur de ces pertes qui est cruciale dans le débat inflation/déflation.

Retenons toutefois pour conclure que si les banques accumulent des réserves cela ne signifie pas qu’il va y avoir une hyperinflation prochaine. Les banques prêtent s’il y a une demande pour des prêts or actuellement celle-ci faiblit, le consommateur souhaite se désendetter et épargner. Par ailleurs, les banques prêtent uniquement si les candidats emprunteurs sont jugés solvables, ce qui n’est actuellement pas le cas.

La seule chose qui peut limiter le montant total des prêts d’une banque est le montant minimum de capital qu’elle doit garder. Les banques japonaises ont accumulé des réserves massives pendant des années et pourtant il n’y a jamais eu d’hyperinflation au Japon. C’est précisément le contraire qui s’est produit.

J’ai écrit et je maintiens que la déflation grandissante va faire paniquer les banques centrales ainsi que les autorités publiques et que sous la peur, elles commettront des erreurs fatales qui conduiront vers l’hyperinflation. Notons que lorsqu’une dynamique d’hyperinflation se déclenche, elle est souvent brutale. L’argent peut avoir été crée en abondance et « dort » jusqu’au jour où la population commence « à flairer un mauvais coup des autorités ». Les autorités publiques, les économistes, les banques centrales et commerciales sont alors surprises par un mécanisme qui s’emballe très rapidement et conduit vers une perte de confiance totale dans l’argent dette mais nous n’en sommes pas encore là.

La crise aux Etats-Unis

L’influence des US continue à s’éroder chaque jour. Aucun pays ne veut indisposer frontalement les Etats-Unis mais, dans les coulisses, les tractations vont bon train. Ainsi, signe des temps, lorsque Geithner demande au G20 de poursuivre la politique keynésienne de stimulation de l’économie par des dépenses gouvernementales, il n’est pas suivi. Il s’agit d’une caractéristique profonde de la crise, un rééquilibrage géopolitique à long terme en faveur de l’Asie.

Les indicateurs économiques continuent à montrer des tendances divergentes et ceux-ci, à peine publiés sont révisés dans le sens contraire le mois suivant. Dernier exemple en date, dans le secteur clef de l’immobilier: le chiffre de vente des maisons neuves aux US pour juin progresse de manière extraordinaire de 23.6% par rapport au mois de mai. Plus de doute la reprise est là ! Sauf que cette progression est essentiellement due à une forte révision à la baisse du chiffre de mai… . Et cela malgré la plus forte baisse mensuelle des prix de vente jamais enregistrée. Dans l’absolu, les chiffres de juin restent proches de leur niveau historique le plus bas. Autrement dit la situation de l’immobilier américain, intimement liée au déclenchement de la crise financière, est toujours désastreuse. Il en va de même pour la plupart des indicateurs: chaque analyste prend les chiffres qui soutient sa thèse tandis que la presse financière et la plupart des économistes continuent à porter des lunettes roses. Il est, à cet égard, amusant de voir la tête de la journaliste de la chaine de télévision financière, CNBC Europe qui essayait de convaincre l’investisseur de légende, Jim Rogers que les stress tests des banques européennes montraient la robustesse du secteur. Il lui a répondu que ces tests n’avaient pas de valeur et ensuite, visiblement irrité, il lui a déclaré « le rôle des agences de relation publique est de faire monter les cours de bourse. C’est ce que CNBC et d’autres agences de relation publique passent leur temps à faire. Oui, elles rendent les choses meilleures pour un moment. Sont-elles vraiment meilleurs, Non ! ». Cela résume ce que nous observons depuis le début de cette crise : une divergence de plus en plus grande entre la réalité sur le terrain et celle dérivée des indicateurs ou commentaires officiels. D’où le succès grandissant sur Internet des medias alternatifs.

Pour maintenir des profits face à des chiffres de ventes toujours plus décevants, les grandes entreprises réduisent les coûts, accumulent les plans sociaux, n’investissent plus et amassent des réserves en prévision des années difficiles à venir. Mais les PME aux Etats-Unis ne peuvent se permettre ce genre de camouflage et là, l’indice « Wells Fargo/Gallup Small Business » plonge, mois après mois, reflétant la véritable réalité du terrain celle qui est proche des gens et loin des économistes accrochés à leurs modèles économiques mathématiques.

La situation budgétaire des différents Etats américains continue à se dégrader de jour en jour. Une trentaine d’Etats sont simplement au bord de la faillite, les rentrées fiscales fondent, les fonds de pension publics glissent dans le rouge et le nombre de personnes dépendant de l’aide sociale croit.

L’immobilier commercial voit les volumes des ventes fondre mais n’a pas encore commencé sa véritable grande descente. Il faut dire que les grandes banques qui ont prêté de l’argent à ce secteur n’ont vraiment pas envie de voir une chute brutale et sont dès lors prêtes à renégocier les prêts plutôt que de les voir en défaut de paiements.

Face à cela il est probable que la Fed lance une deuxième vague de « quantitative easing » (achat plus ou moins direct de titres par la Fed) qui sera aussi inefficace que la première, à part peut-être pour faire grimper provisoirement encore plus la bourse. Il ne faut pas exclure non plus, des aides plus directes du Congrès américain. Comme nous nous enfonçons donc en territoire inconnu, il est très difficile de faire des prévisions à court terme.

Le marché interbancaire européen

Le marché interbancaire en Europe continue à être caractérisé par la méfiance : chaque banque se demande quel « cadavre » est caché dans les armoires de sa voisine. C’est ainsi que l’on a vu les banques européennes déposer massivement leur cash auprès de la banque centrale européenne alors que cela leur rapporte moins que de se le prêter entre elles via, par ex, le marché des « repos » (ces prêts courts termes avec mise en dépôt de gages pour garantir ces prêts). Cette méfiance s’est encore accentuée si on constate que le taux

Euribor ( taux auquel les banques se prêtent de l’euro mais sans dépôt de gage en contrepartie) est le plus élevé depuis décembre 2009.

Inutile de s’attarder sur la récente grande opération médiatique du « stress test » destinée à rassurer le bon peuple que sa banque est saine. Les tests portaient uniquement sur le portefeuille de trésorerie des banques et n’incluaient pas les titres que ces banques gardent jusqu’à leur maturité et contenus dans les portefeuilles d’investissement (en général quatre fois plus important que ceux de la trésorerie). Signalons au passage que c’est pourtant là que ce trouvent parqués les instruments toxiques illiquides dont plus personne ne veut. Ils croupissent là dans l’espoir que le marché ressuscite un jour et ne sont enregistrés comme pertes que lorsqu’ils sont clairement déclarés publiquement en défaut. Le scénario du « pire » a été imaginé pour évaluer la résistance du système bancaire aux « pires » conditions. Par exemple pour la France, le « stress » signifie une récession de 0.1% en 2011 et une augmentation du chômage de 0.3%. Le Comité européen des contrôleurs bancaires (CECB) a ensuite « durci davantage » le test en imaginant l’apocalypse: une décote appliquée aux obligations émises par les pays les plus exposés (Portugal, Espagne, Irlande, Pologne) limitée à une fourchette de 10 à 15%, sauf pour la Grèce où la décote tombe à 23%, (ce qui reste très modéré). Devant un scénario aussi peu inquiétant comment résister à l’envie de crier à la fumisterie ? Comme quasi toutes les banques franchissent victorieusement le « stress test », elles peuvent se permettre au passage de réduire les provisions pour pertes futures et augmenter virtuellement leur profit.

Bon nombre d’analystes sérieux recommandent de ne pas perdre son temps avec ces « stress tests » et, faute de mieux, de regarder le traditionnel « leverage ratio » soit le rapport « total du bilan / capitaux propres de la banque ». Compte tenu que la plupart des banques « saines » ont un leverage ratio compris entre 30 et 35, il suffit de prendre un scénario de stress bien réaliste d’un taux de perte de 3% sur le total du bilan pour montrer qu’aucune banque ne pourrait résister sans aide, à une nouvelle crise sérieuse. Sauf que cette fois, dans le contexte actuel, les Etats seront bien en peine de procurer cette aide.

La situation de la Chine

Dans pratiquement tous mes articles je parle de la Chine. De mon point de vue, ce pays est potentiellement un détonateur de crise mais pas parce qu’il pourrait vendre soudainement les réserves colossales qu’il détient sous forme d’obligations gouvernementales américaines.

Pour rappel si la Chine prête des USD au gouvernement Obama c’est simplement parce qu’elle ne peut rien en faire. Les Chinois utilisent le Yuan, ils doivent donc échanger auprès de la banque centrale, les dollars qu’ils reçoivent des importateurs américains. Et comme la banque centrale doit bien faire quelque chose avec ces dollars, elle le prête aux américains.

On lit régulièrement que la Chine pourrait se débarrasser de ses obligations américaines mais ce serait suicidaire car les cours s’effondreraient et qui les achèteraient ? Le dollar s’effondrerait, la banque centrale ne parviendrait sans doute pas à empêcher un renforcement du Yuan et in fine, ce serait la mise à mort des exportations chinoises vers l’Amérique.

La méthode brutale est donc improbable. Par contre la Chine ne se gène probablement pas pour le faire de manière limitée et discrète. Mais alors comme elle se retrouve avec du cash en USD qui ne rapporte rien et elle doit bien l’échanger auprès de certains pays contre des actifs tangibles (comme des matières premières et surtout des mines). Mais que font ces pays vendeurs (en excluant les Etats-Unis) avec ces USD ? Ils achètent probablement en partie des obligations américaines et donc tout cela n’est qu’un transfert de réserve qui n’a pas d’impact majeur sur le cours du dollar.

Comment relancer la consommation si le consommateur américain habitué à acheter à crédit refuse d’acheter des produits chinois? Soit les chinois baissent leurs prix pour stimuler le consommateur mais c’est plutôt le contraire qui a tendance à se développer, devant une inflation galopante (voir ci-dessous) les ouvriers chinois commencent à se mettre en grève pour exiger des augmentations de salaire! Soit les banques américaines mettent fin à la déflation et prêtent à nouveau. C’est certainement le désir de Bernanke mais, à part dans la bourse, la déflation s’accentue. Et c’est logique: pourquoi les banques prendraient le risque de prêter alors qu’elles sont gavées de produits toxiques et que la situation économique et donc la santé financière des emprunteurs se dégradent. Et ce raisonnement s’applique également aux relations entre l’Europe, l’euro et la Chine. C’est ainsi que les chinois se retrouvent donc avec moins de devises à re-prêter aux gouvernements américains ou européens, ce qui va forcément amplifier la crise. Comme tout est lié dans une spirale vicieuse, c’est tout le commerce mondial et toute l’économie qui ralentissent car la croissance mondiale était illusoire et trouvait son origine dans un excès de dettes.

Si la Chine devait vendre un jour massivement ses obligations américaines ce serait en désespoir de cause. Elle préférera certainement plutôt les recycler en échange de DTS ( voir plus loin).

Je crois que ce qu’il faut suivre de près en Chine, c’est l’explosion prochaine de la méga bulle immobilière. Les autorités chinoises font tout pour gonfler le secteur immobilier car il fournit trop d’emploi à une population tellement nombreuse, dans une société tout à fait incapable de faire face à une éventuelle montée du chômage.

Traditionnellement les chinois ne déposent pas leur argent dans les banques mais connaissent bien les prêts entre particuliers où l’honneur exige de toujours rembourser quoiqu’il arrive. Même si pour rembourser, il faut réemprunter à des taux faramineux.

Le prix d’un appartement typique à Pekin représente en moyenne 22 fois le salaire annuel moyen !

On sait que cette bulle immobilière est alimentée par divers mécanismes spéculatifs à côté desquels, les « subprime » étaient bien primitifs. Citons par exemple un très ancien principe chinois, les prêts requins.

Les dirigeants communistes d’une zone, octroient à des promoteurs des permis de bâtir en échange de pots de vin. Pour se financer ces promoteurs se tournent vers les banques traditionnelles mais également vers les sociétés de prêts requins qui n’existent officiellement pas. Les mêmes dirigeants permettent à ces sociétés d’être actives dans leur juridiction en échange de juteuses commissions (ils peuvent même d’ailleurs faire directement partie de ces sociétés).

Comment fonctionne une société de prêts requins ? Cette société emprunte en permanence de l’argent d’une multitude d’intervenants du simple chinois jusqu’aux dirigeants corrompus de banques ou d’entreprises et elle réinvestit dans l’immobilier afin de profiter des plus values liées à la bulle.

Pour comprendre, prenons l’exemple réel, d’une enseignante chinoise avec un salaire mensuel de 4000 rmb qui vit dans la ville de Hangzhou capitale de la province du Zhejiang. Cette dame a acheté sa maison il y a 4 ans pour 500 000 rmb. Cette même maison vaut actuellement, 2 000 000 rmb. Profitant de cette flambée, elle a contracté un prêt auprès d’une banque communiste locale en donnant sa maison en garantie. Elle a ensuite prêté cette somme à une société de prêts requins qui lui procure un return annuel de 30%, soit 6 fois plus que son simple salaire et largement plus que les intérêts qu’elle doit payer à sa banque pour rembourser son prêt. La société de prêts requins, prête à son tour cet argent à des taux encore plus élevés, à des promoteurs immobiliers qui autrement ne trouveraient pas assez de capitaux pour financer leurs projets. Aussi longtemps que la bulle immobilière gonfle à bonne allure, le montage se maintient en vie mais dés qu’elle éclatera les conséquences seront plus que dramatiques. Et rappelons qu’il n’y a jamais eu dans le monde, à ce jour, de bulle immobilière que ne finisse par éclater…

D’ailleurs les premiers signes tangibles sont bien là, le nombre de centres commerciaux inoccupés grandit chaque jour (les vidéos sur ce sujet abondent sur Internet). Et dans le secteur de l’immobilier résidentiel ce n’est pas mieux. Ainsi par exemple, selon les chiffres officiels (on n’ose imaginer les chiffres réels), le nombre de maisons résidentielles vendues dans la ville de Xiamen plonge de 44.7% depuis le début de l’année. A Pékin (Tongzhou) le célèbre complexe immobilier « Heavenly Famous Garden » n’a pas vendu un seul appartement ces deux derniers mois et les prix n’ont plus progressé. Autre exemple, au printemps 2009 des appartements ont été mis en vente dans le centre de Péking près d’une nouvelle ligne de voie ferrée et les prix ont doublé jusqu’en avril 2010 mais depuis, plus aucune vente alors qu’un tiers des appartements sont toujours invendus et plus grave, les prix ne progressent plus. Toujours au même endroit, la société 21st Century a ouvert en mai de cette année, une agence en plein cœur du district et a vendu jusqu’à présent … un seul appartement alors que à cet endroit les prix ont baissé de 15%. C’est sans surprise que l’on observe que le « China Se Shang Property Index » a plongé de 42% l’année dernière.

Sans compter que les inondations actuelles risquent d’emporter quelques uns de ces projets immobiliers. Mais, pour enfoncer le clou, tournons-nous vers le dernier rapport de la compagnie de production d’électricité chinoise (SGCC) qui indique que dans 65,4 millions de maisons et appartements dans 660 villes à travers le pays, au cours des six derniers mois la consommation d’électricité a été … nulle. A priori personne n’habite dans ces logements assez nombreux pour accueillir 200 millions d’habitants soit l’équivalent de la population de la Russie, de l’Ukraine et la Biélorussie !

La plupart des budgets publics locaux sont financés par des ventes de terrains appartenant à l’Etat et par des rentrées fiscales liées à l’immobilier. L’explosion de la bulle aura un impact majeur en Chine et sur l’économie asiatique. Les autorités en sont parfaitement consciente et font tout pour retarder l’inéluctable. La seule question est simplement de savoir pendant combien de temps encore les stimulations financières en provenance du gouvernement central maintiendront cette bulle en vie ? A priori il semble bien qu’elle s’essouffle …

En attendant les banques chinoises estiment que sur le montant total des prêts qu’elles ont émis, soit l’équivalent 1135 mlds de USD, 20% pourraient faire défaut. Et les autorités chinoises viennent discrètement de leur demander de simuler l’impact qu’aurait une chute de 60% des prix de l’immobilier. Des chiffres officiels qui font frémir alors, là aussi, que penser des chiffres réels qui seront certainement bien plus élevés.

La situation de l’or mérite que l’on s’y attarde

Avant tout une petite mise au point, de très nombreux lecteurs m’ont contacté pour me demander pourquoi je ne parle jamais de l’argent physique ? En ce qui me concerne il n’y a pas d’opposition entre l’or et l’argent. Toutes les conclusions sur l’or sont valables pour l’argent qui est, de plus, actuellement « en retard » par rapport à l’or.

Bien plus qu’une protection contre une éventuelle hyperinflation lointaine, l’or est surtout une protection contre une crise de confiance dans le système financier. Quoiqu’en disent officiellement les banques centrales et c’est pour cela que j’en parle régulièrement, l’or est le meilleur indicateur de stress financier qui soit. Du moins en théorie car en pratique, tout est fait pour bloquer le thermomètre afin de cacher la fièvre. On se souvient du cri d’alarme lancé par le professeur Fekete, le 2 décembre 2008 que j’avais relayé dans un article: « l’or est en backwardation et si cet état se maintient la crise financière aura atteint un point de non retour.».

Pour rappel on dit qu’une matière première est en « backwardation » sur le marché des futures lorsque l’on observe que le prix de vente spot (sur le marché physique) est supérieur au prix d’achat sur le marché à terme. L’écart entre ces deux prix, assez facile à observer, serait le meilleur indicateur pour déterminer la confiance dans la monnaie papier.

L’or en backwardation signifie que des investisseurs sont prêts à payer davantage maintenant pour avoir de l’or physique immédiatement, plutôt que de payer moins un or qu’ils ne recevront que plus tard. Le backwardation grandit proportionnellement avec une crise de confiance dans une monnaie: au stade ultime personne ne veut échanger son or même contre n’importe quel montant d’argent papier associé à une promesse de récupérer cet or dans peu de temps. Je crois que c’est en effet, bien le meilleur indicateur de confiance dans une monnaie.

Autrement dit l’or en backwardation veut dire que le monde émet un doute sur la fiabilité de l’argent papier qui se résume à « mieux vaut un lingot immédiatement qu’une liasse de papier ».

En décembre 2008, l’or est resté en backwardation quelques jours et depuis lors il en est sorti tout en restant très proche de cet état. Mais depuis cette date et je l’avais déjà évoqué dans mon dernier article, il semble bien que l’or est en forte backwardation mais cet état est masqué ! Il apparaît de plus en plus clairement que l’or physique réellement disponible sur le marché est franchement bien inférieur à ce que l’on croit, ce qui implique que l’or serait déjà en backwardation.

Le prix est sensé être la rencontre entre l’offre et la demande. Mais sur le marché de l’or, l’offre est de plus en plus virtuelle car basée sur une quantité d’or physique inexistante provenant du système de réserve fractionnée pratiquée par les vendeurs. Ceux-ci étant les « bullions banks » c.à.d. les quelques grandes banques commerciales impliquées dans l’achat et la vente de l’or et qui opèrent selon le bon vieux principe que seule une faible fraction des acheteurs viendra prendre livraison de son or. En effet, la grande majorité des acheteurs achètent de l’or uniquement pour spéculer à court terme ou comme moyen de couverture et dans ce dernier cas, ces acheteurs sont disposés à laisser leur or dans les mains du vendeur.

Dans mon article précédent je citais l’étude de A. Douglas du GATA qui laissait à penser qu’en fait, 4 personnes différentes détiendraient un seul et même lingot, sur un compte commun, sans le savoir, par l’application du système de réserve fractionnée. Soit un ratio de 25%.

Rappelons que c’est sur le marché de l’or londonien OTC (« over the counter » ) que 90% de l’or physique se vend ou s’achète entre des dealers pour compte de clients finaux. Ce marché est représenté par la London Bullion Market Association (LBMA) qui indique dans ses statistiques que les transactions quotidiennes atteignent en moyenne 20 millions d’onces. Soit 22.2 millions d’onces (=20/90%) pour le marché mondial qui représente 180 555 tonnes par an (en ne comptant que les jours ouvrés)..

J’en profite pour glisser un léger aparté, en prenant un prix de l’or à 1150 USD/once, cela représente un marché quotidien de 25 mlds de USD pour l’or physique. A titre de comparaison le monde consomme 82 millions de barils de pétrole par jour soit l’équivalent de 6,4 mlds de dollar (en comptant un baril à 78 USD) c.à.d 4 fois moins. Ceci pour tordre le cou à cette contrevérité qui consiste à dire que le marché de l’or est insignifiant et ne mérite pas de s’y attarder.

Comme l’offre d’or totale annuelle (comprenant la production des mines, le recyclage et la déthésaurisation) est souvent estimée à 4000 t cela nous donne un ratio de 45. Autrement dit en moyenne 45 onces d’or s’échangent pour une seule once d’or existant réellement. Le marché de l’or physique est en réalité virtuel.

Mais récemment des chiffres encore plus inquiétants que ceux de A.Douglas ont vu le jour. Jeffrey Christian, CEO de CPM Group, une autorité incontestable pour la grande presse, a témoigné au sujet de la manipulation de l’or face à la Commission américaine d’opération sur les futures sur matières premières en mars 2010. Il a notamment admis, plutôt involontairement, que le marché de l’or physique était en fait un marché d’or papier et que 100 onces d’or papier étaient en réalité adossées à une seule once d’or physique. Comme cette affirmation a fait grand bruit, il a ensuite passé son temps à expliquer qu’on l’avait mal compris.

Signalons au passage le témoignage remarqué devant cette même commission de A.Maguire, trader en métaux londonien. Il a notamment expliqué comment, connaissant les manœuvres de JP Morgan Chase pour étouffer le prix de l’or, il a décidé de les dénoncer à l’avance, aux autorités de marché afin qu’elles puissent constater l’exactitude de ses affirmations. Ces dénonciations sont restées sans suite.

Mais comme l’affirment certains peu importe ces manipulations car elles ne pourront pas durer indéfiniment et elles permettent d’acheter de l’or à bon compte. En effet le problème que rencontre les « bullions banks » est aussi vieux que le principe de la réserve fractionnée: une ruée sur les comptes. Ceci se produit lorsque trop de détenteurs d’or veulent le retirer de la banque ou veulent transférer leur or d’un compte non ségrégé (autrement dit un compte où plusieurs détenteurs finaux laissent leur or sans qu’il ne leur soit personnellement alloué) vers un compte personnel.

Et tout porte à croire que la méfiance grandit et que de plus en plus de détenteurs « veulent voir la couleur de leur or ». A titre d’exemple citons quelques cas troublants :

Je ne reviens pas sur le cas de l’or sous la forme de fonds indiciels côtés en bourse (ETF) comme GLD que j’ai évoqué longuement dans un ancien article, La très grande illusion.

Il règne un flou total autour de ces ETF et on peut sérieusement craindre qu’il n’y ait pas suffisamment d’or physique réel, stocké sur des comptes ségrégés et adossés à ces fonds. Comme je l’expliquais précédemment, ces fonds ne sont sans doute qu’un moyen commode de créer de l’or inexistant ….

On se souvient de l’affaire dévoilée par R.Kirby concernant deux banques centrales (dont celle du Royaume-Uni) qui auraient été obligées de voler au secours de leurs agents, JP Morgan Chase et Deutsche Bank pour les aider à livrer une grosse quantité d’or que ces banques avaient vendue à court terme (« forward ») sur le marché de l’or londonien (LBMA).

En mai 2010, le World Gold Council a provoqué la surprise en annonçant que le Fonds Monétaire International (FMI) avait vendu en février 5,6 tonnes d’or et en mars 18,5 tonnes. Pour mettre ce montant de 24,1 tonnes en perspective signalons sans entrer dans les détails qu’officiellement le FMI possède 3005 tonnes d’or. Mais divers études et documents incitent à croire que 2800 tonnes sont en fait des promesses de livraison faites à l’origine par les banques centrales mais que cet or n’a probablement jamais quitté les coffres de ces dernières. On peut d’ailleurs craindre qu’il ne soit compté en double à la fois dans le bilan des banques centrales et dans celui du FMI mais c’est une autre histoire. C’est probablement pour cela que les dirigeants du FMI ont indiqués publiquement que seules 403 tonnes (que le FMI a vraisemblablement gagné dans des transactions identifiables) seraient disponibles à la vente. De ces 403 tonnes, 212 tonnes ont été vendues en 2009 à l’Inde, au Sri Lanka et à l’Ile Maurice. Les 24,1 tonnes ont donc été prélevées du solde et ne représentent donc pas un montant négligeable pour le FMI. Pourquoi ce dernier a-t-il effectué cette vente dans l’opacité la plus complète. Ceci alors que la vente précédente en 2009 s’était, elle, réalisée quasi publiquement et avait été accompagnée de nombreux communiqués du FMI (conformément aux règlements internes du Fonds qui affirme ne pas vouloir perturber le marché de l’or). Alors pourquoi cette discrétion, si ce n’est parce qu’autrement le FMI aurait dû révéler le nom de l’acheteur. Et si ce ou ces acheteurs étaient des « bullions banks » brusquement en manque d’or physique?

Une autre affaire récente a fait beaucoup de bruit dans les milieux de l’or. Il s’agit du swap d’or de 346 tonnes découvert par hasard par un analyste qui a lu une note de pied de page d’une publication de la Banque des Réglements Internationaux (BRI la banque centrale des banques centrales). Pour mettre cette énorme quantité en perspective rappelons que la production mondiale annuelle d’or est de seulement 2200 tonnes (hors recyclage et déthésaurisation) et que cela représente trois fois plus d’or que ce que la BRI possède. Un swap est un échange: un détenteur d’or l’échange contre du cash auprès d’une contrepartie et après un temps convenu, le détenteur récupère son or mais doit rendre un peu plus de cash à la contrepartie. Officiellement la BRI est restée très vague sur ce swap qu’elle a effectué et a juste indiqué qu’il s’est fait avec 10 banques commerciales dans le but de rentabiliser ses actifs en USD et d’améliorer la liquidité du système financier en injectant 14 mlds de USD. La raison invoquée est bien évidemment ridicule en regard des montants échangés quotidiennement sur les marchés des devises qui avoisinent les 4000 mlds de USD !

L’analyste A.Douglas émet une hypothèse qui me semble très crédible. Comme la BRI ne possède pas une telle quantité d’or, c’est donc elle qui a reçu les 346 tonnes et qui a donné du cash. Or A.Douglas commence par dire qu’aucune «bullion bank » ne serait en mesure de se séparer d’une quantité d’or aussi importante contre du cash en provenance de la BRI. Donc un simple swap entre 10 « bullion banks » et la BRI est peu probable.

Une banque centrale par contre pourrait échanger cette quantité d’or mais il est très improbable que 10 « bullion banks » soient disposées à payer 14 mlds de USD.

A.Douglas imagine le scénario suivant : imaginons 10 « bullion banks » qui constatent avec angoisse que les comptes non ségrégés sur lesquels elles gardent l’or de leurs nombreux clients, se vident à vue d’œil suite à des retraits de clients méfiants. Ces derniers craignant que ces banques utilisent le principe de la réserve fractionnée et que ces comptes non ségrégés soient très largement sous-approvisionnés par rapport à l’or qu’ils sont officiellement sensés détenir.

Ces « bullion banks » se souviennent du discours prononcé en 2005 par White,, un des dirigeants de la BRI, dans lequel il déclarait que la BRI et les banques centrales coopèrent afin d’influencer le prix des actifs en particulier de l’or et des devises.

Et voici le double swap utilisé pour regarnir discrètement les comptes non ségrégés de ces « bullion banks »: celles-ci se partagent 346 tonnes d’or d’une banque centrale, par exemple celle du Portugal, qu’elles donnent aussitôt à la BRI. La BRI, en toute confiance, accepte que son or soit placé dans les comptes non ségrégés de ces « bullion banks ». En échange de cet or, la BRI donne 14 mlds de USD aux « bullion banks » qui les donnent aussitôt à la banque centrale qui a fournit l’or. Bilan de l’opération : les « bullion bank » se trouve renflouées de 346 tonnes d’or sans devoir payer un centime et une (ou plusieurs) banque centrale se trouve allégée de 346 tonnes d’or en échange de 14 mlds de USD provenant de la BRI. Mais surtout le monde des banques centrales évite le désastre absolu pour l’argent papier, à savoir, une ruée sur des « bullion bank » qui provoquerait une flambée incontrôlable du cours de l’or. Ce scénario se trouve renforcé quand on observe que parmi ces 10 banques, la BRI a nommé HSBC qui avec JPMorgan possèdent des positions « short » astronomiques sur le Comex et nombreux sont ceux qui s’interrogent pour savoir si ces banques possèdent bien l’or nécessaire pour couvrir ces positions. De plus HSBC est officiellement le dépositaire de l’or du fonds indiciel GLD cité plus haut.

Signalons qu’en plus du fait que le FMI vend secrètement son or, la LBMA vient tout juste de décider de ne plus publier publiquement ses statistiques. Il semble qu’un brouillard encore plus épais va recouvrir le marché de l’or. Ceci devrait inciter les détenteurs d’or papier (sous forme d’ETF, sous forme de certificats, …etc) à les convertir en or physique et à éviter de garder cet or physique sur un compte non ségrégé …

Pour terminer sur l’or signalons brièvement que la mesure classique du backwardation est donc rendue impossible car le prix de l’or physique est très probablement bien inférieur à ce qu’il devrait être si le marché n’était pas inondé d’or virtuel. Pour tenter malgré tout de mesurer cet état, dans les circonstances actuelles, des analystes (dont le professeur Fekete) se sont tournés vers un indicateur: le GOFO (Gold Forward Offered Rates). Afin de permettre à cet article de rester accessible à un large public je ne vais pas approfondir. Signalons juste pour les curieux que des investisseurs peuvent acheter l’or à terme sur le marché des futures comme le Comex mais qu’ils peuvent également s’adresser directement aux « bullions banks ». Le prix qu’elles proposent est basé sur le GOFO qui est un taux qu’elles publient quotidiennement sur le site de la LBMA. Ce GOFO dépend, entre autres, du taux Libor, de leur stock réel d’or, du niveau d’inventaire de l’or sur le Comex et du taux auquel les banques centrales sont disposées à prêter leur or aux « bullions banks ». De manière imagée, le GOFO est un paramètre qui indique la tendance que montrent les détenteurs d’or à l’échanger contre du USD. Ce taux ne peut normalement pas être négatif mais c’est arrivé précisément lorsque l’or est entré « officiellement » en backwardation. A suivre donc…

Comment se portent les robots ?

On lit souvent l’argument classique qu’investir en bourse est un moyen de participer à la croissance d’une économie. En tout cas pas pour les Japonais qui ont vu leur économie croitre de plus de 25% depuis 1989 et la bourse fondre de 75%. C’est bien entendu une conséquence des bulles qui se développent régulièrement quand une abondance de liquidités fraîches, suivant le chemin de moindre résistance, s’engouffre traditionnellement dans la bourse. Ces dernières années un phénomène nouveau est venu déconnecter encore plus la bourse de la réalité économique : les High Frequency Trading Program (HFTP), ces programmes automatiques qui achètent et vendent des titres toutes les millisecondes et qui dominent 70% des volumes de transactions sur la bourse de NY et dont j’ai déjà longuement parlé. Ils sont capables de provoquer des remontées des cours miraculeuses lorsque les volumes d’échanges sont anémiques. J’ai déjà écrit qu’ils finiront par provoquer, un jour, un grand crash. Une première alerte s’est d’ailleurs produite le 30 juin dernier lorsque le cours de Citigroup a plongé de 20% en quelques secondes avant que les autorités n’interrompent les cotations. Et encore récemment, le 29 juillet, le cours de Cisco (un titre pourtant très liquide) est grimpé de 10% en … une seconde (c.à.d. une éternité pour des HFTP). Les systèmes de protection des autorités se sont alors déclenchés pour bloquer les ordres.

Et le bancor dans tout cela ?

L’idée d’instaurer une nouvelle monnaie mondiale de réserve à la place du dollar américain continue à suivre son chemin. En avril dernier le FMI publiait un rapport (« Reserve Accumulation and International Monetary Stability ») qui recommande une montée en puissance de l’usage des Droits de Tirage Spéciaux (DTS cette pseudo monnaie crée par le FMI et dont j’ai abondamment parlé). Le rapport décrit les « avantages » d’une monnaie mondiale gérée par une banque centrale mondiale et en guise de conclusion, il indique qu’idéalement cette nouvelle monnaie, que le FMI baptise bancor, devrait dériver des DTS. Et fin juin dernier, les Nations Unies ont été dans le même sens en publiant un rapport recommandant lui aussi d’utiliser les DTS comme base d’une future monnaie de réserve mondiale. Les sceptiques sont encore nombreux mais lorsque les turbulences monétaires seront encore plus fortes ce seront les mêmes qui pleureront pour avoir de la stabilité et accueilleront le bancor avec reconnaissance.

Conclusion

Le monde de la finance est un monde uni dans lequel un problème sur un marché ou sur certains actifs se répercute sur l’ensemble. Lorsque l’on regarde lucidement la réalité on constate qu’il y a partout des foyers d’incendie qui ne demandent qu’à prendre de l’ampleur. Certains espèrent que les autorités parviendront à reprendre le contrôle et à provoquer une reprise. D’autres espèrent que les marchés émergents nous apporteront le salut. Quel scénario faut-il privilégier ? L’hyperinflation ? L’hyperdéflation ? A priori je pencherais plutôt pour une version intermédiaire comprenant des périodes alternées faites d’espoir suivie de désespoir et caractérisée par une absence chronique de reprise, par une déflation comme celle qui sévit depuis longtemps au Japon, un désendettement par palier, une impuissance grandissante des banques centrales et des gouvernements à provoquer l’inflation qui se terminera un jour par des erreurs fatales qui provoqueront la perte de confiance dans les monnaies.

Mais ce qui domine incontestablement, c’est la fragilité et l’instabilité du système actuel très sensible à l’action d’un « cygne noir ». Dans un tel système, les changements sont brutaux, sans signes annonciateurs et se font par palier. Donc le meilleur conseil face à l’avenir est de rester sur ses gardes, très attentif et vigilant.

Pascal Roussel, analyste au sein du Département des Risques Financiers de la Banque Européenne d’Investissement (BEI), le 10 août 2010.

Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflète pas nécessairement l’opinion de la BEI ou de son management.

 

Source : Denissto

 

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