Le Monde Diplomatique, mars 2010

Publié le par sceptix


Bernard Gensane

Dans la livraison de mars 2010 du Monde Diplomatique, Serge Halimi revient sur les méfaits des banques et de la BCE (“ Bien mal acquis profite toujours ”)

« Les États ont sauvé les banques sans exiger de contrepartie. Les banques retournent leur force retrouvée contre les Etats. Et les rançonnent en tirant profit de la révélation des turpitudes qu’elles leur ont recommandées. Car, quand le crédit public diminue, les taux d’intérêt des prêts augmentent...

Goldman Sachs a donc aidé la Grèce à emprunter des milliards d’euros en secret. Puis, pour contourner les règles européennes limitant le niveau de la dette publique, la firme de Wall Street a conseillé à Athènes d’avoir recours à d’ingénieux artifices comptables et financiers. La facture de ces innovations a ensuite arrondi la plantureuse dette grecque. Qui gagne, qui paie ? Président-directeur général de Goldman Sachs, M. Lloyd Craig Blankfein vient d’encaisser un bonus de 9 millions de dollars ; les fonctionnaires hellènes vont perdre l’équivalent annuel d’un mois de salaire.

Un peu à l’égal d’une banque, un pays est « trop gros pour faire faillite ». On le sauve donc aussi, mais lui paiera cher sa survie. Déjà, le gouverneur de la Banque centrale européenne Jean-Claude Trichet se montre d’autant plus intraitable envers le gouvernement d’Athènes que son institution affecte de découvrir les roueries de Wall Street. La Grèce, a prévenu M. Trichet, devra corriger avec la plus « extrême vigueur » sa « trajectoire aberrante ». Sous « surveillance intense et quasi permanente » de l’Union européenne, c’est-à-dire en renonçant à sa souveraineté économique, il va lui falloir ramener son déficit de 12,7 % du produit intérieur brut (PIB) en 2009 à 3 % en 2012. Récupérer près de dix points de PIB sur un solde budgétaire constitue une gageure, en particulier en zone de croissance anémique. Il ne s’agira donc pas de « rigueur », mais de chirurgie lourde. Le paradoxe est que celle-ci a pour objet de garantir la fermeté de l’euro à un moment où les Etats-Unis et la Chine s’emploient, pour consolider leur reprise, à sous-évaluer leur monnaie... »

Un pays peut-il faire faillite ?, demande Laurent Cordonnier. Pourquoi pas, tout dépend de la taille du pays… « Nous ne paierons pas votre crise. » Les banderoles déployées fin février à Athènes, où se succèdent les grèves contre les plans d’austérité, n’auraient pas déparé en Islande, dont la population fulmine à l’idée de rembourser les dettes pharaoniques héritées de l’effondrement bancaire. Ni dans les mains des manifestants espagnols protestant contre le report de l’âge de départ à la retraite. Ni dans celles des millions de travailleurs privés d’emplois depuis le début de la récession économique. Prônant la « stabilisation » des dépenses sociales, le Fonds monétaire international (FMI) a averti : l’assainissement, en Europe, « sera extrêmement douloureux ».

Florent Latrive dénonce un “ Traité secret sur l’immatériel ” :

« La propriété intellectuelle est-elle le pétrole du XXIe siècle ? Le renforcement continu des marques et brevets se révèle à l’occasion hostile aux libertés individuelles ou aux besoins sanitaires du Sud. Après trois ans de négociations secrètes, un projet de traité anticontrefaçon, l’ACTA, vise à consacrer mondialement un régime commercial tyrannique. Un négociateur européen n’acceptant de répondre à nos questions qu’à la condition expresse de demeurer anonyme ; un lobbyiste américain refusant de nous transmettre des ébauches d’un texte en cours de discussion car il a signé un accord de non-divulgation ; nos demandes officielles auprès de la Commission européenne rejetées — « Cela mettrait en péril les relations économiques internationales de l’Union » : le secret entoure le tout dernier traité international en faveur des multinationales de la pharmacie et des industries culturelles.

L’Accord commercial anti-contrefaçon (ACAC) — surtout connu sous sa dénomination anglaise : Anti-Counterfeiting Trade Agreement (ACTA) — fait l’objet de négociations depuis déjà plus de trois ans, en dehors de toute instance multilatérale officielle . Il touche à la liberté d’expression, à la santé, à la surveillance d’Internet, et à l’organisation du commerce mondial.

Officiellement, le texte vise à renforcer la lutte contre les produits contrefaits. Cela implique le renforcement des contrôles aux frontières ou l’augmentation des peines, au risque de rendre « difficile le transit international de médicaments génériques à bas coûts pour les pays en développement », selon Mme Alexandra Heumber, de Médecins sans frontières (MSF). Ou de transformer les intermédiaires techniques d’Internet — fournisseurs d’accès et hébergeurs — en factionnaires du droit d’auteur, fermant les accès des internautes ou filtrant des sites en dehors de tout contrôle judiciaire. « Les règles de l’ACTA et, plus généralement, de la propriété intellectuelle ont un impact énorme sur nos vies quotidiennes. Culture, éducation, santé ou communication : peu de domaines ne seront pas touchés par ces nouvelles règles », s’inquiète l’universitaire canadien Michael Geist, qui en offre sur son blog un résumé . » L’image de l’autocrate camerounais Paul Biya est bien redorée. Grâce, entre autres, à Christine Ockrent, Jacques Séguéla et Jacques Tiller, un ancien de Minute, qui a survécu aux trois balles que lui a tirées à bout portant Jacques Mesrine (Thomas Deltombe).

« Au pouvoir depuis vingt-huit ans, le président Paul Biya a modifié la Constitution camerounaise afin de pouvoir briguer un nouveau mandat en 2011. Régulièrement condamné par les organisations de défense des droits humains, M. Biya peut compter sur le soutien diplomatique de Paris mais aussi sur le travail de « communication », plein d’imagination, effectué par ses nombreux conseillers français. »

Le déplacement à Yaoundé, en décembre 2009, de Mme Christine Ockrent, directrice générale de la Société de l’audiovisuel extérieur de la France (SAEF) [qui chapeaute RFI, France 24 et TV5 Monde] et épouse du ministre français des affaires étrangères Bernard Kouchner, n’avait pas pour seul objet de « jeter les bases d’un partenariat mutuellement bénéfique dans le domaine de la communication publique ». Il s’agissait aussi, explique le quotidien gouvernemental Cameroon Tribune, d’évoquer « la promotion de l’image du Cameroun, souvent écornée ». Ce souci n’est pas une lubie soudaine. Dès le moment où Ahmadou Ahidjo lui a cédé son fauteuil, en novembre 1982, M. Paul Biya, âgé aujourd’hui de 77 ans, a fait appel aux « communicants » français qui louent leurs services aux présidences africaines .

Dans un pays où régnaient alors une redoutable police politique et un parti unique, où la presse était censurée et la télévision balbutiante, et où la torture était encore couramment utilisée, la présence de spécialistes du marketing politique, experts en ajustage de cravate et en limage de dents, avait quelque chose d’incongru. Mais le rôle des communicants français en Afrique n’est pas seulement d’améliorer l’image d’un président dans son propre pays : il consiste aussi à la polir dans les « pays amis », la France au premier chef, grâce à des publireportages et des voyages de presse. Il vise également à « fluidifier » les relations informelles avec Paris. « Quand un chef d’Etat africain contracte avec un conseiller en communication blanc, français, il n’achète jamais qu’une compétence technique, nous explique le journaliste Vincent Hugeux, auteur d’un livre édifiant sur le sujet . Il achète aussi, ou il croit acheter, un canal privilégié avec le centre du pouvoir français, en l’occurrence l’Elysée. »

Aux Etats-Unis, les délinquants sexuels se voient infliger une double peine (Jérémie Droy) : « L’enfermement est à la mode. Pour les malades mentaux ou les délinquants ordinaires, c’est en tout cas une option répandue. L’idéal de réhabilitation, de resocialisation qui marquait les réformes des années soixante-dix a presque partout laissé la place à la mise à l’écart pure et simple. »

Idem en Allemagne (Grégory Salle) où l’on assiste à la fin de l’idéal de resocialisation, et où l’ancien DRH de Volkswagen (conseiller de Schroeder), condamné à deux ans de prison pour corruption (entre autre pour avoir utilisé des prostituées aux frais de l’entreprise, a échappé à la prison ferme.

Pour Pierre Micheletti, l’humanitaire permet bien des ingérences : « Comme Haïti, l’État de l’Orissa, en Inde, a subi de nombreuses catastrophes naturelles. L’observation de son redressement, fondé sur le renforcement des moyens économiques et l’organisation de la population, renvoient au débat que soulèvent les modalités de la réponse humanitaire et le processus de reconstruction en Haïti.

Intéressant article de Jean-Claude Sergeant sur le MI5, “ Ce service de renseignement qui n’existait pas ”. « Le secret entoure souvent les services du même nom. Le MI5 britannique n’échappe pas à la règle, n’apparaissant en pleine lumière qu’à la suite de scandales. Pourtant, il a ouvert ses portes à des chercheurs qui décrivent en détail son fonctionnement et son histoire. Une transparence que l’on aurait bien du mal à trouver chez ses homologues français… » Parmi les ratés du MI5 : ne pas avoir détecté son noyautage par les Burgess, MacLean aux profit des soviétiques. Pierre Rimbert propose de “ repenser la pyramide des professions ”. Il est temps de demander aux évaluateurs ce qu’ils rapportent à la société. En Grande-Bretagne, un ouvrier du recyclage, payé 7 euros de l’heure, rapporte 12 livres de valeur pour chaque livre dépensée. Dans le même temps, un banquier d’affaires qui gagne 10 millions de livres par an, détruit 7 fois plus de livres qu’il n’en crée. Un conseiller fiscal peut détruire 47 fois plus de valeur qu’il n’en crée, alors qu’une employée de crèche rend à la société 9 fois ce qu’elle perçoit en salaire.

Excellent (comme toujours) article de Frédéric Lordon sur les “ gouvernements sous la coupe des banques ”. Les États sont tétanisés face aux marchés, ayant peur de se faire massacrer s’ils utilisent une once de politique keynesienne. Le choc vient des banques, de l’intérieur du système. En Grèce, les banques ont touché des fortunes pour aider le gouvernement à falsifier la comptabilité, à truander les eurocrates. En France, on mettra « bientôt bout à bout la réforme des retraites, les projets de licenciement des fonctionnaires et l’idée insensée d’une constitutionnalité de l’équilibre budgétaire pour avoir une idée plus claire de la destruction de l’État social. »

Niels Kadritzke explique “ comment l’injustice fiscale a creusé la dette grecque, ce pays où, selon le fisc, les plus riche sont les employés…

Selon Ibrahim Warde, Dubaï a mangé son pain blanc. Cette « terre d’élection de la spéculation et de la démesure chancelle.

Pierre Daum et le dessinateur Aurel nous content le périple des tomates bien dures et bien pas bonnes de la plaine d’Almeria à nos salles à manger de Glasgow, Bourges ou Berlin. Avec tout ce que cela implique d’exploitation des travailleurs (marocains pour beaucoup), de pollution, de profits confortables de la grande distribution. Nir Rosen perçoit en Irak l’émergence d’un pouvoir autoritaire à dominance chiite. Les tensions persistent. Il faut s’attendre à une victoire des chiites sur les sunnites et les laïcs.

Mieux que l’Union européenne, sans doute, l’Inde résiste à Monsanto. Elle vient de suspendre la commercialisation du premier légume OGM au monde, l’aubergine (Mira Kamdar).

La tête en bas, Olivier Zajec regarde le monde d’Australie, dont le Premier ministre s’est enfin décidé à ne pas accroître les troupes australiennes en Afghanistan, même s’il soutient toujours la politique étatsunienne.

François Musseau s’inquiète d’un coup d’État rampant au Paraguay. « Après l’avoir soutenu par opportunisme, certains partis politiques se retournent contre le président de gauche », visant à la déstabiliser.

Une étude passionnante de David Garcia sur l’Ovalie, où l’argent commande désormais tout. Sébastien Chabal qui n’est plus (s’il l’a jamais été) le meilleur joueur, touche le plus fort salaire (400000 euros par an). Son image d’homme des bois néanderthalien ? Dans les stades, on ne parle plus de sport, mais de produit.

C’est peut-être surprenant, mais la Norvège est peut-être le pays qui protège le mieux sa culture (André Schiffrin). Le pays a su « préserver des médias indépendants, protéger son édition et son secteur culturel et encourager la créativité. » Fastoche, avec le pétrole.

Un article très alarmant de Sabine Lambert sur le droit à l’avortement menacé. Pour un nombre toujours croissant de médecins, il s’agit d’une « affaire de bonnes femmes », certains d’entre eux n’hésitant même pas à opérer à vif. Faire payer aux femmes, par l’humiliation et la douleur, un droit difficilement acquis, quelle jouissance !

À noter enfin un supplément sur La Réunion, l’“ Île laboratoire ”.

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http://www.legrandsoir.info/Le-Monde-Diplomatique-mars-2010.html


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Publié dans mes blogs chouchous

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