Le monde financier serait-il dirigé par des psychopathes, SANS VERGOGNE ?
Par Étienne, dimanche 22 janvier 2012 à 11:50 - Propos sur le pouvoir - #183 - rss
- Je vous signale d'abord un article intéressant, qui nous vient de Belgique,
- et qui m'inspire un important souvenir de lecture que je vous signalerai juste après :
Les personnages clés seraient-ils des psychopathes ?
Selon un ancien professeur anglais, cela pourrait expliquer la crise que connait actuellement le monde.
Alors qu’on annonce que 2012 sera (encore) l’année de la crise de la dette, de l’austérité, bref de la crise économique et financière, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer le système financier, les marchés qui dirigent le monde. Des marchés souvent accusés de ne pas tenir compte des humains qu’ils broient. C’est ce qui fait dire à Clive R. Boddy, professeur à l’université de Nottingham, que beaucoup des hauts responsables financiers seraient en fait des psychopathes.
Selon ce professeur, cité par Bloomberg, les psychopathes sont des personnes "manquant de conscience, ne ressentant que peu d’émotions et incapables de ressentir sentiments, sympathie ou empathie pour les autres". Ces personnes se montrent plus froides et calculatrices que les autres et "représentent donc une menace pour les entreprises et la société".
Mais comment des personnes avec un tel profil psychologique ont-elles pu atteindre des postes si élevés ? Selon Clive Boddy, cela est imputable au monde actuel et à l’organisation des entreprises, avec un personnel qui bouge tout le temps, passe de sociétés en sociétés. Cela permet aux psychopathes de passer inaperçus et de monter rapidement, pouvant même apparaître comme de bons leaders là où, à une autre époque, ils auraient été vite repérés pour leur égocentrisme et leur manque d’éthique.
C’est l’ascension de ce type de profils dans des entreprises financières qui aurait causé la crise, selon le professeur. Car à des postes-clé, ces psychopathes sont dirigés par leur volonté de s’enrichir et de progresser, au détriment de toute responsabilité sociale. Peu importe, pour eux, les dégâts causés.
Ce n’est pas la première fois que des scientifiques mettent en avant le comportement dangereux des employés du monde de la finance. Ainsi, en septembre, une étude suisse affirmait que certains traders avaient des comportements plus dangereux que les psychopathes. 28 d’entre eux avaient été soumis à des tests psychologiques et les résultats avaient été comparés à ceux de 24 psychopathes hospitalisés dans des établissements sécurisés en Allemagne. Il en ressortait que dans un contexte de compétition, les traders étaient prêts à tout pour prendre l’avantage sur leurs concurrents. "Il s'est avéré qu'ils ont eu un comportement plus égocentrique et ont été plus enclins à prendre des risques que le groupe de psychopathes qui ont été soumis aux mêmes tests", expliquait l’un des chercheurs au Spiegel.
J.C.
Cette folie, cette húbris (démesure), redoutée (et sévèrement punie) par les Grecs anciens, me fait penser à une précieuse information dénichée au creux d'un de mes livres que j'ai toujours en poche, près de moi — LE CONCEPT FONDAMENTAL DE VERGOGNE.
Je soumets donc ce passage annoté de PLATON à votre réflexion :
Extraits du livre de Bruno Bernardi, "La démocratie", p. 56 :
D'abord, une explication liminaire (très importante) de Bruno Bernardi,
pour bien comprendre le mot VERGOGNE, utilisé dans l'extrait de Platon :
« La traductrice a retenu le terme vergogne, assez archaïsant, pour rendre le grec aidos. Elle consacre une notice à cette notion qui pourrait être définie comme la prise en compte, dans le comportement d'un individu, de l'idée de soi qu'il donnera à autrui. »
Je trouve que faire de ce trait de caractère —largement méconnu aujourd'hui— un FONDEMENT CENTRAL de toute démocratie digne de ce nom est stimulant pour l'esprit. Ça se médite, je trouve.
Mais lisez plutôt ce passage passionnant de Platon pour décrire l'importance vitale de la vergogne dans un régime qui présuppose l'égalité POLITIQUE générale et donne la parole à tout le monde :
PLATON (Protagoras, 322b-323a) :
« Mais à chaque fois qu'ils étaient rassemblés, ils se comportaient d'une manière injuste les uns envers les autres, parce qu'ils ne possédaient pas l'art politique, de sorte que, toujours, ils se dispersaient à nouveau et périssaient. Aussi Zeus, de peur que notre espèce n'en vînt à périr tout entière, envoie Hermès apporter à l'humanité la Vergogne et la Justice, pour constituer l'ordre des cités et les liens d'amitié qui rassemblent les hommes. Hermès demande alors à Zeus de quelle façon il doit faire don aux hommes de la Justice et de la Vergogne : « Dois-je les répartir de la manière dont les arts l'ont été ? Leur répartition a été opérée comme suit : un seul homme qui possède l'art de la médecine suffit pour un grand nombre de profanes, et il en est de même pour les autres artisans. Dois-je répartir ainsi la Justice et la Vergogne entre les hommes, ou dois-je les répartir entre tous ? » Zeus répondit : « Répartis-les entre tous, et que tous y prennent part ; car il ne pourrait y avoir de cités, si seul un petit nombre d'hommes y prenaient part, comme c'est le cas pour les autres arts ; et instaure en mon nom la loi suivante : qu'on mette à mort, comme un fléau de la cité, l'homme qui se montre incapable de prendre part à la Vergogne et à la Justice. »
C'est ainsi, Socrate, et c'est pour ces raisons, que les Athéniens comme tous les autres hommes, lorsque la discussion porte sur l'excellence en matière d'architecture ou de n'importe quel autre métier, ne reconnaissent qu'à peu de gens le droit de participer au conseil, et ne tolèrent pas, comme tu le dis, que quelqu'un tente d'y participer sans faire partie de ce petit nombre ; ce qui est tout à fait normal, comme je le dis, moi ; lorsqu'en revanche, il s'agit de chercher conseil en matière d'excellence POLITIQUE, chose qui exige toujours sagesse et justice, il est tout à fait normal qu'ils acceptent que TOUT homme prenne la parole, puisqu'il convient à chacun de prendre part à cette excellence — sinon, il n'y aurait pas de cités. Voilà donc, Socrate, la cause de ce fait. »
Source : Platon, Protagoras, 322b-323a, trad. F. Ildefonse, Paris, GF-Flammarion, 1997, p. 86-87. cité par Bruno Bernardi, dans son EXCELLENT florilège intitulé simplement "La démocratie"
Étonnant, non ?
Vous imaginez une Constitution moderne qui proclamerait en préambule : "qu'on mette [au ban], comme un fléau de la cité, l'homme qui se montre incapable de prendre part à la Vergogne et à la Justice." ?
Au plaisir de vous lire.
Étienne.
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