Le monde sans l’euro
Le sommet de l’Union européenne qui débutera le 9 décembre sera fatidique pour la zone euro. Les nuages s’accumulent au-dessus de l’Europe unie: à l’issue d’une rencontre bilatérale, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont annoncé que des changements structurels étaient inéluctables dans la zone euro et évoqué la nécessité de conclure avec les pays de l’UE un nouvel accord, dont on ignore pour l’instant la teneur. Peu de temps auparavant, le premier ministre italien Mario Monti a reconnu que son pays connaîtrait le sort de la Grèce si des mesures anticrises n’était pas prises. Pendant ce temps, les experts discutent la manière dont vivra le monde sans l’euro.
L’heure H pour l’euro
Les problèmes de dette de la zone euro et de la monnaie européenne se sont transformés en un nœud gordien que les fonctionnaires européens ont été incapables de démêler. Les dirigeants de l’Union européenne ont préféré le trancher.
Et le nœud à été tranché à la veille du sommet de l’UE qui se tiendra le 9 décembre à Bruxelles. Apparemment, on y prendra la décision définitive selon laquelle la majorité des pays de l’UE commenceront la nouvelle année avec leurs monnaies nationales. Seulement l’Allemagne, la France, la Belgique et les Pays-Bas conserveront l’euro pendant la période de transition qui devrait durer trois ans.
L'époque pour prendre cette décision fatidique n’a pas été choisie au hasard: dans les semaines qui précèdent les fêtes de fin d’année, la vie politique et économique s’arrête en Europe. Le calme de fin d’année est la meilleure période pour préparer tranquillement les pays de la zone euro au passage aux monnaies nationales, notamment pour s’entendre sur les taux de change des nouvelles anciennes devises.
Mais la panique n’a pas pu être évitée. La fuite de cette information à l’issue de la rencontre d’Angela Merkel avec Nicolas Sarkozy le 5 décembre a littéralement fait exploser les marchés boursiers et monétaires. S’il est impossible de stopper la panique, la vie économique du Vieux Continent sera paralysée.
L’euro que nous avons perdu
Les échanges sur les marchés monétaires sont suspendus pour ralentir la chute libre de l’euro et la hausse du dollar. Les principaux marchés boursiers des Etats-Unis, d’Europe et d’Asie ferment pour éviter l’effondrement des indices.
Les détenteurs d'euros et de titres libellés en euros s’efforcent activement de se débarrasser de ces actifs dangereux. Pour l’instant on ignore quels seront les cours des monnaies nationales et ce qu'il adviendra de l’euro dans les pays où il sera conservé.
La panique qui a commencé serait susceptible de conduire à l’effondrement du système bancaire si la population de la zone euro se mettait à retirer massivement ses dépôts. Selon certaines fuites dans la presse occidentale, les autorités de la zone euro sont prêtes dès aujourd’hui à prendre la décision de geler partiellement tous les dépôts jusqu’en janvier 2012.
Désormais les experts sont pratiquement convaincus que les émeutes de masse et les actions de protestation seront le symbole de Noël de cette année en Europe. Mais ce n’est pas le seul et principal problème. Pour l’instant on ignore comment agir avec les entreprises qui ont conclu des accords en euros, notamment si les délais d’exécution de ces transactions débordent sur l’année prochaine. Beaucoup d’experts sont franchement surpris de la précipitation des fonctionnaires européens.
Beaucoup de temps et d’argent seront nécessaires pour convertir les montants des transactions en monnaies nationales. Il est impossible de trouver cet argent, et plusieurs années devront s’écouler avant de parvenir à une entente sur les cours des monnaies nationales. Au cours de cette période l’économie ne fonctionnera pas en l’absence d’une monnaie fiable.
Il n’y aucun autre candidat à ce titre, à l’exception du dollar. Seule la Réserve fédérale américaine peut stopper l’effondrement économique qui commence en mettant en route la planche à billets.
L’euro dont on n’avait pas besoin
La situation décrite ci-dessus n’est pas encore devenue réalité. C’est ce qui pourrait se produire. Pour l’instant ce n’est qu’une anti-utopie visant à montrer la gravité du problème auquel est confrontée la zone euro. Mais c’est également ce qui peut encore arriver.
Les fonctionnaires et les experts n’arrivent pas à déterminer s’il faut démêler ou trancher le nœud des problèmes européens. Ils se demandent quelle serait la pire des solutions: la suppression de l’euro ou sa conservation.
Certains experts sont convaincus que les pertes liées à la suppression de l’euro ne seront pas significatives, d’autant plus que l’instauration de la monnaie commune n’a pas eu d’influence positive sur les économies des pays membres de la zone euro.
"Notre analyse des indices macroéconomiques montre que l’instauration de l’euro n’a apporté aucun bénéfice, déclare Igor Nikolaïev, directeur du département d’analyse stratégique de la société FBK. Aucune diminution ou augmentation significative du PIB, de la production industrielle, etc. n’a été constatée. Il n’y a donc rien à regretter."
Certains économistes estiment que l’instauration de l’euro ne pouvait apporter aucun bénéfice, car le principal objectif économique de sa création a été une redistribution des flux financiers au profit des banques françaises et allemandes et le renforcement des positions des exportateurs allemands sur le marché.
"La désindustrialisation de l’Europe ne s’est pas faite sous la pression des concurrents chinois, mais suite à la mise en place de la zone euro, déclare Boris Kagarlitski, directeur de l’Institut de la mondialisation et des mouvements sociaux. Notamment en raison de la concentration presque totale de la production industrielle en Allemagne. Les zones industrielles moins efficaces ont été incapables non seulement de concurrencer, mais également de se restructurer pour la future concurrence."
Selon l’expert, la réforme systémique de l’économie nécessite que chaque pays ait sa propre monnaie, son propre système monétaire et la possibilité d’une gestion souple des processus budgétaires. L’espace monétaire commun n’offre pas une telle possibilité.
L’euro a été imposé
Les pays périphériques de l’UE, tels que la Grèce, se sont retrouvés dans une sorte de piège: la monnaie chère (l’euro) les empêche de concurrencer les économies émergentes telles que la Chine et l’Inde, et la différence de potentiel industriel ne leur permet pas de concurrencer l’Allemagne.
Boris Kagarlitski est convaincu que le "passage en douceur" de l’euro aux monnaies nationales serait une bonne chose pour tous les pays en difficulté de la zone euro. La suppression de l’euro créera des problèmes dans les systèmes financiers de l’Allemagne et de la France et conduira au ralentissement de leur croissance économique. Mais cela ranimerait les économies d’autres pays qui n’ont aucun point de croissance dans le cadre de la zone euro.
Cependant à l’heure actuelle, le "passage en douceur" est impossible. Tous les experts interrogés par RIA Novosti sont unanimes à ce sujet.
Commençons par le fait qu’il sera nécessaire de rompre un grand nombre de liens économiques établis en 15 ans et comprenant de nombreuses obligations libellées en euro, les actions des sociétés européennes et les contrats signés. "Les pays d’Europe ne pourront simplement pas démêler les relations mutuelles exprimées en euro dont la mise en place à requis presque 15 ans", exprime ses craintes Iouri Danilov, directeur du Centre pour le développement des marchés des capitaux.
La suppression de l’euro pourrait aggraver les problèmes de dette de la zone euro. "Si l’euro s’effondrait, on deviendrait extrêmement méfiant à l’égard des monnaies européennes, explique Vladislav Inozemtsev, directeur du Centre d’études de la société postindustrielle. Par conséquent il sera bien plus difficile de vendre des obligations, et les entreprises européennes auront plus de difficultés à obtenir des crédits." La méfiance vis-à-vis des monnaies européennes souveraines paralysera l’économie ou forcera à chercher d’urgence une alternative, par exemple sous la forme du dollar américain.
Enfin, l’économie mondiale est au bord de la crise et, selon Igor Nikolaïev, la suppression de l’euro poussera inévitablement le monde vers un nouveau cataclysme.
L’euro dont on a encore besoin
En fait, toutes les discussions au sujet de la disparition éventuelle de la monnaie européenne, selon Iouri Danilov, sont associées à une interprétation inexacte du terme "désintégration de la zone euro."
"Sous le terme "effondrement de la zone euro", l’UE comprend la sortie de 1-2, au pire de 4 pays, explique Iouri Danilov. Ces scénarios ne supposent pas la disparition de l’euro en tant que monnaie."
En cas de division de la zone euro et de la dévaluation inévitable des monnaies des pays exilés, leur industrie reçoit certains avantages concurrentiels, mais parallèlement les problèmes budgétaires s’aggravent et le risque de déstabilisation sociale et politique s'accroît. Par contre l’euro va rapidement grimper, ce qui, selon Vladislav Inozemtsev, réduira la compétitivité des Etats qui auront conservé cette monnaie.
Beaucoup d’experts sont convaincus que les membres de la zone euro ne peuvent éviter une catastrophe économique qu'en restant ensemble.
"La seule solution consiste dans le rachat par la Banque centrale européenne (BCE) des obligations de la Grèce, de l’Italie, de l’Irlande et du Portugal qui devront être remboursées dans les trois prochaines années, déclare Vladislav Inozemtsev. Il sera nécessaire de dépenser 1.200-1.300 milliards d’euros à cet effet. Si la BCE émettait de l’argent pour ces obligations, tous les problèmes des banques européennes seraient automatiquement réglés, et le mécanisme de l’inflation s'enclencherait."
L’inflation est inévitable: elle relancera l’économie européenne et dévaluera les obligations à un point tel que les gouvernements effectueront leur remboursement à leur valeur nominale dans dix ans sans difficultés.
Cependant, les experts reconnaissent que les problèmes dans l’Europe méridionale demeureront irrésolus, et par conséquent on assistera, quelque temps après, à un nouveau cycle de crise…
Merci à Mickye pour le lien