Depuis le 11 septembre 2001, Français et Américains se sont progressivement installés dans l'idée que l'Afrique de l'Ouest sahélienne était en passe de devenir un nouveau sanctuaire pour Al-Qaida. La logorrhée sur la vulnérabilité que représenteraient des Etats supposés « faibles » ou « faillis », au demeurant grands pourvoyeurs de migrants, leur contiguïté géographique avec le Maghreb, la dominance religieuse de l'islam en leur sein, voire la prégnance, dans leur histoire, d'une vieille tradition maddhiste (on dit aussi millénariste), prompte au djihad, ont accrédité cette hypothèse dans l'esprit des décideurs. L'utilisation du Sahara nigérien, malien et mauritanien comme refuge par des groupes islamistes algériens, et les quelques prises d'otages occidentaux que ces derniers ont perpétrées, ont paru donner raison aux Cassandre de l'anti-terrorisme islamiste. Elles ont justifié non seulement l'aide militaire aux Etats sahéliens, mais aussi l'engagement direct de conseillers et de combattants américains et français sur leur sol. Depuis plusieurs années, Washington et Paris mènent une guerre en Afrique occidentale qui ne dit pas encore son nom.
Qui s'en indignera, puisqu'il y va, nous dit-on, de notre sécurité ? Sauf que, à force de crier au loup, l'on risque bien de le faire venir là où il ne frayait pas.
Le Sahel est l'une de ces zones liminales et grises que l'Etat n'a jamais entièrement contrôlées, bien qu'il les englobe et qu'elles ne vivent pas en dehors de lui, mais bien par rapport à lui, tant sur le plan politique que d'un point de vue marchand ou culturel. En tant que telle, la ceinture sahélienne est comparable à d'autres espaces de circulation et de dissidence, familiers aux historiens et aux anthropologues : ce que l'on a nommé, de manière aussi imagée qu'abusive, la Route de la Soie en Asie centrale ; l'Afghanistan et le Baloutchistan ; le Kurdistan ; ou encore les îlots du détroit de Malacca en Asie du Sud-Est. Dans ces interstices du système international d'Etats, des sociétés, généralement nomades, ont assuré le convoyage des hommes, des biens et des idées, quitte à se payer sur la bête au passage, par le brigandage, la piraterie, la guerre ou la contrebande. Elles ont entretenu avec les pouvoirs centraux de leur voisinage des relations ambivalentes, sur le mode du commerce, de la prédation, de l'affrontement, de l'alliance ou de la dissidence. Au Sahara et dans le Sahel, comme ailleurs dans le monde, ce sont des populations nomades qui ont joué les premiers rôles dans ces rapports de complémentarité, plutôt que d'altérité, avec l'Etat. On les y qualifie généralement du terme générique de Touarègues bien que certaines d'entre elles n'appartiennent pas à proprement parler à cet ensemble transsaharien et berbérophone. L'Etat colonial n'est jamais parvenu à les assujettir, et son successeur national n'y a pas mieux réussi, comme l'illustre la succession des rébellions au Mali, au Niger et au Tchad depuis les indépendances. Tout au plus a-t-il pu garantir, pour des durées plus ou moins longues, une paix relative grâce à diverses concessions politiques ou économiques.
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