Les richesses de l'Afghanistan : pourquoi cet effet d'annonce?

Publié le par sceptix

[...] Seul problème: il n’y a rien de nouveau. Les Soviétiques avaient cartographié ces richesses dès les années 1980, et leurs études avaient été publiées dans les revues géologiques occidentales en 2007. Il y a six mois, le président Hamid Karzaï évoquait déjà ce chiffre de «mille milliards».
 
Les Etats-Unis ont chiffré la valeur de l’Afghanistan
Par Frédéric Koller (le Temps)
17.06.2010
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/0f191b26-7987-11df-82f9-e11f385371ff/Les_Etats-Unis_ont_chiffr%C3%A9_la_valeur_de_lAfghanistan
 
On considérait l’Afghanistan comme l’un des pays les plus pauvres de la planète, on découvre qu’il est richissime.
 
C’est un mémo du Pentagone opportunément rendu public par le New York Times lundi qui l’affirme: ses montagnes regorgent de fer, de cuivre, de cobalt, d’or et de bien d’autres métaux rares. Le pays de l’opium pourrait se transformer en «Arabie saoudite du lithium» et sa fortune s’élever à «mille milliards de dollars».
 
En quelques heures, l’information a fait le tour de la planète. Une opération de communication rondement menée. Seul problème: il n’y a rien de nouveau. Les Soviétiques avaient cartographié ces richesses dès les années 1980, et leurs études avaient été publiées dans les revues géologiques occidentales en 2007. Il y a six mois, le président Hamid Karzaï évoquait déjà ce chiffre de «mille milliards».
 
D’où cette question: pourquoi cet effet d’annonce? Deux hypothèses se dégagent. Alors que l’OTAN piétine et que les talibans ne cessent de gagner du terrain, les Américains, à la suite des Européens, s’interrogent sur leur présence dans l’Hindu Kuch. Il faut redonner du sens à cette «guerre choisie», comme la qualifie Barack Obama, dont l’objectif initial, rappelons-le, était de punir Al-Qaida et chasser ses protecteurs de Kaboul. Au risque de brouiller le message comme ce fut le cas avec le pétrole en Irak.
 
Seconde piste: la course au trésor a déjà commencé et les Chinois ont pris une longueur d’avance. Ils ont aligné 4 milliards de dollars pour une mine de cuivre, le plus gros investissement jamais vu à Kaboul, mais ne déboursent pas un sou pour sécuriser le pays, une tâche qui commence à coûter cher aux Américains. Il s’agirait donc pour le Pentagone de faire monter les enchères et de contrer cette influence. Et nous voilà replongés dans le «Grand Jeu», comme au XIXe siècle, lorsque la Grande-Bretagne et la Russie se disputaient la domination de l’Afghanistan. Les joueurs ont changé, mais leur convoitise est immuable. Tant pis pour la paix afghane, car ce pauvre pays riche, dont la valeur marchande est désormais connue, semble condamné à rester un terrain d’affrontement pour les grandes puissances du moment
 
+++
 
«Les richesses du sol ne changeront rien»
 
Conrad Schetter, chercheur au Centre de Bonn sur l’Asie (Bonner Asienzentrum) revient sur les révélations lundi du New York Times sur l’existence de considérables ressources en minerais rares, enfouies sous le sol afghan. Leur valeur est estimée à 1000 milliards de dollars.
 
Le Temps: Comment expliquer que l’information du NYT, que détenaient semble-t-il déjà les Russes du temps où ils occupaient l’Afghanistan, sorte aujourd’hui au grand jour?
 
Conrad Schetter: Le NYT a, semble-t-il, des relations privilégiées avec la Maison-Blanche. Le quotidien est parvenu à plusieurs reprises ces derniers temps à publier des informations confidentielles. En l’occurrence, il est bien sûr difficile de juger dans quelle mesure la Maison-Blanche avait intérêt à ce que ces informations soient publiées maintenant. Ce qui est sûr, c’est qu’on assiste depuis six mois à un regain d’activité diplomatique autour de l’Afghanistan: rencontres du président Karzaï avec le président chinois [Hu Jintao], avec [Mahmoud] Ahmadinejad, visite de [secrétaire d’Etat Robert] Gates à Kaboul… Pourquoi les Américains sont-ils tout à coup nerveux de voir Karzaï rencontrer les dirigeants chinois ou iraniens? Et pourquoi tout à coup cette assurance tranquille du président afghan, qui semble très sûr de lui? Avec l’existence de telles ressources, Karzaï se trouve bien sûr dans un autre rapport de forces. Il n’est plus le président d’un pays pauvre, ce qu’il était encore au début de l’année.
 
– Hamid Karzaï lui-même viendrait de découvrir l’ampleur de ces richesses?
 
– En Afghanistan, de telles rumeurs existent depuis le début de la guerre. Mais on ne connaissait aucun détail. Je pense que le président lui-même a appris très tard l’existence et l’ampleur de ces richesses.
 
– Hamid Karzaï estime que c’est «la meilleure nouvelle qu’ait apprise» son pays depuis des années? Une bonne nouvelle pour l’Afghanistan?
 
– Pour Karzaï lui-même, c’est certainement une bonne nouvelle. En jouant les alliances avec les grandes puissances les unes contre les autres, il peut renforcer son pouvoir. Il pourra utiliser ces ressources pour lier davantage à lui sa clientèle, pour s’enrichir, enrichir son clan. Il ne faut pas oublier que le gouvernement afghan est l’un des plus corrompus du monde! L’an passé, le ministre des Mines a dû démissionner après qu’on eut appris que la Chine lui avait promis 30 millions d’euros s’il cédait aux Chinois les droits d’exploitation d’une mine de cuivre à proximité de Kaboul! L’exploitation de ces richesses ne changera en revanche rien pour l’essentiel de la population. Même l’effet sur l’emploi risque d’être minime. Lorsque les Chinois construisent une route en Afghanistan, ils amènent leurs ouvriers avec eux! L’exploitation des ressources minières créera peut-être 10 000 à 30 000 emplois. Alors que le taux de chômage est proche de 50% !
 
Je crains plutôt une nouvelle déstabilisation. Pour un pays entouré comme l’Afghanistan de grandes puissances, dont beaucoup comme la Chine ou l’Inde possèdent l’arme nucléaire, les conditions de départ sont défavorables. Regardez des pays tels que la République démocratique du Congo, l’Angola, la Sierra Leone ou le Liberia: l’existence ou la découverte de vastes ressources sont devenues la source de conflits supplémentaires. Il est intéressant de voir que, alors que les infrastructures dans le pays sont catastrophiques, l’Iran et la Chine ont construit ces derniers temps des voies de chemin de fer et des routes vers l’Afghanistan. Le pays n’est même pas prêt à exploiter ses ressources. Ses voisins le seront bientôt.
 
Il serait naïf de croire que l’Afghanistan, un des pays les plus pauvres du monde, puisse devenir une sorte de Suisse d’Asie centrale. Je m’attends plutôt à une course contre la montre entre grandes puissances et entreprises internationales pour s’assurer l’accès à ces richesses. Ce sont eux qui ont le know how pour exploiter ces ressources.
 
– Quelles seront les conséquences de ces ressources sur les talibans?
 
– Une grande partie de ces ressources serait située dans le sud-est du pays, là où les talibans sont le plus fort. Cela risque de les renforcer. Les talibans possèdent en Afghanistan un pouvoir géostratégique. Le Pakistan les utilise pour agir dans la région. Les Pakistanais chercheront à utiliser les talibans pour renforcer leur possibilité d’accéder à ces nouvelles ressources.
 
– Le président Horst Köhler a démissionné fin mai après des déclarations maladroites pouvant laisser entendre que la Bundeswehr était engagée en Afghanistan pour des raisons économiques. L’article du NYT jette un regard nouveau sur cette démission?
 
– Je ne crois pas. Il est vrai que l’Allemagne s’intéresse depuis plusieurs années à la région, mais plus particulièrement à l’Asie centrale (Turkménistan, Ouzbékistan et Kazakhstan), pour ses réserves en gaz et en pétrole. A Berlin, on a toujours pensé qu’en Afghanistan il n’y avait rien à aller chercher. Je n’ai jamais eu un seul instant, au cours de mes conversations avec des politiciens allemands, le sentiment que l’engagement militaire en Afghanistan pouvait être motivé par des raisons économiques. Je pense que Horst Köhler a été maladroit.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article