Pandémies et libertés publiques: de l’utilité des peurs collectives
Nous ne parlerons pas ici du sécuritaire pénal qui submerge les procédures pénales, et toutes les garanties individuelles et qui aboutit a ce que l’on pourrait appeler l’Ultra-Justice face active de l’ultra-libéralisme. Cette tendance qui du reste, après avoir connu une première phase carcérale, se poursuit par une phase de contrôle social, à la fois sur la voie publique: multiplications des dispositifs de vidéo-surveillance, mais dans le champ familial : différents projets de contrôle éducatifs des parents; dans le domaine des correspondances privées : contrôle de l’internet.
Tous ces dispositifs visent effectivement a maintenir et prévenir tout risque de débordements de la population. Mais que donne l’Etat en échange afin que les citoyens acceptent ces atteintes à leur liberté?
Pas la croissance économique, ni l’emploi, ni un développement social, environnemental et économique harmonieux mais la sécurité civile.. sur un fond de peurs collectives..
Il n’y a pas plus de main droite et de main gauche de l’Etat, celui ci a transformé son activité sociale par une assistance d’urgence en cas de catastrophe naturelle ou sanitaire, industrielle.
Le nouveau rôle de l’Etat n ‘est plus prioritairement les garanties sociales accordées aux plus précaires mais les garanties d’intervention d’urgence pour protéger le maintien des flux économiques, des infrastructures et de la santé des citoyens-consommateurs. Cela tombe bien , du fait du réchauffement du climat de nombreuses catastrophes sont annoncées ou en cours: inondations ,canicules, incendies, pandémies, sans oublier les catastrophes industrielles….
L’on notera d’ailleurs que dans notre organisation administrative , la sécurité civile est du ressort du ministre de la sécurité …L’un des attributs de l’Etat est effectivement la sécurité civile de ces citoyens tant il est vrai qu’aucun acteur privé ne dispose des mêmes moyens d’organisation mais aussi de planifications de restriction de libertés publiques.
1) Le processuel technicien à la place des droits fondamentaux
Les défis qui menacent nos sociétés sont telles qu’ils ne peuvent qu’avoir une large influence sur la production du droit.Nous sommes passé rapidement d’une norme juridique discutée et garante des situations individuelles à une production du droit conçu comme un ensemble de procédures prophylactiques mais évoluant dans le sens d’une réduction drastique des droits fondamentauxCette nouvelle posture de la pensée d’Etat éminemment technocrate s’oppose totalement à l’esprit des lumières et contredit l’idée classique que la procédure est garante l’exercice du droit ” mère de la liberté“. La nouvelle orientation va pervertir le respect du principe fondamental en le transformant en procédures soient disant efficaces .
2) L’exemple des plans de pandémie : le choix d’une démocratie restreinte
A partir de 2005 va éclore un plan de pandémie grippale ( Ministère de la santé Diffusion mai 2005) d’ailleurs en cours de refonte continuelle du fait de l’avancée en Europe de la grippe aviaire. Ce plan consultable sur le site du ministère de la santé
plusieurs niveaux d’alertes particulièrement complets. Ainsi la phase pandémique incluait dans le détail les mesures de santé , d’isolement des populations et d’ordre public. La hiérarchie des priorités d’ordre public est établie par le ministère de l’intérieur. Tout en insistant sur la nécessité de maintenir les flux économiques, on peut y lire que les déplacements à caractère médical, judiciaire et de sécurité seront maintenus…. Le préfet pouvait limiter les déplacements des citoyens voir mettre sous son autorité tous les pouvoirs ( justice, police, armée).
Ce plan passé inaperçu en 2005 se renforcera au fil de mois et se précisera. Il donnera naissance à un plan national de prévention et de lutte contre la pandémie grippale, une première fois public par une note adressée le 26 août 2009 par Eric Woerth. Le gouvernement envisagent ” d’adapter les règles de procédures pénales et d’organisation judiciaires en cas de crise sanitaire de nature pandémique”. En réalité l’article 38 de la constitution lui permet de statuer par ordonnance ( sans débat parlementaire).
Ainsi le plan autorisera le gouvernement, pour un délai de 6 mois renouvelable une fois:
- de faire juger les mineurs par le tribunal correctionnel prévu pour les majeurs, au mépris des principes constitutionnels et internationaux en la matière ;
- de confier toutes les audiences pénales à un seul magistrat, en violation du principe de collégialité ;
- de remettre en cause la publicité des débats, en prévoyant la possibilité de généraliser le huis clos ;
- de réduire les droits des personnes gardées à vue, en particulier celui de s’entretenir avec un avocat qui pourrait être inexplicablement différé à la 24ème heure ;- de prolonger les délais de détention provisoire de 4 à 6 mois, sans audience ni débat devant le juge des libertés et de la détention qui statuerait sur dossier ;
- de suspendre tous les délais de prescription.En réalité les droits de l’individu face à ces événements majeurs sont réduits à néant … La constatation de la survenance de la crise sanitaire est de la compétence d’un décret de Conseil des Ministres.
3) Perspectives
Il n’est pas dans notre propos de discuter ou contester l’existence d’une pandémie grippale, ce qui dépasse de loin notre connaissance.
Par contre la construction et conséquences d’une telle réduction des libertés et des droits des citoyens suscitent une légitime inquiétude, d’autant plus que le choix constitutionnel utilisé ( législation par ordonnance) peut durer jusqu’à un an et s’imposer définitivement dans le fonctionnement de le République, bien au delà du déjà dangereux article 16 de la constitution qui ne peut durer que 30 jours.
Sur fond de peurs collectives apparaît un nouveau projet de société consistant a imposer une démocratie restreinte, choix d’un pouvoir executif totalement dominant et dont la majorité des décideurs politiques et économiques semblent s’accommoder. Du reste de grandes figures philosophiques de XX éme sicècle ont idéalisés cette situation: la démocratie processuelle et la sphère du communicationnel ne tend pas vers une “situation idéale de parole” comme le prétend Jurgen Habermas ( technique et science comme idéologie Gallimard 1973, après l’Etat Nation fayard 2000) mais se trouve de plus en plus instrumentalisée par les grands intérêts privés, jusqu’a perdre toute vertu démocratique. ( voir sur cette analyse les travaux de Lucien Stève ( Pour une critique de la raison bioéthique 1994 Odile Jacob).
L’Etat de droit que l’on nous sert n’est plus fondé sur les principes fondamentaux du droit, il n’est devenu qu’un ensemble de processus rythmés sur un tempo de l’urgence, du temps réel diront les bureaucrates au profit d’un système économique que l’on dit préserver. Mais pour quels bénéfices et pour qui?
Devant ce tableau noir, dérives instrumentales au services du capitalisme financier devenu totalement destructeur, il convient absolument de se ré-approprier la raison du Droit. Celle ci n’est pas forcement composée uniquement par une recherche d’efficacité, mais recouvre les principes inaliénables de la personne humaine.
Cette mise en exergue des périls qu’il soit sanitaires ou climatiques ne doit pas nous faire oublier que la meilleure façon de lutte contre ces fléaux et aussi d’en prévenir la survenance consiste en une appropriation des dangers et des solutions par les citoyens, issue d’une information claire et objective et surtout largement débattue.
L’actuel débat vis à vis de la campagne de vaccination souligne l’état de maturité de la population qui arrive a résister à cette offensive médiatico-sanitaire, loin devant les intérêts mercantiles et les paniques collectives. Ce qui différencie aussi l’homme de l’animal c’est qu’il n’est pas dans l’immédiateté et la force, mais dans l’analyse et le droit comme moyen symbolique et social de réparation. Poser comme principe inaliénable que les droits inclus dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme sont devenus indissociables de la mise en place d’un développement soutenable, est la manière d’éviter ces nouveaux systèmes de domination. Cette optique implique de sortir des concessions multiples qui nous obligent a renoncer à nos droits sous prétexte d ‘efficacité.
Gilles SAINATI.
membre du syndicat de la magistrature
Co auteur de la” décadence sécuritaire” la fabrique édition 2007
http://www.faits-et-libertes.fr/