Pourquoi le Yémen ? L’Ouest serait-il en train de choisir une nouvelle cible ?
Retour sur l’affaire des colis piégés retrouvés à bord d’avions-cargo en provenance du Yémen, affaire qui avait défrayé la chronique à la fin du mois d’octobre dans tous les médias occidentaux. L’analyse qu’en fait le journaliste russe Boris Volkhonsky n’étonnera pas nos lecteurs habituels, aussi bien sur la question du "timing" des événements que sur le choix du pays "cible", le Yémen. N’oublions pas que nous étions alors en pleine période électorale de mi-mandat aux USA, qui fut riche en alertes terroristes diverses et variées. Plusieurs grands médias européens avaient qualifié ces alertes d’exagérées et non dénuées d’un certain degré de "propagande" comparable à celle utilisée par un certain George W. Bush.
Pourquoi le Yémen ? L’ouest serait-il en train de choisir une nouvelle cible ?
par Boris Volkhonsky, The Voice of Russia, le 1er nov. 2010
Les tentatives d’attentats de ces dernières semaines – dans des avions à destination des USA ou dans des synagogues US, vraisemblablement à Chicago – restent le sujet numéro un des médias occidentaux.
Pendant ce temps, la panique a déferlé sur les États-Unis et l’Europe de l’Ouest. La plupart des pays occidentaux ont relevé leur niveau d’alerte terroriste. La Grande-Bretagne a même déclaré un gel de tous les vols en provenance du Yémen à destination du territoire britannique.
Cette histoire nécessite quelques clarifications.
Tout d’abord, pourquoi le Yémen ?
Le fait est que les autorités du Yémen ont un très faible contrôle de leur territoire, et ont sans aucun doute encore moins envie de combattre le terrorisme international que leurs voisins saoudiens. Par conséquent, certaines figures emblématiques de la mouvance terroriste ont trouvé refuge au Yémen, surtout après que l’Afghanistan et le Pakistan aient cessé d’être des refuges à cause des opérations militaires incessantes.
Ensuite, pourquoi maintenant, et pourquoi Chicago ?
En fait, le timing des attaques (ou plutôt, des tentatives d’attaques, et même des tentatives présumées d’attaques) a été choisi avec soin. Les élections de mi-mandat vont avoir lieu aux États-Unis, et l’administration démocrate se prépare à sa plus lourde défaite depuis des décennies. Si nous regardons vers un passé pas si lointain, il apparaît qu’une attaque terroriste sur-médiatisée est probablement le meilleur moyen pour une administration de redresser sa popularité. Et une attaque déjouée avant qu’elle ait été exécutée donne des points supplémentaires aux autorités. Et donc, quels que soient les motifs des terroristes, ce complot déjoué a tout pour fournir à Barack Obama et aux démocrates quelques points dus au « vote par compassion ». Le fait que les explosifs aient été destinés à des synagogues de Chicago (la ville natale d’Obama) parle de lui-même.
Bon, et ensuite ?
Une réponse plus facile serait de dire que l’administration Obama cherche un nouveau terrain pour reprendre l’initiative. Et après l’évident échec en Irak et en Afghanistan, ils pourraient voir dans le Yémen un nouvel enjeu dans leur grand jeu (« great game ») géopolitique. Il ne faut pas sous-estimer l’importance stratégique de ce pays. Le pouvoir qui contrôle le Yémen contrôle la plupart des routes maritimes entre l’Europe, le Moyen-Orient, de Sud et le Sud-est asiatique. Pour l’instant, si quelqu’un a le contrôle de cette région vitale, ce sont bien les pirates somaliens. Pour les USA, s’emparer d’un territoire là-bas avec des projets d’implantation de ses bases militaires, signifierait un retour sur le devant de la scène, après les échecs des deux dernières décennies, mais ne parait plus possible à présent.
Mais alors, il y a une autre question, probablement plus cruciale. Quels moyens les USA sont-ils prêts à utiliser contre une force qui est au départ une pure invention des USA, i.e. al-Qaida ?
A ce jour, les moyens militaires ont prouvé leur totale inefficacité, à la fois en Irak et en Afghanistan. De surcroit, si le Yémen est vraiment devenu le refuge pour les extrémistes, c’est la conséquence de l’invasion de ces deux pays par les Américains. Donc, une opération militaire contre le Yémen apporterait seulement une chose : al-Qaida déplacerait ses opérations dans une autre zone, et les germes du terrorisme se propageraient ailleurs.
Bien sûr, l’horloge de l’Histoire ne peut pas être inversée et revenir en arrière est impossible. Mais il peut être utile de tirer les enseignements du passé. Et en observant ce qui s’est passé dans les années 80, on pourrait dire que ce sont les USA qui, en soutenant les moudjahidines en Afghanistan, ont créé les Talibans et al_Qaida. Maintenant, en les combattant impitoyablement au Moyen-Orient, ils retournent l’ensemble du monde musulman contre eux-mêmes et leurs Alliés. Qu’obtiendront-ils en étendant leurs activités militaires à une nouvelle zone dans cette région instable, c’est une question dont pratiquement personne n’apprécierait la réponse.
Boris Volkhonsky
The Voice of Russia, le 1er nov. 2010
Traduction et illustration par GV pour ReOpenNews.
Note ReOpenNews (*) :
Voir nos articles en lien avec les alertes terroristes de ce début d’automne et avec le Yémen :
- Barack Obama accusé d’exagérer la menace terroriste pour des objectifs politiques | Simon Tisdall et Richard Norton-Taylor, The Guardian | 7 oct.
- Mediapart : Menace terroriste et crise politique, le précédent George Bush | Thomas Cantaloube, Mediapart | 27 sept.
- Nouvelle cassette de Ben Laden, désormais chantre de l’écologie et de l’aide humanitaire | Agence Reuters | 2 oct.
- Terrorisme fabriqué : les explications d’Elias Davidsson | ReOpen911 interviewe Elias Davidsson | 17 sept.
- Obama programme une escalade des massacres au Yémen | Bill Van Auken, Le Grand Soir | 2 sept.
- Yémen: Ce n’est pas Al-Qaïda que les USA combattent, mais la démocratie | Interview de Mohamed Hassan par Grégoire Lalieu & Michel Collon, Investig’Action | 12 janv.
- Megachip : Les fausses pistes terroristes et les nouvelles guerres | Pino Cabras pour Megachip | 30 déc. 2009