Rappel : Affaire Karachi, l'incroyable confession d'un trésorier politique

Publié le par Charlotte sceptix

Affaire Karachi : l'incroyable confession d'un trésorier politique
EXCLUSIF. Alexandre Galdin, qui travaillait à la campagne électorale d'Edouard Balladur en 1995, raconte comment il transportait de grosses sommes d'argent liquide. Il a été entendu comme témoin dans l'enquête sur l'affaire Karachi.
 
06.03.2011
Lors de la campagne présidentielle de 1995, il fut le « porteur de valises » de l'Association de financement de la campagne d' (Aficeb). Alexandre Galdin, 43 ans, a été entendu le 25 février comme témoin par le juge Renaud Van Ruymbeke, tout comme l'avait été, quelques jours auparavant, l'ex-trésorier de l'Aficeb, René Galy-Dejean. Devant le magistrat du pôle financier, les deux hommes ont chacun fait part de leurs doutes sur la provenance des fonds utilisés durant la campagne. Leurs auditions, capitales, viennent contredire l'assurance affichée jusqu'à présent par les proches d'Edouard Balladur. Elles jettent une lumière crue sur le financement d'une candidature que l'on disait « gagnée d'avance ». Dans le cadre de son enquête sur l'attentat de Karachi, le juge Van Ruymbeke veut savoir si la campagne d'Edouard Balladur a pu être financée par des rétrocommissions liées aux contrats d'armement Agosta (Pakistan) et Sawari II (Arabie saoudite). Avec, en ligne de mire, cette obsédante question : l'arrêt brutal du versement des commissions, ordonné par au lendemain de sa victoire, peut-il être à l'origine de l'attentat de Karachi qui, le 8 mai 2002, a coûté la vie à onze ingénieurs français de la direction des constructions navales? Dans quelles circonstances avez-vous été amené à travailler pour l'Aficeb? ALEXANDRE GALDIN. René Galy-Dejean, dont j'avais été l'assistant parlementaire, m'a demandé en janvier 1995 de le rejoindre à l'Aficeb, qui venait d'être créée pour les besoins de la campagne et dont il avait été nommé trésorier. Il souhaitait que j'étoffe son équipe, installée au dernier étage du quartier général de la campagne, au 84, rue de Grenelle. La cellule de trésorerie était alors composée de deux personnes, un homme et une femme, déjà en place avant son arrivée. Débarquant de mon service militaire, je suis allé les rejoindre. Nous étions les « petites mains » de la campagne. En quoi consistait votre travail? Nous faisions des copies de chèques, nous tenions des registres, c'était un travail très paperassier. Et puis, tous les trois jours environ, j'allais déposer de l'argent en liquide, dans une mallette, au Crédit du Nord. Comment cela se passait-il? C'était toujours le matin. On me confiait une mallette. Je la portais à pied jusqu'à la banque, où j'en déposais le contenu. L'argent était compté. On me faisait signer un bordereau. Et je rentrais au siège de la campagne. En tout, entre le 13 mars et le 24 avril, j'ai dû procéder à vingt-deux dépôts. De quelles sommes s'agissait-il? Sous quelles coupures? Cela pouvait aller de 100 000 à 500 000 F maximum (NDLR : environ de 15 000 à 75 000 €), car la mallette ne pouvait pas contenir plus. L'essentiel des coupures était constitué de billets de 500 F (75€). Mais il y avait aussi, en proportion très faible, des coupures plus petites, de 10 F ou 50 F (de 1,50 à 7,50 €). Ce mélange répondait sûrement à une volonté de dissimulation. Connaissiez-vous la provenance de ces fonds? Non. On ne me le disait pas et personne ne posait vraiment la question. En mon for intérieur, je pensais alors qu'il s'agissait de fonds secrets de Matignon. Tout le monde, au QG, le subodorait. Etiez-vous toujours seul lors des dépôts? Oui. Sauf la dernière fois. Ce jour-là, le 26 avril, René Galy-Dejean m'accompagnait. Il faut dire que le volume de ce dépôt était particulier. Pourquoi? Ce matin-là, quand je suis arrivé au siège de l'association à 9 heures, nos bureaux étaient recouverts de dizaines de hautes piles de billets de 500 F. Un spectacle incroyable. J'étais stupéfait. « Qu'est-ce que c'est? », ai-je demandé. La réponse qu'on m'a faite, en substance, c'était : « Ne pose pas de questions. » Et je n'en ai pas posé. Et à la banque? Cette fois, le volume d'argent était tel que ce n'est pas une mallette mais une valise en faux cuir marron, de très mauvais goût, que j'ai apportée à la banque. Sans doute pour la même raison, René Galy-Dejean m'accompagnait. A la banque, ils ont tout compté. Je me souviens de leurs regards effarés devant le volume qu'ils avaient en face d'eux. Cela représentait combien? Je ne m'en souviens pas exactement. Peut-être trois millions de francs, soit l'équivalent de six mallettes. A part René Galy-Dejean, qui fréquentait le 84, rue de Grenelle? Tous les ministres du gouvernement Balladur y disposaient d'un bureau, le plus souvent occupé par un homme de confiance. On croisait , Nicolas Bazire, Brice Hortefeux, Frédéric Lefebvre, Michel Barnier, François Fillon, François Léotard, Michel Giraud… Avez-vous évoqué, avec eux, la question de la provenance de ces fonds? Jamais. Cet argent pouvait-il provenir des meetings ou des quêtes, comme l'a ensuite affirmé Edouard Balladur? Non. C'était impossible. Les explications d'Edouard Balladur, à cet égard, sont évidemment mensongères. Le 12 octobre, les comptes de la campagne d'Edouard Balladur ont été validés. Oui. Et j'ai été très soulagé quand j'ai appris qu'Edouard Balladur avait désigné un autre mandataire que René Galy-Dejean pour les défendre devant le Conseil constitutionnel. Je savais que les explications officielles ne tenaient pas la route. Que pensiez-vous de ces méthodes de financement? C'était politiquement inavouable et moralement condamnable, mais je ne me sentais pas, alors, dans l'illégalité. Croyez-vous toujours qu'il s'agisse des fonds secrets de Matignon? Pour partie, peut-être. Mais pas seulement. Même si nous n'en parlions pas à l'époque, la thèse selon laquelle cet argent liquide pourrait provenir de rétrocommissions liées aux contrats d'armement me paraît également plausible. En tout cas, elle doit être explorée. Ma seule certitude, dans cette affaire, c'est que l'Aficeb et son trésorier, René Galy-Dejean, ont été instrumentalisés.

 

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