"Sarkozy nous a déclaré la guerre"
Lorsque, au détour d'une phrase en sortant du G20, le président français a cité l'Uruguay comme étant un paradis fiscal à bannir, il n'imaginait pas que ce petit pays lointain, dirigé par un président atypique, en ferait une affaire d'Etat...
09.11.2011 | Anne Proenza | Courrier international
© AFP
La petite phrase prononcée par Nicolas Sarkozy à l'issue du sommet du G20 à Cannes, le vendredi 4 novembre, citant l'Uruguay comme faisant partie des paradis fiscaux qui doivent être mis au ban de la communauté internationale, n'a pas été très appréciée des Uruguayens. Elle a provoqué non seulement une petite crise diplomatique – le gouvernement uruguayen a démenti le fait et aussitôt rappelé son ambassadeur à Paris tout en convoquant l'ambassadeur de France à Montevideo pour obtenir des explications –, mais aussi l'indignation des hommes politiques, des médias, et tout un tas de commentaires plutôt désobligeants pour Nicolas Sarkozy, accusé au mieux d' "ignorance", de "folie" ou, au pire, d'être "un néocolonialiste" ou "un barbare".
"C'est une grave accusation faite par un président. Même si l'on peut penser qu'il s'agit d'un coup de folie de Sarkozy, écrasé par la crise de l'euro et la corruption des banques, c'est à prendre au sérieux", écrit Raúl Legnani dans La República. Dans son article intitulé "Cruauté coloniale : Sarkozy ne passera pas", le même éditorialiste poursuit : "Cela représente presque une déclaration de guerre à un petit bout de terre où vivent trois millions d'habitants, dont le principal sport est d'aller en jogging au supermarché ou de voir les matchs de baby-foot de leurs enfants."
La commission politique du Frente Amplio (FA), la coalition de partis de gauche au pouvoir, a publié un communiqué pour rejeter les déclarations "à tendance colonialiste" de Sarkozy, rapporte El Observador. Pour le gouvernement uruguayen, les propos de Sarkozy "représentent des exagérations et des excès inadmissibles", d'autant, rappelle La Diaria, que la France et l'Uruguay avaient signé un traité bilatéral d'échange de renseignements fiscaux fin 2009. L'opposition, pour sa part, a tenté de mettre les pieds dans le plat et d'amplifier la crise en accusant le Brésil et l'Argentine – membres du G20 – d'être responsables de ces accusations.
"Mais nous ne déclarerons pas la guerre à la France", a ironisé le président José Mújica, le mardi 7 novembre, dans un entretien à El Observador, ajoutant : "Je pense que Sarkozy a eu une petite brouille avec sa jolie épouse, il était dans une mauvaise passe. Ça arrive à tout le monde."
L'Uruguay, ce petit pays lointain, avait certes dans les années 1950 la réputation d'être la "Suisse de l'Amérique". De l'eau a coulé sous les ponts depuis : une dictature (1973-1984), le retour de la démocratie en 1985, la gauche au pouvoir depuis 2004 et l'élection en 2010 de l'ancien guérillero José Mujica. Après un bref passage sur la "liste noire" des paradis fiscaux établie par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l'Uruguay figure depuis avril 2009 sur la "liste grise", constituée par les pays qui n'ont pas mis en œuvre toutes les normes internationales de transparence fiscale. Selon le ministre de l'Economie uruguayen, "le pays a signé dix des douze accords en matière de transparence fiscale demandés par l'OCDE" (La Diaria). Le gouvernement s'est engagé à entreprendre des négociations sur le sujet avec ses voisins, le Brésil et l'Argentine. Le président actuel, José Mujica, est un dirigeant atypique : il vit toujours dans sa fermette de la banlieue de Montevideo et verse les trois quarts de son salaire de président à des organismes d'aide au logement social.