Services à la personne : des emplois au rabais
Le gouvernement veut récupérer 300 millions d'euros en réduisant les subventions fiscales accordées aux ménages qui embauchent du personnel à domicile. Il pourrait aller beaucoup plus loin, tant cette politique est socialement injuste et inefficace.
Ce n'est pas encore machine arrière, mais un petit pas dans le bon sens. En mars 2009, le secrétaire d'Etat chargé de l'Emploi, Laurent Wauquiez, vantait les mérites de son "plan 2 des services à la personne", dans la foulée du "plan Borloo" déclaré un grand succès en matière de création d'emploi. Ce nouveau plan créerait 100 000 emplois supplémentaires chaque année, expliquait-on à l'époque, grâce à des aides publiques encore plus généreuses. Désormais, rigueur oblige, le ministre du Budget François Baroin justifie la suppression de l'abattement de 15 points sur les exonération sociales, proposé jusqu'ici aux ménages qui embauchent du personnel à domicile.
A vrai dire, le manque à gagner pour l'Etat reste très modeste, de l'ordre de 300 millions d'euros, à comparer avec 7,8 milliards d'euros de subventions fiscales accordées en 2007. (Voir l'encadré à la fin de cet article). On aurait envie que le gouvernement aille plus loin et reconsidère sa politique de l'emploi, tant ces subventions sont non seulement socialement injustes et coûteuses : selon l'Insee, le coût fiscal des réductions d'impôt accordées aux utilisateurs de services à domicile se révèle nettement plus onéreux que ce qu'aurait été le financement direct par l'Etat des emplois créés par cette mesure. En outre, 70% des aides fiscales bénéficient au dixième le mieux loti de la population.
Le « plan 1 » des services à la personne a démarré en 2006. Avec trois ingrédients principaux. D'abord des aides publiques importantes en faveur de toutes les activités exercées au bénéfice de particuliers à leur domicile, du ménage au gardiennage d'enfants en passant par le soutien scolaire : cotisations de sécurité sociale réduites, voire annulées dans certains cas, TVA à taux réduit lorsque ces services sont rendus par des organismes agréés, déduction fiscale sur l'impôt sur le revenu ou crédit d'impôt[1]. Ensuite, la création d'« enseignes » nationales permettant aux particuliers de faire appel à tout moment, pour des demandes ponctuelles ou à fréquence déterminée, à des organismes capables de mobiliser le personnel nécessaire pour y répondre. Enfin, l'instauration d'un « chèque emploi service universel » (CESU) prenant la suite du « chèque emploi service », servant, comme ce dernier, de contrat de travail et de moyen de paiement du salarié ou de l'organisme rendant les services, mais pouvant être « préfinancé » par l'employeur de l'utilisateur, un peu comme c'est le cas pour les titres restaurant : dispensées de toute cotisation sociale, ces aides de l'employeur sont donc moins coûteuses que des augmentations de salaires et elles s'accompagnent en outre d'un crédit d'impôt de 25 % pour les entreprises (limité à 500 000 euros). Le tout sous la houlette d'une « Agence nationale des services à la personne », chargée de la production.
Au total, des services à domicile moins coûteux pour les usagers, des facilités plus grandes d'accès, des aides par les employeurs encouragées par une fiscalité incitative : tous les ingrédients du succès étaient réunis.
Et ce fut effectivement un succès. A une exception près : les enseignes, portées par des réseaux bien implantés comme l'ADMR (Personia) ou la MSA (Fourmi verte) ou par des assurances mutualistes comme la MACIF, la MAIF, la MGEN (Séréna), n'ont pas vraiment réussi leur percée. Mais pour le reste, face à une offre ainsi stimulée, la demande a été au rendez-vous. Fin 2008, on comptabilisait 16 000 organismes agréés, des associations pour la plupart, mais aussi près de 6500 entreprises privées et un certain nombre d'organismes publics (Centres communaux ou intercommunaux d'action sociale notamment), et, surtout, un très grand nombre de personnes employées en « gré à gré », c'est-à-dire directement par les usagers (qui sont alors des « particuliers employeurs »). Entre 2003 et 2008, le nombre d'heures de travail déclarées dans le cadre des services à la personne (hors assistants maternels) est passé de 620 à 800 millions, et le nombre de salariés concernés est passé de 960 000 à 1,32 million (1,6 million en comptant les assistants maternels). Mais on voit tout de suite le revers de la médaille : chacun de ces nouveaux emplois correspond en moyenne à dix heures hebdomadaires[2]. Certes, en moyenne, chaque salarié compte 2,2 employeurs. N'empêche : en 2006, un salarié sur deux a travaillé moins de 227 heures dans l'année et a gagné moins de 1700 euros nets (140 euros par mois).
Ce type d'emploi est donc une source importante de paupérisation salariale. Et ceci grâce à une aide massive de l'Etat. En effet, chaque heure travaillée fait l'objet de réductions de cotisations sociales et de réductions d'impôts de l'ordre de 10 euros, sans compter les exemptions sociales et fiscales attachées au CESU lorsque l'entreprise le finance en partie. On compte désormais (2008) un peu plus de 12 000 entreprises qui ont financé des CESU pour 280 millions d'euros, ce qui représente une économie de cotisations sociales de l'ordre de 100 millions d'euros pour les entreprises par rapport à ce qu'elles auraient du payer si elles avaient distribué ces 280 millions en salaires. Si l'on fait le compte, hors garde d'enfants et aide aux personnes âgées, le plan 1 coûte aux contribuables de l'ordre de 5 milliards d'euros par an[2], pour environ 70 000 créations d'emplois par an, dont la majorité sont paupérisants.
On attendait donc du plan 2 qu'il corrige ces tares. Que, notamment, il subordonne les aides fiscales au fait de passer par des organismes (publics ou associatifs) chargés de vérifier la qualité des emplois créés. Car, comme l'écrivent Jacques Delors et Michel Dollé[4], « l'aide massive décidée par les derniers gouvernements en faveur des services aux personnes ne doit pas faciliter la création d'emplois de faible intensité professionnelle et l'octroi d'avantages fiscaux excessifs à la partie la plus aisée de la population ». Hélas, il n'en est rien. Au contraire, pour une bonne part, ce plan 2 amplifie les défauts du plan 1. Car en période de crise, tout emploi créé est un « bon emploi » même s'il est misérable. Le plan 2 avance essentiellement trois grands types de mesures. D'abord, il élargit la gamme des services à domicile susceptibles de bénéficier d'aides fiscales (par exemple les audits « éco-habitat »), ensuite il assouplit le cadre des CESU (par exemple, les entreprises pourront en distribuer à leur clientèle dans le cadre d'opérations promotionnelles), enfin, l'Agence nationale des services à la personne sera chargée d'expérimenter cinq « centres de ressources » chargés de mettre en relation particuliers employeurs et salariés, afin d'assurer à ces derniers une meilleure formation et, surtout, des emplois plus proches d'un temps plein.
A l'exception de ce dernier point - plus symbolique que réel -, ce plan 2 ne tirait donc aucune des leçons du plan 1. Il aura donc fallu « le-plan-de-rigueur-qui-ne-dit-pas-son-nom » pour qu'une rectification de tir soit opérée. Mais une rectification mineure, qui économisera environ 300 millions d'euros : la suppression, à partir de 2011, des réductions de cotisations sociales accordées aux employeurs pour les services rendus par des salariés à domicile. En revanche, il ne semble pas question de toucher aux avantages fiscaux, du moins le laisse-t-on entendre. Or, selon l'Insee, le coût fiscal des réductions d'impôt accordées aux utilisateurs de services à domicile se révèle nettement plus onéreux pour les finances publiques que ce qu'aurait été le financement direct par l'Etat des emplois créés par cette mesure. En outre, 70 % des aides fiscales bénéficient au dixième le mieux loti de la population.
Certes, la majorité des services à la personne, qu'il s'agisse de l'aide aux personnes âgées à domicile ou de la garde d'enfants, sont d'une utilité sociale cruciale. Stimuler leur développement permet donc à la fois de satisfaire des besoins sociaux et de créer des emplois. Mais encore faut-il que le travail des salariés concernés soit reconnu socialement et que la manière de rendre ces services soit la meilleure possible. Dominique Méda et Hélène Périvier[5] font ainsi valoir, en s'appuyant notamment sur les travaux de Gǿsta Esping-Andersen[6], que l'accueil précoce des enfants dans des organismes de qualité favorise leur réussite scolaire ultérieure. A leur suite, Jacques Delors et Michel Dollé proposent la mise en place d'un service public de l'enfance accessible à tous et rendu par une diversité d'acteurs. Il permettrait en outre de créer des emplois de qualité. Le choix effectué de subventionner les employeurs et les utilisateurs plutôt que les services rendus finit par coûter très cher à la collectivité, aide financièrement en majorité ceux qui n'ont pas vraiment besoin de l'être, laisse de côté une grande partie de ceux qui en auraient besoin et aboutit à multiplier les emplois de mauvaise qualité. Est-ce bien raisonnable ?
- (1) Le crédit d'impôt vise à rembourser aux ménages non imposables sur le revenu (à condition qu'au moins l'un de ses membres soit actif) l'équivalent de ce qu'ils auraient pu déduire de leur impôt sur le revenu s'ils avaient été imposables.
- (2) Pour une analyse plus détaillée, voir le document de la DARES.
- (3) Pour une analyse plus détaillée, voir le document de la DARES.
- (4) Investir dans le social, éd. Odile Jacob, 2009, p. 251.
- (5) Dans Le deuxième âge de l'émancipation, éd. du Seuil, 2007.
- (6) Voir notamment Trois leçons sur l'Etat-Providence (avec Bruno Palier, éd. Du Seuil, 2008).