Sucre, coton, maïs: l'explosion des prix fait saliver les spéculateurs

Publié le par sceptix

Des travailleurs manipulent du coton qui vient d'être... (Photo Bloomberg)

Agrandir

Photo Bloomberg

Des travailleurs manipulent du coton qui vient d'être cueilli.

 

Incendies en Russie, inondations au Pakistan, sécheresse au Brésil... la météo a bouleversé les récoltes cet été. La situation n'est pas aussi alarmante que lors de la crise alimentaire de 2008. Néanmoins, l'envolée du prix des denrées prix aura un impact sur les consommateurs et les investisseurs. La Presse Affaires a fait le tour du jardin, avec Nicolas Fragneau, gestionnaire chez Amundi, à Paris.

Incapable de résister à un bol de café le samedi matin? Vous n'êtes pas seul. L'arôme du café attire aussi les investisseurs qui ont vu le prix grimper de près de 45% depuis le printemps.

Idem pour plusieurs autres denrées comme le coton, le maïs et le blé. Depuis six mois, leur prix a explosé de plus de 50% en raison des conditions météorologiques qui ont perturbé les récoltes à travers le monde.

Par exemple, les incendies en Russie et les fortes pluies au Canada ont nui à la production de blé. Même si le phénomène est temporaire, car les stocks mondiaux restent très élevés, le prix du blé s'est envolé, poussé par les spéculateurs qui s'intéressent de plus en plus aux denrées agricoles.

«Le pourcentage des positions spéculatives est très, très élevé aujourd'hui. Il est remonté fortement au cours de l'été pour atteindre des niveaux qui sont presque comparables à ceux que l'on avait en 2008, lorsqu'il y a eu la bulle des matières premières», observe Nicolas Fragneau, qui gère 500 millions$US d'actifs à l'intérieur du Fonds Global agriculture d'Amundi, l'un des plus grands gestionnaires d'actifs au monde.

Le fonds n'investit pas directement dans le marché des denrées, extrêmement volatile et risqué. Il se concentre sur les actions dans l'industrie agricole. «On veut financer le développement des sociétés et de l'offre globale agricole pour subvenir aux besoins de tous les habitants de la planète, plutôt que d'ajouter de la pression sur les prix et de créer une inflation alimentaire», explique M. Fragneau.

Spéculation et crise alimentaire

Auparavant, la spéculation sur les matières premières se limitait au pétrole et à l'or. Puis, elle s'est étendue aux métaux de base, il y a sept ou huit ans. Et depuis 2007, les spéculateurs se sont déplacés vers les denrées.

Pour certaines denrées, comme le maïs, la spéculation peut atteindre jusqu'à 45% des positions sur le marché des contrats à terme, où s'établit le prix des denrées.

«C'est un phénomène assez nouveau, qui prend de l'ampleur, suffisamment pour que les autorités américaines et européennes se disent qu'il faut intervenir pour limiter le champ d'action des spéculateurs», dit M. Fragneau.

Cette semaine, le commissaire européen au Marché intérieur et aux Services financiers, Michel Barnier, a déclaré qu'il souhaitait procéder à «une réforme ambitieuse des marchés des matières premières» pour éviter que les spéculateurs fassent trop dériver les prix. Au Sénat américain, une commission d'enquête se penche aussi sur cet enjeu.

La violente hausse des prix, cet été, a rappelé de mauvais souvenirs. Personne ne veut revivre une crise alimentaire mondiale comme en 2008, même s'il y a peu de risques qu'une telle situation se reproduise, estime M. Fragneau.

«En 2008, les gouvernements ont été pris par surprise, dit-il. Aujourd'hui, ils sont beaucoup mieux préparés. Il y a des stocks stratégiques.»

Ainsi, quand le prix du blé a commencé a monté au début de l'été, le gouvernement égyptien s'est précipité pour accumuler des stocks, afin que sa population puisse en acheter à un coût raisonnable, même si les prix continuaient de monter. Gros importateur de blé, l'Égypte avait connu de graves émeutes en 2008.

L'appétit des marchés émergents

Si l'envolée de certaines denrées, comme le blé, dépend surtout de facteurs météorologiques temporaires et de la spéculation, d'autres denrées agricoles sont soutenues par des tendances de fonds.

Par exemple, le prix du maïs, qui permet de fabriquer de l'éthanol, est alimenté par la demande croissante d'énergies alternatives. «Dans un litre de carburant aux États-Unis, il y a 90% de pétrole et 10% d'éthanol. Et les autorités américaines sont en passe de relever à 12 ou 14% la part d'éthanol», avance M. Fragneau.

Le maïs sert aussi à nourrir les animaux. Or, la consommation de viande grimpe dans les pays émergents. «Plus un pays s'enrichit, plus ses habitants ont tendance à manger de la viande», indique M. Fragneau.

En Chine, la consommation de viande a été multipliée par deux et demi, depuis 20 ans. Pour produire un kilo de boeuf, il faut sept kilos de maïs. «Quand on mange plus de viande, on multiplie la demande de céréale», dit le gestionnaire.

L'émergence de la classe moyenne dans les pays émergents soutient aussi le cacao, considéré comme un produit de luxe. En Chine, la consommation augmente de 12% par an.

Il y a 15 ans, les Chinois ne mangeaient pratiquement pas de cacao. Aujourd'hui, ils en consomment en moyenne 200 grammes, par an, par habitant. Et cela reste bien loin de la consommation dans les pays développés qui se situe à quatre ou cinq kilos par an, par habitant.

Ainsi, le prix du cacao est très élevé, malgré un fléchissement récent dû à des récoltes extraordinaires, cet été. Mais c'est l'exception qui confirme la règle, car depuis des années, la production de cacao est minée par la guerre civile en Côte-d'Ivoire, qui produit le tiers du cacao mondial.

Depuis 20 ans, il y a une carence d'investissement et la productivité est en baisse constante. Le Ghana voisin, économiquement plus stable, est trois fois plus productif, avec une production d'une tonne et demie de cacao par hectare, contre seulement 500 kilos en Côte-d'Ivoire.

Où investir?

Cela fait ressortir le besoin en équipement. «Une des solutions, pour améliorer la productivité des pays émergents, est le recours à une plus grande mécanisation», estime M. Fragneau.

En Chine, pour 1000 hectares de culture, on compte 2500 ouvriers et une dizaine de tracteurs. Dans les pays développés, il n'y a que 20 ouvriers, mais une trentaine de tracteurs.

Les fournisseurs d'équipement, comme John Deere ou Viterra au Canada, sont donc appelées à se développer rapidement. Il en va de même pour les sociétés qui font du stockage ou du transport.

«Il faut que la planète soit capable de produire suffisamment de nourriture pour tout le monde. Mais il faut aussi les infrastructures pour livrer le produit du pays qui le produit, vers celui qui le consomme», insiste M. Fragneau.

Sinon, on n'est guère avancé, comme le démontre la poussée du prix du sucre depuis mai. Pourtant, le Brésil avait augmenté sa production et disposait d'excédents pour suffire à la demande mondiale. Mais le pays n'a pas assez de bateaux, de ports, de chemins de fer, pour livrer aussi vite qu'il produit. Résultat: le sucre s'accumule au Brésil.

«Ce n'est pas un problème insurmontable, mais il faudra investir. Il y a de belles occasions de placement», dit le gestionnaire.

Par contre, les investisseurs devraient se méfier des transformateurs, dont les marges de rentabilité s'effriteront à cause de la hausse des prix.

«On conseille aux investisseurs de s'orienter vers l'amont de la chaîne», dit M. Fragneau. Il faut viser les sociétés productrices qui bénéficieront de la hausse des prix, plutôt que les sociétés qui transforment la matière et qui vont payer de plus en plus cher, sans être forcément capables de refiler aux consommateurs l'intégralité de la hausse de prix.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article