Tarnac : la marmite du diable
Julien Coupat va-t-il devenir le Cohn-Bendit de ce siècle ? En tout cas, il est sur la bonne voie. À trop vouloir démontrer qu’il existe en France une menace terroriste liée à l’ultra-gauche, aux autonomistes, ou à je ne sais quoi, le gouvernement s’est empêtré dans une affaire politico-judiciaire dont il risque bien de faire les frais. Et tandis que la Cour d’appel doit statuer vendredi prochain sur une demande de levée de leur contrôle judiciaire, les « terroristes » de Tarnac ont tenu, il y a quelques jours, une tribune dans Le Monde, annonçant leur intention d’y mettre fin d’office.
Une façon de reprendre l’initiative dans une partie d’échecs dont l’enjeu à ce jour n’est pas encore parfaitement connu.
En effet, comment, sauf à se « déjuger », comment les juges pourraient-ils accepter ce mouvement de révolte contre leur décision de placement sous contrôle judiciaire ? Néanmoins, la réaction est plutôt molle. « Si ces obligations n’étaient pas respectées, a déclaré un procureur, le parquet en tirera toutes les conséquences ». Or, c’est déjà le cas, puisque le seul fait, pour les dix personnes mises en examen, de s’être réunies et concertées pour rédiger ce manifeste est, en soi, un manquement aux obligations imposées. Vendredi dernier, devant la Cour d’appel, le parquet s’est contenté de demander le maintien en l’état du contrôle judiciaire.
C’était pourtant au tour de la justice d’avancer un pion.
Il y a comme un flottement. Aussi, lorsqu’on entend l’avocat de la « bande à Coupat » déclarer que le dossier est vide, qu’il n’y a aucun élément concret, en deux mots, qu’ils sont innocents du crime dont on les accuse, on aurait tendance à le croire.
Pourtant c’est faux. Ils sont bien coupables - même s’ils n’ont rien fait. Pour la justice, ils sont coupables d’avoir probablement eu l’intention de faire. Sans entrer dans le détail des textes, c’est grosso modo (mais j’exagère) ce qui résulte des lois qui répriment l’association de malfaiteurs appliquées à la lutte contre le terrorisme.
La législation actuelle trouve son origine dans les vagues d’attentats des années 85-86 et 95-96 (loi du 9 septembre 1986, renforcée en 1996). Après le 11-Septembre, bien que la France n’ait connu aucune action terroriste, le dispositif n’a eu de cesse d’être complété (loi sur la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001 ; loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003 ; loi relative à la lutte contre le terrorisme du 23 janvier 2006 ; loi du 1er décembre 2008, qui prolonge la loi précédente jusqu’en 2012). Et j’en oublie probablement.
Mais comme on n’a pas défini le terrorisme, l’application de ces textes ne peut être que subjective. Dans un autre contexte, Julien Coupat et sa compagne auraient au plus été inquiétés pour tentative de dégradation de biens publics.
En fait, on mélange tout. Faute de règles bien définies sur le terrorisme, on applique des textes qui font référence à d’autres textes et auxquels s’ajoutent sans cesse des modifications de circonstance et de nombreux dispositifs dérogatoires qui mêlent la prévention à la répression. D’où cet embrouillamini de lois et de règlements - la marmite du diable, comme on pourrait l’appeler. « Le chaos des lois est tel, de nos jours, énonce Julien Coupat, que l’on fait bien de ne pas trop chercher à les faire respecter. » Mais il exagère, lui aussi.
Avec les résultats suivants :
Pour la prévention, un renforcement considérable du pouvoir de l’administration sur notre vie de tous les jours : contrôle de nos déplacements et de nos communications, et possibilité d’accéder à un grand nombre de fichiers.
Pour la répression, un accroissement important des procédures dérogatoires, lesquelles aboutissent à des pouvoirs d’enquête sans cesse accrus. On en est aujourd’hui à un stade surprenant où l’exception devient la règle. Autrement dit, pour ne pas avoir voulu séparer formellement le terrorisme des crimes et des délits de droit commun, on a pris le risque d’un amalgame en faveur des procédures d’exception. Ce que certains juristes définissent comme « un transfert de légitimité de l’antiterrorisme ».
Ainsi, pour lutter contre une menace virtuelle, on nous entraîne peu à peu dans une logique de prévention à tout prix, qui, par les restrictions qu’elle fait peser sur nos droits et nos libertés, nous ramène des siècles en arrière. On est un peu dans le même esprit que la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 : On nous fait peur, ensuite on nous protège, donc on veut notre bien.
En rompant publiquement le ban de leur contrôle judiciaire, les Tarnacois ont fait un véritable pied-de-nez à la Justice. Ils vont ainsi au bout de leur logique en retournant la force du système contre le système.
De cette histoire vaudevillesque, basée sur un quiproquo juridique, police et justice ne sortiront pas grandies. À dire vrai, tout cela est un rien ridicule. Mais comme on dit, le ridicule ne tue pas - sauf peut-être en politique.