MONSANTO OU "UN NOUVEAU KREMLIN"

Publié le par sceptix

Un nouveau Kremlin

J’ai eu la chance de visiter les laboratoires de Monsanto, à Saint Louis, Missouri. C’était en 1999. Avant que les OGM deviennent vraiment un tel enjeu, qu’il y ai des films et des livres et des conflits au parlement (ce dont je me réjouis car la question mérite débat, pour le moins…). J’ai du faire partie des derniers journalistes à qui Monsanto avait entrouvert ses portes. J’avais eu donc droit à l’un des derniers tours guidés organisés par le service Relations Publiques. Aprement négocié. Mon tour-guide s’appelait Bill. Il avait une bonne tête et mesurait près de deux mètres. Il était suivi de très près par un gars plus petit et très anxieux qui s’appelait Lance. Le boulot de Lance, c’était agent de communication. Il guettait Bill et veillait à ce que le message passe correctement. Bill récitait sa leçon. Parfois avec le ton : « C’est une super technologie, cela va permettre des avancées extraordinaires… » Mais Bill ne déviait jamais. Dès qu’on posait une question un peu en dehors du plan de vol, il était très inquiet et regardais Lance qui fronçait les sourcils.
La première question un peu originale que j’avais posée était simple et gentille :
« La devise de Monsanto c’est : Nourriture, Santé, Espoir ; est ce que vous pourriez me dire ce que vous entendez par Espoir ?... » Bill terrorisé avait regardé Lance et m’avait répondu d’un jet, très sérieux :
« -Espoir ?... Je ne suis pas qualifié pour parler d’espoir… »
Nous avions progressé au milieu des cultures en laboratoire et des plants de coton expérimentaux. J’avais posé une autre question, plus dérangeante celle là. Pouvait-on considérer que leurs plantes étaient des logiciels informatiques dont ils détenaient le brevet et que les fermiers qui avaient eu le malheur d’en planter sans leur acheter étaient des hackers. Bill à nouveau décontenancé s’est réfugié dans le silence. Lance est intervenu à sa rescousse. « -Ces questions de propriété intellectuelle ne concernent pas les scientifiques. Vous devrez vous adresser au service juridique. ».
A l’époque, il n’y avait pas de preuves du danger pour la santé des OGM (maintenant c’est moins clair). En revanche, la paranoïa que Monsanto avait répandue chez les agriculteurs des grandes plaines américaines me rappelait assez Cuba ou la Birmanie.
Chaque cultivateur à qui ils vendaient leur semence avait reçu une carte à code barre de « utilisateur temporaire de technologie ». Les paysans s’engageaient à revendre toute leur récolte à Monsanto et à planter une certaine quantité de semences par acre. Tout était contrôlé par Monsanto. Et si vous soupçonniez que votre voisin ne respecte pas les règles, il existait un numéro vert où vous pouviez le dénoncer sous couvert d’anonymat. La peur et la suspicion avaient déferlé dans la plaine. Des détectives privés, une police génétique au service de Monsanto, se baladaient dans des pick ups anonymes rentraient dans les champs et effectuaient des prélèvements, notamment dans les champs suspectés d’avoir emprunté des graines aux collègues, sans prendre le contrat d’ « utilisateur temporaire de technologie ». Ils réalisaient un test ADN pour vérifier… Puis des poursuites judiciaires avec des énormes demandes de dommages et intérêts étaient engagées. La moitié des paysans de la plaine étaient des « utilisateurs temporaires de technologie ». Les rendements Monsanto étaient bons. Il était difficile de refuser leur offre. Même avec les contraintes…
Je me souviendrais longtemps d’une conversation informelle que j’avais eu avec des agriculteurs canadiens. Sur le sens de leur travail, le piège où ils étaient coincés, comment les multinationales étaient en train de s’approprier le vivant, les transformer en serfs technologiques. Ces paysans n’étaient pas des intellectuels. Mais ils voyaient chaque jour dans la plaine s’ébaucher l’avenir de la planète. Je n’ai jamais entendu par la suite un débat aussi urgent avec des mots aussi simples et fondamentaux.
Ils m’avaient demandé de ne pas filmer.
La peur.


blog de Paul MOREIRA http://paulmoreira.blog.20minutes.fr/archive/2008/04/13/un-nouveau-kremlin.html

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