La doctrine de la dette odieuse : un argument de droit international dont les peuples et les Etats doivent se saisir
Le 14 avril 2008 se tenait, à Washington, une table ronde consacrée à la doctrine de la dette odieuse, réunissant des représentants de la Banque mondiale, du FMI, de la Banque africaine de développement, de gouvernements du Nord et du Sud, des organisations de la société civile et quelques universitaires. Cette journée de discussion a été convoquée par la Banque mondiale suite à la demande de certaines organisations non gouvernementales, qui avaient critiqué |1| son rapport, publié en septembre 2007, intitulé « Odious Debt : some considerations ». En effet, ce premier rapport de la Banque mondiale sur la dette odieuse est bâclé, partial, condescendant envers les organisations qui agissent pour une solution juste à la dette et n’a d’autre but que d’évacuer cette question sensible du débat pour imposer ses « solutions » inadaptées |2| . Bien que la Banque mondiale ait accepté de poursuivre la discussion sur la dette odieuse en octobre prochain, il semble peu probable qu’elle change sa position de manière significative, étant donné qu’elle refuse d’aborder la question des prêts passés. Le CADTM Belgique tient à réagir à ce rapport de la Banque mondiale, pour aborder cette question avec davantage de justesse et de justice et proposer aux mouvements sociaux du Sud et du Nord une stratégie juridique basée sur l’audit de la dette pour fonder une répudiation et une annulation unilatérale des dettes illégales et illégitimes par les pouvoirs publics.
1. La doctrine de la dette odieuse : un argument de droit international dont les peuples et les Etats doivent se saisir
1.1. La dette odieuse ou le droit de déclarer la nullité de la dette
Dans son rapport, la Banque mondiale considère la dette odieuse comme une notion vague, un concept « fourre-tout », utilisé à tort et à travers par les organisations de la société civile. La banque est, cependant, en partie responsable de cette soi-disant confusion, puisqu’elle ne prend jamais la peine de citer les arguments des défenseurs de cette doctrine, à commencer par le premier d’entre eux, Alexander Sack, qui a théorisé cette doctrine en 1927 |3| . Celui-ci explique : « Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas pour les besoins et dans les intérêts de l’État, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, etc., cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier (…). Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation ; c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir ».Il ajoute un peu plus loin : « On pourrait également ranger dans cette catégorie de dettes les emprunts contractés dans des vues manifestement intéressées et personnelles des membres du gouvernement ou des personnes et groupements liés au gouvernement — des vues qui n’ont aucun rapport aux intérêts de l’État ».
Sack souligne également que les créanciers de telles dettes, lorsqu’ils ont prêté en connaissance de cause, « ont commis un acte hostile à l’égard du peuple ; ils ne peuvent donc pas compter que la nation affranchie d’un pouvoir despotique assume les dettes « odieuses », qui sont des dettes personnelles de ce pouvoir ». Ainsi, trois conditions se dégagent pour qualifier une dette d’odieuse : 1) elle a été contractée par un régime despotique, dictatorial, en vue de consolider son pouvoir 2) elle a été contractée non dans l’intérêt du peuple, mais contre son intérêt et/ou dans l’intérêt personnel des dirigeants et des personnes proches du pouvoir 3) les créanciers connaissaient (ou étaient en mesure de connaître) la destination odieuse des fonds prêtés.
Plusieurs auteurs ont par la suite cherché à prolonger les travaux de Sack pour ancrer cette doctrine dans le contexte actuel. Le Center for International Sustainable Development Law (CISDL) de l’université McGill au Canada, propose par exemple cette définition générale : « Les dettes odieuses sont celles qui ont été contractées contre les intérêts de la population d’un Etat, sans son consentement et en toute connaissance de cause par les créanciers |4| » . Jeff King |5| s’est basé sur ces trois critères (absence de consentement, absence de bénéfice, connaissance des créanciers), considérés de manière cumulative, pour proposer une méthode de caractérisation des dettes odieuses.
Bien que la démarche de King soit intéressante à de nombreux égards |6| , elle est selon nous insuffisante puisqu’elle ne permet pas de prendre en compte toutes les dettes qui devraient être qualifiées d’odieuses. En effet, d’après King, le seul fait pour un gouvernement d’avoir été instauré par des élections libres suffit pour que ses dettes ne soient pas considérées comme odieuses. Cependant, l’Histoire a montré, avec A. Hitler en Allemagne, F. Marcos aux Philippines ou Fujimori au Pérou, que des gouvernements élus démocratiquement peuvent être des dictatures violentes et commettre des crimes contre l’humanité.
Il est donc nécessaire de s’intéresser au caractère démocratique de l’Etat débiteur au-delà de son mode de désignation : tout prêt octroyé à un régime, fût-il élu démocratiquement, qui ne respecte pas les principes fondamentaux du droit international tels que les droits humains fondamentaux, l’égalité souveraine des Etats, ou l’absence du recours à la force, doit être considéré comme odieux. Les créanciers, dans le cas de dictatures notoires, ne peuvent arguer de leur ignorance et ne peuvent exiger d’être payés. Dans ce cas, la destination des prêts n’est pas fondamentale pour la caractérisation de la dette. En effet, soutenir financièrement un régime criminel, même pour des hôpitaux ou des écoles, revient à consolider son régime, à lui permettre de se maintenir. D’abord, certains investissements utiles (routes, hôpitaux…) peuvent ensuite être utilisés à des fins odieuses, par exemple pour soutenir l’effort de guerre. Ensuite, le principe de fongibilité des fonds fait qu’un gouvernement qui emprunte pour des fins utiles à la population ou à l’Etat, - ce qui est officiellement presque toujours le cas - peut libérer des fonds pour d’autres buts moins avouables.
Au-delà de la nature de régime, la destination des fonds devrait en revanche suffire à caractériser une dette d’odieuse, lorsque ces fonds sont utilisés contre l’intérêt majeur des populations ou lorsqu’ils vont directement enrichir le cercle du pouvoir. Dans ce cas, ces dettes deviennent des dettes personnelles, et non plus des dettes d’Etat qui engageraient le peuple et ses représentants. Rappelons d’ailleurs l’une des conditions de la régularité des dettes selon Sack : « les dettes d’État doivent être contractées et les fonds qui en proviennent utilisés pour les besoins et dans les intérêts de l’État ». Ainsi, les dettes multilatérales contractées dans le cadre d’ajustements structurels tombent dans la catégorie des dettes odieuses, tant le caractère préjudiciable de ces politiques a été clairement démontré, notamment par des organes de l’ONU |7|.
Pratiquement, pour tenir compte des avancées du droit international depuis la première théorisation de la dette odieuse en 1927, on pourrait qualifier au minimum les dettes odieuses comme celles contractées par des gouvernements qui violent les grands principes de droit international tels que ceux figurant dans la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme et les deux pactes sur les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels de 1966 qui l’ont complétée, ainsi que les normes impératives de droit international (jus cogens |8|). Cette affirmation trouve sa confirmation dans la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, qui dans son article 53, prévoit la nullité d’actes contraires au jus cogens , qui regroupe, entre autres, les normes suivantes : l’interdiction de mener des guerres d’agression, l’interdiction de pratiquer la torture, l’interdiction de commettre des crimes contre l’humanité et le droit des peuples à l’autodétermination.
C’est également dans ce sens qu’allait la définition proposée par le Rapporteur spécial Mohammed Bedjaoui dans son projet d’article sur la succession en matières de dettes d’Etat pour la Convention de Vienne de 1983 : « En se plaçant du point de vue de la communauté internationale, on pourrait entendre par dette odieuse toute dette contractée pour des buts non conformes au droit international contemporain, et plus particulièrement aux principes du droit international incorporés dans la Charte des Nations Unies |9| » .
Ainsi, les dettes contractées sous le régime de l’apartheid en Afrique du Sud sont odieuses, puisque ce régime violait la Charte des Nations Unies, qui définit le cadre juridique des relations internationales. L’ONU, par une résolution adoptée en 1964, avait d’ailleurs demandé à ses agences spécialisées, dont la Banque mondiale, de cesser leur soutien financier à l’Afrique du Sud ; mais la Banque mondiale n’a pas appliqué cette résolution, et a continué à prêter au régime de l’apartheid, dans le plus grand mépris du droit international |10| .
Dans le cas des dettes issues d’une colonisation, le droit international prévoit également leur non transférabilité aux Etats qui ont gagné leur indépendance, conformément à l’article 16 de la Convention de Vienne de 1978 qui dispose : « Un Etat nouvellement indépendant n’est pas tenu de maintenir un traité en vigueur ni d’y devenir partie du seul fait qu’à la date de la succession d’Etats le traité était en vigueur à l’égard du territoire auquel se rapporte la succession d’Etats ». L’article 38 de la Convention de Vienne de 1983 sur la succession d’Etats en matières de biens, d’archives et de dettes d’Etats (non encore en vigueur) est à cet égard explicite : « 1. Lorsque l’Etat successeur est un Etat nouvellement indépendant, aucune dette d’Etat de l’Etat prédécesseur ne passe à l’Etat nouvellement indépendant, à moins qu’un accord entre eux n’en dispose autrement au vu du lien entre la dette d’Etat de l’Etat prédécesseur liée à son activité dans le territoire auquel se rapporte la succession d’Etats et les biens, droits et intérêts qui passent à l’Etat nouvellement indépendant. 2. L’accord mentionné au paragraphe 1 ne doit pas porter atteinte au principe de la souveraineté permanente de chaque peuple sur ses richesses et ses ressources naturelles, ni son exécution mettre en péril les équilibres économiques fondamentaux de l’Etat nouvellement indépendant ».
Il convient ici de rappeler que la Banque mondiale est directement impliquée dans certaines dettes coloniales, puisqu’au cours des années 50 et 60, elle a octroyé des prêts aux puissances coloniales pour des projets permettant aux métropoles de maximiser leur exploitation de leurs colonies. Il faut également signaler que les dettes contractées auprès de la Banque par les autorités belges, anglaises et françaises pour leurs colonies ont ensuite été transférées aux pays qui accédaient à leur indépendance sans leur consentement |11| . Par ailleurs, elle a refusé de suivre une résolution adoptée en 1965 par l’ONU lui enjoignant de ne plus soutenir le Portugal tant que celui-ci ne renonçait pas à sa politique coloniale.
Il faut, en outre, qualifier d’odieuses toutes les dettes contractées en vue du remboursement de dettes considérées comme odieuses. La New Economic Foundation |12|. assimile, à raison, les emprunts destinés à rembourser des prêts odieux à une opération de blanchiment. L’outil de l’audit doit permettre de déterminer la légitimité ou non de ces prêts.
Tout le monde n’est bien sûr pas unanime sur la définition de la dette odieuse, mais le fait que cet élément de droit fasse débat ne lui ôte en rien sa pertinence et son bien-fondé. On doit plutôt y voir un signe de l’enjeu que représente la question, tant pour les créanciers que pour les débiteurs, et la traduction sur le plan juridique d’un conflit entre des intérêts divergents. D’ailleurs, plusieurs cas ont montré que cet argument peut être légitimement invoqué pour le non paiement d’une dette.
1.2. L’application de la doctrine de la dette odieuse et l’actualisation de la pratique
Les cas où la doctrine de la dette odieuse a été appliquée ou invoquée sont nombreux et ont été étudiés dans plusieurs études consacrées au sujet. Nous ne nous pencherons ici que sur quelques cas emblématiques.
• Le refus des Etats-Unis d’assumer la dette cubaine en 1898.
C’est l’un des premiers cas où des dettes odieuses (en l’occurrence dette d’asservissement) ont été effectivement répudiées. En 1898, suite à la guerre entre les Etats-Unis et l’Espagne, celle-ci transfère aux Etats-Unis la souveraineté sur Cuba. Les délégués américains à la conférence de la paix de Paris ont justifié leur refus de payer les dettes odieuses réclamées à Cuba au motif 1) que les prêts n’avaient pas bénéficié aux Cubains, certains ayant financé la répression de soulèvements populaires 2) que Cuba n’avait pas consenti à contracter de telles dettes 3) que les créanciers étaient au courant du contexte et devaient assumer le risque de non paiement.
• Traité de Versailles et la dette polonaise, 1919.
L’article 255 de ce traité exonéra la Pologne de payer « la fraction de la dette dont la Commission des Réparations attribuera l’origine aux mesures prises par les gouvernements allemand et prussien pour la colonisation allemande de la Pologne ». Une disposition similaire fut prise dans le traité de paix de 1947 entre l’Italie et la France, qui déclare « inconcevable que l’Ethiopie assure le fardeau des dettes contractées par l’Italie afin d’en assurer sa domination sur le territoire éthiopien ».
• Arbitrage entre la Grande Bretagne et le Costa Rica en 1923.
En 1922, le Costa Rica promulgua une loi qui annulait tous les contrats passés entre 1917 et 1919 par l’ancien dictateur Federico Tinoco et refusa donc d’honorer la dette qu’il avait contractée auprès de la Royal Bank of Canada – il s’agit donc d’un cas où la doctrine a été appliquée pour une dette commerciale. Le litige qui s’ensuivit entre la Grande-Bretagne et le Costa Rica fut arbitré par le président de la Cour Suprême des Etats-Unis, William Howard Taft. Celui-ci déclara valide la décision du gouvernement costaricain en soulignant : « le cas de la Banque royale ne dépend pas simplement de la forme de la transaction, mais de la bonne foi de la banque lors du prêt pour l’usage réel du gouvernement costaricain sous le régime de Tinoco. La Banque doit prouver que l’argent fut prêté au gouvernement pour des usages légitimes. Elle ne l’a pas fait ».
Des références plus récentes au concept de dette odieuse ont réaffirmé sa valeur, même s’ils n’ont pas débouché sur la répudiation ou l’annulation des dettes :
• Après la chute du régime de l’Apartheid en Afrique du Sud, de nombreuses voix se sont élevées pour exiger le non-paiement des dettes odieuses. Les pressions sur le gouvernement ont finalement abouti à une reconnaissance des dettes contractées sous l’Apartheid.
• En 1998, l’International Development Committee du parlement britannique a explicitement fait référence au caractère odieux de la dette rwandaise pour demander son annulation de la part des créanciers bilatéraux.
• En 2003, après l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, l’administration américaine a invoqué l’argument de la dette odieuse pour demander l’annulation de la dette bilatérale de l’Irak |13|. Consciente du précédent que cela pourrait créer, l’administration Bush a finalement renoncé à cet argument et l’allègement de la dette irakienne a été concédé pour des raisons de soutenabilité. Il faut souligner que l’argument a été abandonné non pas pour son inconsistance, mais au contraire parce que sa validité juridique représentait un risque : il aurait en effet pu être utilisé dans de nombreux cas, mais cette fois contre l’intérêt des Etats-Unis et de ses alliés.
Ainsi, si elle n’a pas toujours permis d’aboutir au non paiement, la doctrine de la dette odieuse n’a pas été remise en cause en tant que telle |14| .
Ce sont les pressions des créanciers et des considérations d’ordre stratégique qui ont poussé les gouvernements à reconnaître ces dettes ; la pratique des Etats et la coutume internationale sont donc le reflet du rapport de force défavorable aux pays débiteurs. Les gouvernements doivent se saisir de cet argument. Les arguties et tergiversations juridiques des instituions comme la Banque mondiale, le FMI ou d’autres créanciers ne résistent pas aux faits et à la force d’une doctrine puissante comme celle de la dette odieuse. Bien que les créanciers essayent de l’enterrer, cette doctrine ressurgit régulièrement dans une forme actualisée.
La décision unilatérale prise par le Paraguay en 2006 (voir infra, 3. 2), qui, sur la base de son caractère frauduleux, a déclaré nulle la dette contractée auprès des banques européennes, doit inspirer d’autres gouvernements. Bien que le décret paraguayen ne fasse pas explicitement référence à la dette odieuse, il s’agit bel et bien d’une dette nulle per se, et donc d’une dette odieuse. Voilà une nouvelle preuve, issue de la pratique des Etats, de la validité de la doctrine.
Si la Banque mondiale a été si prompte à disqualifier ce concept, ne serait-ce pas en raison de sa responsabilité dans la dette odieuse de nombreux pays ? Nous sommes en droit de nous interroger sur sa politique de prêt passée et actuelle, sur son soutien à des dictatures et des régimes coupables de graves violations des droits de l’homme, sur son soutien aux puissances coloniales, sur son soutien à des régimes corrompus par des prêts qui servaient à l’enrichissement personnel des dirigeants… Ce n’est d’évidence pas à elle de clore les débats.
2. Il n’existe pas pour les Etats débiteurs d’obligation absolue de payer
Le concept de dette odieuse n’est qu’un des éléments qui peuvent fonder l’annulation des dettes ou leur répudiation. Comme le rappelle Robert Howse |15| , l’obligation de payer n’a jamais été reconnue comme absolue et inconditionnelle.
2.1. D’autres arguments en faveur de l’annulation
Comme nous l’avons vu, les obligations nées d’un contrat ou d’un traité, ne sont pas absolues mais sont encadrées par la loi. En effet, les contrats de prêt à des régimes qui violent le jus cogens sont nuls et non avenus. Par conséquent, le jus cogens permet d’annuler non seulement la dette initiale mais également l’ensemble des prêts subséquents contractés pour la rembourser. L’audit de la dette permettra ainsi d’identifier tous les prêts ayant servi à rembourser des dettes initialement illégales. Pour fonder une répudiation de dette sur le fondement du jus cogens, il suffit pour le gouvernement endetté de prouver que les créanciers savaient que, au moment du prêt, l’Etat ou le gouvernement violait le jus cogens. Nul besoin de prouver l’intention réelle des créanciers de violer ces normes impératives du droit international.
Outre la violation du jus cogens, le Traité de Vienne de 1969 sur le droit des Traités, qui appartient à la catégorie des sources primaires du droit international (article 38 du Statut de la CIJ), contient plusieurs dispositions pouvant fonder l’illégalité de certaines dettes contractées entre les Etats. Ainsi l’article 46 porte sur l’incompétence des contractants, l’article 49 sur le dol, l’article 51 sur la corruption et l’article 52 sur la menace ou l’emploi de force. Si les pouvoirs publics parviennent à prouver au moyen d’un audit de la dette que ces dispositions impératives pour les Etats ont été violées au moment de la conclusion du prêt, alors ils seront fondés légalement à répudier ou annuler les dettes entachées d’illégalité.
De plus, le principe pacta sunt servanda, qui commande aux parties le respect des accords conclus, est tempéré par d’autres principes, comme rebus sic stantibus, selon lequel un changement fondamental de circonstances peut remettre en cause les obligations d’un accord. De même, si un Etat invoque la force majeure et l’état de nécessité, il ne peut être poursuivi pour n’avoir pas respecté ses obligations. Par ailleurs, pour Robert Howse, le principe de continuité de l’Etat est limité par des considérations d’équité fréquemment utilisées par les tribunaux et les organes d’arbitrage. Ces limitations d’équité sont l’illégalité, la fraude, le changement fondamental de circonstance, la mauvaise foi, l’incompétence du signataire, l’abus de droit… Or, l’équité est un principe général du droit international (PGD), également source de droit international selon l’article 38 de la CIJ. Soulignons que les PGD doivent impérativement être respectés par tous les bailleurs de fonds (Etats, banques privées, FMI, Banque mondiale…).
Evidemment, les juridictions nationales sont en droit de juger la légalité et la constitutionnalité des dettes, comme l’a fait en 2000 la justice argentine, par la sentence Olmos, qui a déclaré l’illégalité des dettes contractées par la junte militaire. De toute évidence, elle fait un apport considérable à la jurisprudence nationale et internationale. Le silence des institutions financières internationales, des médias et des pays occidentaux sur cette affaire si délicate est assourdissant, mais il est un aveu de culpabilité. L’affaire a en effet permis de démontrer un lien direct entre les bailleurs de fonds et la dictature argentine qui, rappelons-le, a commis des crimes contre l’humanité, y compris le génocide comme il été reconnu dans la sentence Etchecolaz.
C’est sur certains de ces arguments que s’appuient les campagnes dette et les mouvements sociaux pour réclamer l’annulation de dettes illégitimes, dont l’illégitimité, qui doit être déterminée par audit, peut résulter des conditions associées aux prêts (taux usuraires, mise en place de réformes contraires à l’intérêt général), de l’usage des prêts et de leurs conséquences (projets qui n’aboutissent pas, éléphants blancs, projets qui portent préjudice aux populations ou à l’environnement) ou des conditions dans lesquelles ils ont été contractés (déséquilibre entre les contractants, corruption) . Le paiement des dettes peut également devenir illégitime lorsqu’il empêche l’Etat- et en conséquence, les pouvoirs publics et les différents organes- de remplir ses obligations concernant le respect des droits humains. Plusieurs rapports des experts indépendants adoptés par l’ancienne commission des droits de l’homme de l’ONU soulignent le fait que, par le mécanisme de la dette, les pouvoirs publics, se trouvent non seulement dans l’impossibilité de remplir leurs obligations internationales, mais sont pratiquement obligés de mener des politiques de violations massives des droits humains.