L'élargissement de l'Otan à l'Est contrarié par la crise
Selon la spécialiste américaine Julianne Smith, directrice du programme européen au Centre des études stratégiques internationales à Washington, la crise du Caucase rend encore plus problématique la candidature de la Géorgie et de l'Ukraine à l'Alliance atlantique.
LE FIGARO. - Comment évaluez-vous l'impact de ce qui vient de se passer sur l'élargissement de l'Otan à la Géorgie et à l'Ukraine ?
Julianne SMITH. - La crise n'a fait qu'enhardir deux camps bien distincts à l'intérieur de l'Alliance. D'un côté, pour l'Allemagne, la France et d'autres pays qui s'opposent à ces candidatures en arguant que la Géorgie et l'Ukraine ne sont pas encore prêtes, les événements qui viennent de se passer sont la preuve que les défis internes et autres conflits frontaliers rendent ces pays bien trop instables pour être admis rapidement. D'un autre côté, vous avez des pays, principalement emmenés par les États-Unis, qui ont maintenant des sentiments partagés. Eux aussi reconnaissent que l'on est confronté à une situation très instable et que si l'Otan avait pris des engagements en vertu de l'article 5 (qui stipule qu'une attaque contre l'un de ses membres est considérée comme une attaque contre tous, NDLR), il aurait été pratiquement impossible de déployer des troupes dans la région.
Personne n'imagine l'envoi de troupes au secours de la Géorgie ?
Personne, mais il y a un petit groupe de gens aux États-Unis et peut-être au Royaume-Uni qui pensent que l'on doit quelque chose à la Géorgie après ce qui s'est passé, que c'est un pays qui s'est engagé sur la voie des réformes démocratiques, qui nous a aidés en Irak, et qui maintenant fait face à une crise avec les Russes. C'est précisément la raison pour laquelle, selon eux, on devrait faire un plus grand effort pour l'intégrer dans les institutions occidentales et que le processus ne devrait pas être ralenti. La scission à l'intérieur de l'Otan n'a fait que s'aggraver et je prédis que son ombre va peser sur le 60e anniversaire de l'Alliance en avril prochain. La Géorgie et l'Ukraine pourraient être la source de plus de dissensions qu'à Bucarest. Je ne vois pas cette question résolue de si tôt, mais plutôt objet de débats et de désaccords au sein de l'Alliance, et je vois aussi bien des déceptions pour la Géorgie et l'Ukraine, car je crois qu'une majorité de membres de l'Otan seraient plus en phase avec la ligne de l'Allemagne et de la France.
John McCain veut au contraire accélérer l'intégration.
Il peut défendre cette position. Mais il faut parvenir à un consensus au sein de l'Alliance. Et en vérité, on en est loin. Certes, un communiqué avait été produit à Bucarest indiquant que ce n'est pas une question de « si » mais de « quand ». Mais vous ne trouverez pas beaucoup de pays en Europe qui soient d'accord avec John McCain.
Quel est l'impact sur le projet de défense antimissile américain en Europe ?
Cette question fait encore débat aux États-Unis et continuera à diviser l'Alliance entre ceux qui jugent inopportun de provoquer les Russes et certains pays d'Europe de l'Est qui se sentent menacés par les Russes et estiment d'autant plus utile un système initialement destiné à nous protéger contre une attaque iranienne.
http://www.lefigaro.fr/international/2008/08/14/01003-20080814ARTFIG00019-l-elargissement-a-l-est-de-l-otan-contrarie-par-la-crise-.php recueillis par Jean-Louis Turlin
Le Fiogaro, 13/08/2008
Propos
++++++
Le conflit entre Moscou et Tbilissi compromet l'élargissement de l'OTAN
La Russie a voulu montrer l'impossibilité de l'Occident de défendre les frontières de la Géorgie.
Yves Petignat
http://www.letemps.ch/template/international.asp?page=4&article=237590
Moscou avait prévenu: l'entrée de la Géorgie et de l'Ukraine dans l'Alliance euroatlantique «serait une grande erreur stratégique qui aurait les conséquences les plus sérieuses sur la sécurité en Europe». L'avertissement du vice-ministre russe des Affaires étrangères, Alexandre Grouchko, ce printemps, à la veille du sommet de l'OTAN à Bucarest, prend aujourd'hui une résonance dramatique.
Selon les analystes, l'intervention des forces militaires russes en Géorgie et la passivité du «parapluie américain» compromettent l'élargissement de l'Alliance à l'est, voulu par les Etats-Unis malgré les réticences françaises et allemandes, et son concept stratégique. «L'enseignement du conflit est que les gens qui réclament l'entrée de pays dans l'OTAN doivent comprendre que si l'on n'est pas prêt à les soutenir avec de vraies mesures de sécurité on peut leur causer du tort», déclare ainsi à l'AFP Robert Hunt, ancien ambassadeur américain auprès de l'Alliance atlantique.
Il y a un énorme décalage entre l'attente des nouveaux membres, en termes de sécurité militaire, et la réponse de l'organisation. C'est ce qu'illustre le cas dramatique de la Géorgie, qui s'est sentie autorisée à braver la Russie parce que le sommet de Bucarest, ce printemps, lui avait promis qu'avec l'Ukraine elle deviendrait à terme membre de l'Alliance.
«Les anciens satellites de l'Union soviétique, les pays baltes, la Pologne, considèrent toujours que la raison d'être de l'OTAN reste la mission historique de défense territoriale. Or le concept stratégique a changé depuis la fin de la Guerre froide», relève Etienne de Durand, expert en matière de défense auprès de l'IFRI à Paris.
En novembre 1991, la notion de défense territoriale avait été remplacée par une «conception élargie de la stabilité et de la sécurité» recouvrant les problèmes économiques, sociaux, politiques, les rivalités ethniques, les litiges territoriaux.
Problèmes géostratégiques
Etienne de Durand note d'ailleurs que l'extension géographique de la zone OTAN ne s'est pas traduite par un redéploiement des bases américaines, qui, hormis quelques sites d'entraînement, restent stationnées en Allemagne, en Italie ou en Turquie.
L'élargissement accéléré depuis 1999, intégrant la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, et ouvrant des perspectives à l'Ukraine, a suscité de nouveaux problèmes géostratégiques. Il a irrité la Russie, qui voit «s'abaisser le niveau de confiance mutuelle». D'où le discours très dur de Vladimir Poutine à Munich en 2007: «Qui est visé par cet élargissement? Le rapprochement des infrastructures militaires de l'Alliance aux frontières de la Russie n'est nullement lié à la riposte aux menaces globales.»
L'explosion des distances jusqu'aux nouvelles frontières de l'l'OTAN devient un handicap. Défendre les frontières géorgiennes devient impossible pour l'Europe. «Seuls les Etats-Unis ont les moyens de soutenir militairement, par un pont aérien, la Géorgie. S'ils le veulent!» tranche Etienne de Durand.
Pour la Russie, le vrai test sera l'Ukraine, selon Piotr Kascynski, du Center for European Policy à Bruxelles. Car la question de l'accès à la mer Noire est en jeu. Pour Moscou, il était plus facile, et cela comportait moins de danger, de lancer le premier avertissement en Géorgie. Mais quelle réponse apporterait l'Union européenne et l'OTAN à une intervention en Ukraine, que redoute au plus haut point la Pologne?