Les dessous de la course médiatique aux enfants abandonnés en plein soleil
Y a-t-il quelque chose de plus insoutenable qu'un enfant seul, abandonné, mourant dans une voiture en plein soleil ? Ça fait mal. Mais doit-on s'empêcher de réfléchir pour autant ? Y aurait-il, dans notre pays, un mystérieux virus apparu cet été qui nous amènerait à délaisser nos enfants en situation critique ? Ou bien un malaise profond qui nous éloignerait des valeurs humanistes les plus élémentaires ? Ou un simple état de fait ?
Le sujet est délicat. Des enfants, des parents qualifiés de négligents, des souffrances, et la mort. A chaque fois, l'émotion est forte. Mais d'où vient cette subite recrudescence d'enfants abandonnés ? Un virus spontané ? Un dangereux glissement psycho-sociologique qui se révèle brutalement aux médias hallucinés ? Ou un état de fait passé jusqu'à présent inaperçu ?
On se rappelle de la "série noire" des enfants mordus par des chiens dits "dangereux". Une enquête rapide aurait pourtant permis de conclure qu'environ 300 accidents graves ont lieu chaque année, nécessitant une intervention de chirurgie faciale, et que les chiens impliqués sont le plus souvent des petits chiens considérés comme inoffensifs. C'est un "spécialiste" qui le révélait à Schneidermann dans une émission d'Arrêt sur image, sur France 5. Il ne s'agissait en aucun cas d'une série noire, mais simplement d'un réveil douloureux de médias qui n'en revenaient pas. Ils en sont revenu, et le problème n'est plus guère abordé, mais est-ce pour autant qu'il n'existe plus ? Sûrement pas.
Il est cependant peu contestable que le stress augmente à grande vitesse dans notre société. Que le phénomène du "burn-out" ou "syndrome d'épuisement" est en augmentation constante, voire exponentielle. Burn-out ? Il s'agit ni plus ni moins que d'un pétage de plomb total, qui mène à la dépression dans le meilleur des cas, au suicide ou à la mort subite dans les cas les plus graves. Il est presque impossible d'obtenir des certitudes en ce domaine, et nous ne pouvons que nous fier à l'avis de quelques psychologues et personnes déjà exposées à ce genre de situation.
Est-il fréquent de voir des parents laisser leurs enfants seuls ?
Non, mais, exceptionnellement, le temps d'un repas rapide au restaurant du coin, d'un film au cinéma du quartier, d'un aller-retour au tabac du bout de la rue... à peine abordée la question, les exemples, anodins en apparence, se multiplient. Il y a même cette nounou, que le père a rencontré dans la rue, et qui laissait son enfant en très bas âge à la charge de sa fille de 6 ans le temps de faire ses courses. En majorité, les situations semblent anodines, mais un accident sur le chemin du tabac et l'enfant reste seul pendant plusieurs heures.
Est-il fréquent de voir des gens perdre le sens des réalités ?
Non, mais les cas extrêmes existent et semblent se multiplier. Perte de confiance, anxiété, dépressions morbides, suicides. Les familles étant de plus en plus éclatées, la vie paraissant de plus en plus difficile et instable, lorsqu'un des parents perd pied, les soutiens naturels sont rares, et l'autre (quand il y a un "autre") s'attache le plus souvent à assurer le revenu de la famille plutôt qu'à travailler au bien être des siens. Ajoutez à cela la culpabilisation sociétale actuelle de l'inactif, qui se retrouve encadré d'office d'un "pédophile" et d'un "consanguin", et le compte y est. Si le travail et l'argent ne font pas le bonheur, ne pas en avoir fait le malheur. Il s'agit simplement d'une question de priorités. Quand 47% des Français avouent avoir peur de se retrouver à la rue, il n'est pas incompréhensible que quelques uns sacrifient beaucoup de leur vie personnelle pour assurer leur travail. Et la folie nous guette.
Le suicide pour cause de stress professionnel, déstructurant, n'est-il pas le pire de ce terrible syndrome ? Se suicider pour son travail... délaisser ses enfants, sa famille, ses proches, juste pour un travail. Alors quand on en arrive au point d'organiser consciemment sa mort pour cause de stress professionnel, est-il vraiment inimaginable de délaisser inconsciemment un enfant ?
Pour les chiens dangereux, on invente des lois à chaque nouvel accident médiatisé. Mais pour les enfants délaissés ? Les parents concernés sont sûrement les plus abattus. Alors... état de fait irrémédiable, inconnu jusqu'alors, ou stress savamment occulté (pour ne pas dire organisé) depuis plus de trente ans ? Cela fait partie des questions qui resteront en suspend, car les réponses seraient forcément "contre-productives". En attendant, parlons de négligence, ça ne coûte rien.
Article publié sur le site "Les mots ont un sens")