Caucase: un conflit à l'arrière-goût de pétrole

Publié le par sceptix

La position de la Russie sur l'élargissement de l'OTAN s'est considérablement durcie (Revue Expert)
 
MOSCOU, 1er septembre - RIA Novosti. "Souriez, vous avez un pistolet appuyé sur la tempe": voici à quoi se réduit la diplomatie américaine en matière d'élargissement de l'OTAN et de déploiement d'ouvrages de la défense antimissile (ABM) en Europe, malgré tout le verbiage qui y est associé, lit-on lundi dans la revue hebdomadaire Expert.
 
Ce type de diplomatie mène inévitablement à la crise.
 
Alors que des navires de guerre américains entrent en mer Noire et que la Russie effectue des essais de son missile balistique Topol M, il est difficile de ne pas relever l'envergure de la crise internationale en cours. Moscou tente depuis longtemps de porter à la connaissance de ses partenaires occidentaux une idée élémentaire: le rapprochement de l'infrastructure militaire américaine des frontières russes est inadmissible. Mais les réclamations russes s'arrêtent là.
 
Malgré l'absence de raisons pouvant laisser présager un conflit sérieux, le rapprochement des bases américaines des frontières russes commence à revêtir un caractère ouvertement menaçant. "Nous sommes un Etat épris de paix et nous voulons coopérer avec tous nos voisins et partenaires. Mais si certains jugent possible de venir pour nous tuer, en estimant que notre place est au cimetière, alors ces gens doivent réfléchir aux conséquences qu'une telle politique pourrait avoir pour eux-mêmes", a déclaré le premier ministre Vladimir Poutine dans une interview à la chaîne de télévision CNN. Il s'agit là d'une déclaration de principe.
 
La Russie n'a pas reconnu automatiquement l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud après la reconnaissance du Kosovo par l'Occident. La Russie a continué de s'en tenir au principe d'intégrité territoriale, en saisissant toute son importance. La Russie a défendu l'intégrité de la Géorgie comme elle a pu. Mais, en commençant à tuer des gens, des citoyens russes, Mikhaïl Saakachvili a dépassé les limites. On ne peut pas défendre l'intégrité territoriale d'un pays qui tue les nôtres.
 
Après la rencontre avec George W. Bush à Pékin, la Russie espérait que Washington interviendrait dans le conflit et contraindrait son protégé géorgien à cesser d'exterminer les gens. Mais rien de tout cela n'a eu lieu. On se demande alors de quel partenariat entre la Russie et les Etats-Unis il peut être question. Comment interpréter dans ce cas le désir brûlant de Washington d'admettre la Géorgie à l'OTAN? La Russie doit-elle continuer à considérer l'Alliance de l'Atlantique Nord comme une organisation pacifique visant à entretenir des rapports mutuellement avantageux avec notre pays?
 
C'est regrettable, mais les réponses à ces questions sont évidentes. On peut affirmer que la position de la Russie sur l'élargissement de l'OTAN s'est considérablement durcie pour la raison suivante: nous ne pouvons pas assister sans rien dire au rapprochement de nos frontières d'un bloc militaire soutenant ouvertement un agresseur qui a massacré nos compatriotes.
 
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Caucase: un conflit à l'arrière-goût de pétrole
 
Par Aïdyn Gadjiev, docteur en histoire (Azerbaïdjan), pour RIA Novosti
01/ 09/ 2008
 
Le Caucase, conglomérat bigarré de différents groupes ethniques, acquiert depuis deux décennies une importance énergétique et géopolitique de plus en plus grande pour la communauté mondiale. Si, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les Balkans s'étaient transformés, selon l'expression de Bismarck, en "poudrière" de l'Europe, le Caucase incarne, en ce début du XXIe siècle, la poudrière d'un espace global plus vaste: l'Eurasie. En outre, tout l'écheveau des contradictions interethniques est entièrement imprégné des intérêts énergétiques des puissances mondiales et de la situation géographique exceptionnelle de cette région, par laquelle passent les itinéraires optimaux du transport des hydrocarbures entre les deux grands continents.
 
Le conflit autour de l'Ossétie du Sud a de nouveau illustré nettement le fait que les positions des centres mondiaux qui manipulent dans leurs propres intérêts les principes d'intégrité territoriale et le droit à l'autodétermination sont fondées sur des considérations relatives au transport des ressources énergétiques.
 
Les Etats-Unis et l'UE ont ici les mêmes intérêts: il s'agit d'assurer le fonctionnement du corridor de transit par le territoire de la Géorgie et d'isoler la Russie des ressources naturelles qui se trouvent à proximité immédiate des ses frontières méridionales. Cependant, Washington et Bruxelles sont, en même temps, des concurrents, ce qui se manifeste nettement dans la différenciation entre "vieille" Europe et "nouvelle" Europe. La vieille Europe agit en tant que partenaire égal avec les Etats-Unis, alors que la nouvelle Europe reste plutôt confinée dans le rôle d'un protégé soumis à la volonté de son patron.
 
Le conflit a opposé une fois de plus deux espaces d'intégration: d'une part, l'espace euro-asiatique (Organisation de coopération de Shanghai, OCS, et Communauté des Etats indépendants, CEI) et, de l'autre, l'espace européen (Union européenne). A propos, les Etats du premier espace ont reconnu, au cours de leur sommet du 28 août à Douchanbe, la priorité de la Russie dans le règlement du conflit sud-ossète, alors que ceux de l'UE soutiennent les positions des Etats-Unis, bien que ce soutien ne soit pas aussi unanime que le voudraient les Américains. Le champ d'action de ces deux espaces d'intégration est un vaste territoire géographique s'étendant des Balkans au Caucase. Mais, en même temps, l'UE continue à affirmer la nécessité de conserver le partenariat stratégique avec la Russie.
 
Dans ce contexte, l'Azerbaïdjan, pays riche en ressources énergétiques, présente incontestablement un intérêt pour l'Occident en tant que fournisseur de gaz et de pétrole à l'Europe, ainsi qu'en tant que territoire de transit pour les livraisons de produits énergétiques en provenance du Turkménistan. La Géorgie qui a occupé une position radicalement pro-occidentale n'est qu'un intermédiaire territorial dans la mise en oeuvre d'un certain nombre de projets. Ainsi, passent par son territoire l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan d'un rendement d'un million de barils par jour; le pipeline Bakou-Supsa d'un rendement de 0,145 million de barils par jour; les chemins de fer reliant les deux ports pétroliers géorgiens de Batoumi (environ 0,3 million de barils par jour) et de Koulevi (environ 0,2 million de barils par jour) et le gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzurum d'un débit de 6,6 milliards de m3 par an.
 
Pour l'instant, la composante économique des événements, qu'on peut qualifier sans exagérer de puissante et de prédominante, est défavorable à l'Occident.
 
Le transit par la Géorgie a cessé à la suite de la guerre en Ossétie du Sud: le 12 août, le transport du pétrole azerbaïdjanais par l'oléoduc Bakou-Supsa a été interrompu. En ce moment, le pétrole azerbaïdjanais n'est exporté que par l'itinéraire Bakou-Novorossiïsk, dont le débit est restreint.
 
Le Kazakhstan a également l'intention de réorienter son flux pétrolier des ports géorgiens vers son marché intérieur. Il s'agit d'un million de tonnes de combustible stratégique très précieux. Serik Bourkitbaïev, président de la compagnie pétrolière nationale KazMunaïGaz, a déclaré que, "bien que le port géorgien de Batoumi soit resté intact au cours des événements dans le Caucase, et qu'aucune action n'ait été dirigée contre lui, l'inquiétude demeure".
 
Entre-temps, la Russie poursuit les négociations avec l'Azerbaïdjan sur les livraisons de gaz et de pétrole, négociations qui sont la suite logique des pourparlers au sommet entre les deux pays menés en juin à Bakou. D'ailleurs, sur le plan politique, ces négociations s'appuient sur le "Mémorandum d'amitié et de coopération stratégique" signé entre les deux Etats. Par conséquent, la Russie montre sa ferme volonté de devenir un acheteur et un partenaire fiable pour l'Azerbaïdjan en matière de transit d'hydrocarbures dans les conditions du penchant de la Géorgie pour les dangereux cataclysmes politiques.
 
Comme on le sait, la Russie propose des prix élevés pour l'achat du gaz azerbaïdjanais, tandis que les plans d'extension des pipelines et gazoducs allant vers le Sud de l'Europe via la Turquie en sont encore au stade de l'élaboration. Par conséquent, la Russie peut renforcer encore plus ses positions sur le marché du gaz de l'Europe et sur le marché mondial du pétrole.
 
Des variantes de coopération russo-azerbaïdjanaises aussi intéressantes ne peuvent que susciter l'inquiétude de Washington.
 
"Si Bakou accepte ce partenariat, écrit le Wall Street Journal en se référant à des experts, la Russie ne laissera plus de gaz disponible pour les autres consommateurs".
 
L'aspiration des Etats-Unis à approfondir coûte que coûte leur pénétration dans la région de la Caspienne et de l'Asie centrale est argumentée par des évaluations correspondantes des ressources énergétiques en jeu. D'après les données du département américain de l'Energie, les réserves prouvées de pétrole dans la région de la Caspienne sont comparables, selon l'évaluation la plus optimiste, aux réserves des Etats-Unis, et celles de gaz sont à peu près égales au potentiel gazier de l'Arabie Saoudite.
 
Dans l'ensemble, la perspective de voir mis en oeuvre prochainement le projet de transit énergétique global reliant l'Asie centrale à l'Europe par le Caucase du Sud n'est pas du tout radieuse. Bien qu'il soit peu probable, compte tenu de son élaboration minutieuse, que ce projet soit abandonné. Mais, en attendant que soit réanimé le "Projet occidental", ce qui nécessite, avant tout, la stabilisation de la situation politique en Géorgie, il est probable que des projets alternatifs de transit énergétique entre les deux continents apparaissent. Ils sont déjà en voie de réalisation par la Russie en coopération avec les pays membres de l'OCS (Organisation de coopération de Shanghai). D'autant que la fiabilité de la Géorgie en tant que pays de transit d'hydrocarbures s'est considérablement ébranlée aux yeux de ses partenaires, malgré tous les efforts déployés par l'Occident en vue de réduire au minimum l'influence de la Russie dans la région. Ce n'est pas par hasard que les évaluations de l'essence du conflit faites par le président français Nicolas Sarkozy sont très pondérées et diplomatiques. Son désir de conserver la Russie en tant que partenaire stratégique de l'Europe et d'empêcher une nouvelle étape historique de la guerre froide est évident. C'est d'ailleurs lui qui a exposé cette dernière thèse lors d'une conférence de presse à Bruxelles.
 
Dans ce contexte, la signification économique de ce nouveau conflit militaire dans le Caucase est très large. En effet, en cas de succès des Etats-Unis et de leurs alliés, le renforcement de leur contrôle sur les ressources énergétiques et leurs livraisons sur le marché mondial irait de pair avec une perspective évidente d'extension de leur influence à d'autres parties de ce qu'on appelle l'ellipse géostratégique. C'est-à-dire une extension au sud, via la Caspienne, vers l'Iran et le monde arabe, dont les ressources sont solidement concentrées dans les mains des régimes monarchiques locaux. Peut-être aussi au nord, en profondeur dans le territoire de la Russie? Cette ellipse stratégique est très importante, car son territoire recèle 80% des ressources énergétiques mondiales.
 
Une autre chose apparaît choquante: dans la lutte concurrentielle pour le contrôle des ressources énergétiques en ce début de millénaire, de même qu'au cours des deux siècles précédents, les souffrances des peuples du Caucase et d'autres régions de l'ellipse stratégique n'entrent pas dans les plans des stratèges mondiaux
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Publié dans Révolutions

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