Décroître ou mourir ( Ne dépensez plus, pensez ! signé Aspeta)

Publié le par sceptix



Vous qui lisez Le Couac et vous informez sur l’état du monde ailleurs qu’à Radio-Canada ou dans La Presse, vous en êtes sûrement arrivé tôt à tard à la fameuse question : Est-ce que je me tire une balle dans la tête tout de suite ou est-ce que j’attends encore un peu ?

Personnellement, et comme j’écris ces lignes, vous comprendrez que j’ai choisi d’attendre un peu (par lâcheté, instinct de survie, ou indécrottable optimisme, va savoir...). Et en attendant, comme bien des gens, j’essaie de ne pas trop contribuer au gâchis en prenant mon vélo, en réutilisant des trucs trouvés dans les poubelles, en boycottant les multinationales, en essayant de manger local et en cultivant jalousement ma haine profonde pour cette société de consommation.

Un jour j’ai appris que mon mode de vie avait un nom officiel, la simplicité volontaire. Et un slogan : « Moins de biens, plus de liens ! ». Bon, évidemment ça m’allait. Sauf qu’on connaît tous les limites du « lifestyle activism » et du « acheter c’est voter » (voir « Le piège Waridel », Le Couac, août 2007, p.7). Et comme le chantait Brassens dans Marinette : « Avec mon p’tit vélo, j’avais l’air d’un con » à côté de tous ces riches qui détruisent la planète (« Comment les riches détruisent la planète », Le Couac, mai 2007, p.7)

En 2006, le Fonds mondial de la nature (WWF) écrivait qu’il faudrait l’équivalent de deux planètes Terre pour nourrir l’humanité en 2050 si la consommation des ressources biologiques se poursuit au rythme actuel. L’empreinte écologique moyenne mondiale se situe déjà à 1,2 planètes. Le mode de vie énergivore de l’Occident en utilise déjà de 3 à 5 selon les estimations. Si au niveau mondial on hypothèque déjà notre capital environnemental, en Occident on le brûle carrément. Et les listes d’attente pour les BMW en Chine sont semble-t-il de 5 ans... C’était quoi déjà l’autre option à part « attendre un encore un peu » ?

Et dire que tout cela découle d’une connerie monumentale qu’un enfant de cinq ans remarquerait au premier coup d’œil : le capitalisme promeut une croissance infinie sur une planète finie. Ou encore, comme l’écrivait l’économiste Kenneth Boulding qui avait une vision toute particulière de sa profession : « Celui qui croît qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, ou un économiste ». Sauf que ceux qui spolient le monde connaissent aussi leur finitude en tant qu’individu et optent pour la fuite en avant, pour le « après moi le déluge »... Six millions d’années d’hominisation pour en arriver là... C’était quoi la toune de Renaud déjà... ah oui : Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ?

« Oui mais les innovations technologiques vont venir régler tout ça », claironnent les thuriféraires de Prométhée. C’est bien mal connaître la psychologie du « chef-d’œuvre de l’évolution ». L’histoire nous montre en effet à maintes reprises que les époques de forte croissance de la consommation énergétique sont suivies d’une baisse subséquente grâce aux gains d’efficience issus des progrès technologiques, mais que cette consommation rebondit ensuite, les gains étant toujours réinvestis pour produire encore plus ou pour aller plus loin. Monsieur Brossard de Brossard le sait, lui qui, après avoir récemment changé sa grosse bagnole pour une petite voiture qui consomme moins, vient d’en acheter une deuxième à sa femme, tout aussi petite et économe... Les suicidés peuvent-ils être accusés d’homicide ?

Et puis il y a l’ostie de moron, euh... je veux dire l’oxymoron par excellence, j’ai nommé le ô combien pratique « développement durable ». Car si le « développement » en question, qui ne dit jamais son nom, est notre bonne vieille « croissance économique », comment peut-elle être durable sur la Terre ? Je vous renvoie à l’enfant de cinq ans de tout à l’heure. Au mieux, cette expression revient donc à dire qu’il faut faire durer le développement. C.Q.F.D. Le comptoir d’arme à feu le plus proche, c’est par où ?

Quant au protocole de Kyoto, s’il-vous-plaît arrêtez ! C’est comme aller porter une pétition de mille noms contre la guerre à W. Bush, ce truc. Réduire d’au moins 5% par rapport aux niveaux de 1990 les émissions de gaz à effet de serre durant la période 2008-2012, voilà tout ce que dit le plus important instrument visant à lutter contre les changements climatiques ? S’il est de bon ton de répéter qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction, tous les experts s’accordent pour dire que c’est grandement insuffisant. Et c’est sur ce traité frileux que le Canada n’a cessé de demander des allégements pour en réduire la portée ? Et c’est le même traité que les États-Unis, méga-producteur de gaz à effet de serre s’il en est un, n’a même pas signé ? Au fond, l’attentat suicide, qui fait d’une pierre deux coups, c’est pas mal...

Au moment donc où j’allais sombrer dans l’axe du mal, je fus sauvé in extremis de mes penchants terrorisss très exactement lundi soir le 10 septembre dernier, alors que j’ai assisté à la première rencontre thématique sur la décroissance conviviale.

Après avoir présenté un petit exposé intitulé « Le réchauffement du climat et les fausses solutions : Kyoto et cie », Serge Mongeau, auteur du désormais classique La simplicité volontaire (Éditions Écosociété, 1998), en venait lui-même au constat suivant : après la posture individuelle de la simplicité volontaire, et devant l’urgence de la situation, il faut maintenant passer au mouvement collectif de la décroissance conviviale.

Mouvement déjà bien développé, notamment en France, la décroissance est le changement de paradigme nécessaire pour sortir de l’impasse productiviste actuelle. Il ne s’agit évidemment pas de décroître indéfiniment (ce qui serait aussi absurde) mais d’imposer des limites, individuelles et collectives, à la démesure. Concrètement, cela signifie « une diminution régulière de la consommation actuelle matérielle et énergétique, dans les pays et pour les populations qui consomment plus que leur empreinte écologique admissible, en évacuant en priorité le superflu matériel, au profit d’une croissance des relations humaines » (Nicolas Ridoux. La décroissance pour tous. Parangon, 2006.)

Facile à dire, mais comment ?, se sont demandés les gens présents à la rencontre du 10 septembre dernier. De la stimulante discussion qui a suivi, une chose ressortait, comme une première étape essentielle : il faut « décoloniser » notre imaginaire, le sortir du carcan de la société de consommation, dans laquelle les choses sont consommées pour leur représentation symbolique plus qu’autre chose. Sauf que lorsqu’on sait qu’il se dépense chaque année entre 400 et 500 milliards de dollars pour la publicité dans le monde, ça donne le goût, encore une fois, d’en finir tout de suite. Mais comme je me sens maintenant moins seul, je vais attendre encore un peu, juste pour voir, au cas où...
BRUNO DUBUC

http://www.lecouac.org/spip.php?article179

Ainsi nous ferions d'une pierre 2 coups :
1) Protection de la planète
2) Mise à mal  des bénéfices des multinationales
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