Bourbier, Phase II : l’invasion du Pakistan,
La France, qui vient de découvrir le conflit Afghan, ignore encore que celui-ci a changé de nature. En portant la guerre sur le sol Pakistanais, les USA se sont engagés - et nous ont engagé - dans une escalade dangereuse et sans issue. L’éditorialiste de l’International Herald Tribune William Pfaff dresse un parallèle entre la situation actuelle et l’extension du conflit indochinois au Cambodge - elle aussi censée apporter la « victoire » - qui a mené aux conséquences que l’on sait.

Par William Pfaff, TruthDig, 12 septembre 2008
Les États-Unis viennent d’envahir le Cambodge. Cette fois ci, le Cambodge s’appelle Pakistan, mais à cette différence près, c’est la même histoire que celle de l’Indochine en 1970.
L’armée américaine, profondément frustrée par son incapacité - malgré des années de lutte - à vaincre un mouvement d’insurgés anti-américains, a décidé que la clé de la victoire se trouvait dans un pays voisin. En 1970, le problème était celui de la « piste Ho Chi Minh » au Cambodge. Aujourd’hui, c’est celui des bases des Talibans et d’Al-Qaida au Pakistan, que les États-Unis attaquent avec leur aviation depuis un certain temps, entraînant des « dommages collatéraux » controversés.
George W. Bush a désormais autorisé [1]des opérations terrestres menées unilatéralement contre les Taliban et Al-Qaida dans les territoires tribaux du Pakistan, sans consultation avec les autorités pakistanaises. Ces opérations ont déjà commencé.
Cette décision intervient après une période de tension, durant laquelle se sont déroulés quelques affrontements armés, entre des unités militaires américaines et pakistanaises, ces dernières défendant la « souveraineté nationale du Pakistan. » L’opinion publique Pakistanaise semble largement opposée à ce que cette « guerre Américaine » soit menée sur le sol du Pakistan.
La décision de Washington a été rendue publique juste avant le septième anniversaire des attentats du 11 septembre, qui avaient ouvert la première phase de la « guerre contre le terrorisme », après laquelle « rien ne pourrait jamais être comme avant. » Nous sommes sans aucun doute déjà entré dans la « phase deux » de cette guerre.
L’intervention américaine au Cambodge en 1970 a eu pour résultat de provoquer le renversement par les communistes du gouvernement militaire parrainé par l’Amérique, suivi par le génocide. Les conséquences futures pour le Pakistan (doté de l’arme nucléaire) sont encore dans les limbes.
Il y a tout lieu de penser qu’elles pourraient prendre la forme de manifestations et de troubles dans le pays, d’une crise politique, d’un renforcement important du mouvement fondamentaliste islamique pakistanais, et éventuellement, d’une petite guerre entre les États-Unis et l’armée pakistanaise, qui est l’institution majeure de ce pays, est douée d’une vie propre et ne constitue pas une force militaire négligeable.
En Afghanistan, les Américains et les forces de l’OTAN se plaignent depuis de nombreux mois que la victoire contre les talibans est impossible tant qu’existent des bases taliban dans les zones tribales Pakistanaises qui sont hors d’atteinte.
Pervez Musharraf, l’ancien président pakistanais, avait été averti par ses alliés américains qu’il devait chasser les Taliban de ces territoires, faute de quoi l’armée américaine et l’OTAN le feraient à sa place. Le candidat à la présidentielle américaine Barack Obama a proféré la même menace. John McCain y souscrit également. Pervez Musharraf avait tenté de trouver un accord négocié avec les tribus.
Les services de renseignements de l’armée pakistanaise ont créé les Taliban lorsqu’ils collaboraient avec la CIA pour former les moudjahiddines qui ont chassé l’Union Soviétique de l’Afghanistan. Ils sont nombreux dans ces services à soutenir encore les Taliban, y voyant un instrument utile contre l’Inde, et permettant d’éviter que l’Afghanistan ne tombe aux mains d’ennemis encore plus dangereux.
Pervez Musharraf a été contraint d’abandonner ses fonctions. Les États-Unis avaient ramené de l’exil l’ancien Premier ministre Benazir Bhutto, qui devait être coopérative. Elle a été assassinée, probablement par des extrémistes islamiques. Son mari a été élu pour prendre sa place et se déclare lui-même un ennemi du terrorisme. Toutefois, les États-Unis ont déjà pris les choses en mains.
Dans le cas du Vietnam, le commandement militaire américain affirmait qu’il pourrait gagner la guerre en envahissant le Cambodge afin de couper la piste Ho Chi Minh, par laquelle étaient transportées les armes et les fournitures pour l’insurrection communiste Viet Cong. L’argument avancé était que la coupure de cette route priverait le Viet Cong de ses approvisionnements.
Initialement, le malheureux Prince Sihanouk du Cambodge, qui tentait désespérément de maintenir son pays à l’écart de la guerre du Vietnam, avait été persuadé de fermer les yeux sur les bombardements américains de la piste. Ensuite, un coup d’Etat militaire en 1970 a installé au pouvoir un général qui était une marionnette américaine. Les B-52 ont poursuivi leurs bombardements massifs, sans obtenir le résultat recherché, mais en tuant un grand nombre de Cambodgiens.
L’ « incursion » conjointe des forces américaines et Sud Vietnamiennes afin de couper la piste est survenue en avril 1970. Elle a eu pour seul résultat de déplacer les opérations d’approvisionnement plus profondément à l’intérieur du Cambodge. Richard Nixon avait alors déclaré qu’il avait agi ainsi pour prouver que les États-Unis n’était pas « une puissance de second rang ». « Si, lorsque les dés sont jetés, la nation la plus puissante au monde agit comme un piètre géant impuissant, les forces du totalitarisme et de l’anarchie menaceront les nations libres et les institutions libres dans le monde entier. »
Les Khmers Rouges cambodgiens ont ensuite vaincu le régime militaire de Phnom Penh soutenu par les USA. Le génocide a suivi, avec ces « champs de la mort », dont les États-Unis se sont détournés. Puis ils ont condamné le gouvernement communiste vietnamien lorsqu’il a envahi le Cambodge pour mettre fin au massacre.
William Pfaff est historien et éditorialiste à l’International Herald Tribune.
Publication originale TruthDig, traduction Contre Info : http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2160
Illustration : Time, 11 mai 1970