Vigipirate à la ferme
Une nouvelle aventure de notre ami Vigipirate :
Vigipirate à la ferme
Amis lecteurs, vous qui êtes bien souvent des citadins, vous imaginiez
sans doute, jusqu'à présent, la campagne comme un havre de paix, loin de
la folie du monde et du fracas des armes : erreur on ne peut plus funeste
! Voici quelques informations qui devraient vous donner à réfléchir et
vous inviter à revoir à la baisse une image largement surfaite
d'improbables paradis bucoliques. Petits paysans et très modestes
producteurs de formages fermiers (dans un département extrêmement rural de
la région), ma compagne et moi-même avons eu la surprise de découvrir dans
notre courrier une missive émanant de la préfecture ; objet de la lettre :
"Plan Vigipirate, niveau rouge". Les autorités préfectorales nous
enjoignent donc de "surveiller les locaux de travail, de vérifier
l'intégralité des conditionnements, d'examiner les provenances des
matériaux utilisés, enfin de ne pas négliger la surveillance pendant les
transports afin de parer à tout acte de malveillance."
Une fois la première explosion (de rire) passée, nous avons décidé
d'ébruiter l'affaire. Au-delà du caractère grotesquement paranoïaque de la
démarche, du très peu crédible scénario envisagé (Al Quaïda sautant sur la
ferme avec un commando "spécial bactério"), il n'est peut-être pas inutile
de réfléchir un tant soit peu sur le sujet.
En fait, cette lettre est d'abord et avant tout un aveu de faiblesse des
autorités : notre société, soi-disant si puissante, est à la merci du
premier malveillant venu. Le pouvoir sait pertinemment que les
déploiements militaires et policiers ne couvrent pas, loi s'en faut,
"toutes les brèches possibles dans le mur d'enceinte", c'est pourquoi il
organise sournoisement le recrutement de millions d'auxiliaires de police
bénévoles, dans tous les secteurs d'activité, aujourd'hui en l'occurrence
les paysans et les travailleurs de l'alimentaire, demain ceux de la santé
ou des transports. Si le pouvoir répand de façon aussi massive et aussi
systématique le virus de la Peur, c'est d'une part qu'il faut que personne
ne se sente à l'abri d'une attaque terroriste éventuelle et d'autre part
que chacun soit bien persuadé de jouer un rôle éminent dans la défense
collective face à ce danger. On connaît depuis belle lurette le fameux
adage "nul n'est censé ignorer la loi", récemment relooké en "nul n'est
censé ignorer la peur". Car n'en doutons pas, amis lecteurs, le pouvoir
nous le serine à longueur de journées : "Ils sont déjà parmi nous" (cf. la
série TV "Les envahisseurs"). Aucune zone n'échappe à leur sournoise
invasion, même les zones sauvages à faible peuplement y son exposées : les
ruraux, défenseurs de la gastronomie nationale, sont une cible
potentielle, qu'on se le dise ! Il est de leur devoir de protéger le
patrimoine alimentaire national. Entonnons donc tous ensemble le fameux
couplet : "Entendez-vous dans ces campagnes mugir ces féroces soldats qui
viennent jusque dans nos caves saboter nos vins et nos fromages, aux armes
citoyens, etc."
Rions certes, "ma non troppo" comme diraient nos compagnons transalpins.
Si l'on veut bien considérer que le courrier préfectoral ubuesque va
toucher un nombre important de petits producteurs, de boulangers, de
pâtissiers, de maraîchesr, etc., est-il possible d'envisager leurs
réactions ? Un nombre important d'entre eux, n'en doutons pas, rejoindra
le parti des rieurs et se souciera des injonctions préfectorales comme de
leur première chemise… Mais il en restera vraisemblablement un nombre à
peu près équivalent pour accorder à ces craintes officielles un certain
crédit : frappés par le VDP (Virus De la Peur), ils vont dormir d'un
mauvais sommeil, toujours sur le qui-vive, il erreront nuitamment, la main
crispée sur un vieux tromblon, autour de leur très modestes trésors,
persuadés que la menace les concerne très directement. Le pouvoir aura
atteint le but recherché : taraudés par la fièvre de la suspicion, ces
malheureux auront même, le soir venu, des accès aigus de délation. Bientôt
ils seront mûrs pour rejoindre l'armée secrète des auxiliaires bénévoles,
supplétifs zélés quoique zombiesques, d'une flicaille pourtant toujours
plus nombreuse.
Le pâtre de service
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Le courrier reçu de la Préfecture :
République Française
Madame, Monsieur
J’attire votre attention sur le renforcement souhaitable de dispositions
simples et efficaces de surveillance contribuant à la sécurité des
aliments, dans le cadre du plan Vigipirate rouge. Vous avez en charge la
conduite d’un établissement préparant ou transportant ou distribuant des
denrées alimentaires destinées à la consommation humaine. La protection
des accès en veillant à la fréquentation des locaux de travail
exclusivement par des personnels de l’établissement, la vérification de
l’intégrité des conditionnements appliqués aux matières premières,
l’examen des provenances, la surveillance pendant les transports,
constituent autant de moyens pour réduire la portée d’éventuelles
malveillances.
Comptant sur votre collaboration, veuillez agréer, Madame, Monsieur,
l’expression de ma considération distinguée.
Le Préfet.
Note de la Rédaction d’Anarchosyndicalisme ! :
“Comptant sur votre collaboration...” Collaboration ? Le mot est
remarquablement choisi, on ne saurait être plus exact. It’s the right word
at the right place, comme diraient nos amis Anglais !
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Paru dans Anarchosyndicalisme ! #107
Disponible en ligne ici :
http://www.cntaittoulouse.lautre.net/secteur.php3?id_rubrique=1
Envoi de la version papier sur simple demande à
CNT AIT
7 rue St Rémésy
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