Rice appelle les Européens à l'unité face à une Russie "agressive"
Rice appelle les Européens à l'unité face à une Russie "agressive"
Près de Tbilissi, l'armée rumine sa défaite et rêve de revanche
L'Otan se trouve une nouvelle raison d'être européenne
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Rice appelle les Européens à l'unité face à une Russie "agressive"
AFP, 18 sept.
WASHINGTON (AFP) — La secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, a accusé jeudi la Russie d'être de plus en plus "autoritaire" et "agressive", appelant les Européens à l'unité pour l'empêcher de "tirer un quelconque bénéfice de son agression" en Géorgie.
Les actions de la Russie en Géorgie "correspondent à une détérioration de son comportement depuis quelques années", a déclaré Mme Rice, selon des extraits d'un discours qu'elle devait prononcer jeudi à Washington.
"Le tableau qui se dégage de ce comportement est celui d'une Russie de plus en plus autoritaire dans le pays et agressive à l'étranger", a ajouté la chef de la diplomatie américaine selon ces extraits rendus publics par le département d'Etat.
"La candidature de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est maintenant remise en cause. Son adhésion à l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) l'est aussi", a-t-elle poursuivi.
Les pays membres de l'OMC se sont réunis jeudi pour discuter de l'adhésion de la Russie à l'organisation, mais ils ont remis leurs discussions à novembre sans avoir abordé le sujet, a-t-on appris de source proche des négociations.
Reconnaissant apparemment des divergences avec certains pays européens sur ces points, Mme Rice a appelé les Occidentaux à faire preuve de "détermination et d'unité".
"Nous ne pouvons nous permettre de donner raison aux préjugés apparents de certains dirigeants russes, qui pensent que si on fait suffisamment pression sur certains pays, si on les intimide, on les menace et on les frappe, nous allons céder, oublier et finir par nous incliner", a-t-elle prévenu.
"Les Etats-Unis et l'Europe ne doivent pas laisser la Russie tirer un quelconque bénéfice de son agression. Ni en Géorgie ni ailleurs", a-t-elle prévenu.
"Notre objectif stratégique est maintenant de dire clairement aux dirigeants russes que leurs choix les placent sur une voie à sens unique: celle de l'isolement volontaire et de l'insignifiance dans le monde".
Elle a rappelé que le seul dirigeant étranger à avoir reconnu l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud était le président nicaraguayen Daniel Ortega, ancien chef de la junte sandiniste et allié historique de la Russie.
"La Russie a reçu peu de soutien pour ses actes: on peut difficilement qualifier de triomphe diplomatique une tape sur le dos de Daniel Ortega et du Hamas", a-t-elle lancé.
Le mouvement radical palestinien Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, a également reconnu ces deux régions séparatistes géorgiennes mais la communauté internationale ne lui reconnaît aucune légitimité.
Alors que les tensions entre la Russie et les Occidentaux ravivent le spectre d'une nouvelle Guerre Froide, Mme Rice s'est voulu rassurante.
"L'étalage de sa puissance militaire par la Russie ne renversera pas le cours de l'Histoire", a-t-elle déclaré. "La Russie est libre de décider de ses relations avec des pays souverains. Et ceux-ci sont libres de décider de leurs relations avec la Russie, y compris en Amérique Latine".
Le président vénézuélien Hugo Chavez a soutenu la Russie dans le conflit avec la Géorgie.
Le président russe, Dmitri Medvedev, a adopté un ton conciliant jeudi, appelant à ne pas "gaspiller" le potentiel des relations russo-américaines par des problèmes "mineurs" qui font renaître "les stéréotypes du passé".
"Les relations avec les Etats-Unis restent parmi les priorités de la politique extérieure russe et définissent en grande partie l'ambiance dans le monde", a ajouté M. Medvedev.
"Malgré des divergences fondamentales dans les approches envers certains problèmes internationaux, nous sommes convaincus que nous avons toutes les possibilités pour développer une coopération constructive à long terme", a-t-il assuré.
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Près de Tbilissi, l'armée rumine sa défaite et rêve de revanche
Le Monde, 16 sept
VAZIANI (GÉORGIE) ENVOYÉ SPÉCIAL
On éprouve un choc en entrant dans le bureau du commandant de la 4e brigade d'infanterie de Vaziani, à 25 kilomètres de Tbilissi. Ce ne sont pas les haltères ou le club de golf, posés près du canapé, ni l'immense télévision à écran plat, ni le coffre-fort d'un autre âge. Ce qui interpelle, c'est l'âge du major Giorgi Kalandaze, 28 ans seulement. Il est le visage de l'armée géorgienne : formation à l'étranger, pratique de l'anglais et refus du russe qu'il maîtrise pourtant, attachement viscéral à l'indépendance nationale.
Difficile pour lui de cacher le goût acre de la défaite. Giorgi Kalandaze a perdu 50 hommes et enregistré 300 blessés contre les forces russes. La 4e brigade était de l'offensive du 7 août contre Tskhinvali, la "capitale" de l'Ossétie du Sud, début de la guerre éclair. La résistance sud-ossète, puis la réponse massive de l'armée russe ont obligé le major à exécuter la décision politique que les militaires haïssent : le repli. "Au début, j'étais fou de rage, dit-il. Mais on m'a donné l'ordre de défendre le nord de la capitale, Tbilissi."
La présence prolongée des forces russes sur le territoire géorgien est une humiliation pour le militaire, qui pense à la revanche. "Nous nous préparons à faire tout notre possible pour récupérer l'Ossétie du Sud, si l'ordre nous en était donné", assure-t-il. Mais que fait-il des troupes que Moscou veut laisser dans la région séparatiste, soit 3 800 hommes (plus le même nombre en Abkhazie) ? "Ce n'est pas un problème, rétorque le major. Vous pensez que les soldats russes sont de bons combattants ? J'ai eu quelques prisonniers ici. Ils portent des chaussures de la seconde guerre mondiale, n'ont pas de gilet pare-balles ni de jumelles de vision nocturne !"
PRÈS DE 25 % DU BUDGET
L'équipement : l'armée géorgienne pensait que cet avantage suffirait. A la base de Vaziani, on a reçu peu avant l'été une livraison de fusils automatiques Negev, de fabrication israélienne. Mais face à l'aviation et l'artillerie russes, ils n'ont pas servi à grand-chose.
Pour l'heure, le président Mikheïl Saakachvili ne veut pas s'exposer aux critiques russes en annonçant un réarmement massif. "Le secteur de la défense est une composante parmi d'autres dans nos projets de reconstruction, explique au Monde Guiga Bokeria, vice-ministre des affaires étrangères. Ces quatre dernières années, la Géorgie a tout fait pour que soit déployée sur le terrain une véritable force de maintien de la paix effective, en vue d'une résolution pacifique. L'arrivée d'observateurs européens, y compris à l'intérieur des deux régions séparatistes, doit être une première étape avant le remplacement de l'armée russe par des forces de maintien de la paix."
Ce tableau de marche idéal paraît déjà hypothéqué par le refus russe d'autoriser les observateurs de l'UE en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Outre leur espoir d'une entrée au sein de l'Alliance atlantique, les autorités géorgiennes pensent donc au renforcement de leurs capacités militaires. Les dépenses dans ce secteur sont déjà exceptionnelles au vu de la taille et des ressources du pays. "Les Géorgiens ont une armée d'opérette, tempère un diplomate occidental à Tbilissi. Mais Saakachvili est entouré de faucons qui étaient convaincus que l'Ossétie du Sud tomberait comme une dent de lait. Consacrer près de 25 % du budget à la défense va d'ailleurs à l'encontre des règles de l'OTAN."
Ce n'est pas encore assez, semble-t-il. Lundi 15 septembre, le gouvernement a soumis des amendements au Parlement afin de distribuer une enveloppe d'urgence - près de 127 millions d'euros - pour la "reconstruction" du pays. Premier bénéficiaire : le ministère de la défense (+ 75 millions d'euros), dont le budget passe à 770 millions d'euros pour 2008, contre 30 millions en 2003, année de la "révolution des roses". Le 15 juillet, le Parlement avait déjà autorisé le renforcement des forces armées, passant de 32 000 à 37 000 hommes.
Piotr Smolar
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L'Otan se trouve une nouvelle raison d'être européenne
Le Figaro, 18/09/2008
Jean-Jacques Mével, l'un de nos correspondants à Bruxelles
Sous la magnifique photo de de Hoop Scheffer : "Le secrétaire général de l'Otan, Jaap de Hoop Scheffer, jeudi à Londres. Selon lui, l'Alliance atlantique «doit être prête à tous les scénarios. C'est valable à Tallinn, Riga et Vilnius comme dans toute autre capitale alliée»."
Le coup de force du Kremlin change la donne à l'est de l'Europe, notamment pour les pays Baltes.
L'Otan revient aux sources. Privée d'adversaire reconnu par l'effondrement du pacte de Varsovie il y a près de vingt ans, l'Alliance atlantique pourrait avoir trouvé une nouvelle raison d'être européenne grâce au déferlement des chars russes sur la Géorgie.
Officiellement, le problème n'est pas formulé en ces termes et aucun des 26 pays alliés ne souhaite un retour à la guerre froide. Mais depuis l'été, le nouveau défi russe impose naturellement la question à une Alliance soudée par la défense mutuelle.
Les 26 ministres de la Défense de l'Otan ont commencé à en débattre jeudi soir dans le huis clos d'un dîner, à Londres. C'est la première fois qu'ils se retrouvaient depuis la guerre russo-géorgienne. Selon le porte-parole James Appathurai, l'objectif est d'examiner «les implications du conflit sur la transformation de l'Alliance», avec des répercussions probables sur les plans de défense alliés.
Aucune décision n'est attendue du rendez-vous «informel» de Londres, qui doit se prolonger aujourd'hui. L'Alliance transatlantique se trouve pourtant ramenée à sa mission primordiale : l'application en Europe de l'article 5 du traité de 1949, qui prévoit qu'une attaque armée contre l'un des signataires «sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties».
Depuis la fin de la guerre froide, l'Otan s'est cherchée de nouvelles missions, comme la défense des droits de l'homme au Kosovo, ou d'autres terrains d'action à l'image de l'Afghanistan, voire de l'Irak. Le coup de force du Kremlin dans le Caucase la rapproche brutalement de ses bases. L'enjeu n'est ni la Géorgie ni même l'Ukraine. Mais les dix ex-satellites et anciennes provinces de l'empire soviétique, désormais ancrés dans l'Alliance.
La Pologne, la Hongrie ou la Lituanie bénéficient aujourd'hui de la même clause de défense automatique que l'Allemagne de l'Ouest à l'époque du rideau de fer. «L'Otan doit être prête à tous les scénarios, assurait récemment son secrétaire général, Jaap de Hoop Scheffer. C'est valable à Tallinn, Riga et Vilnius comme dans toute autre capitale alliée.»
Ce que la secrétaire d'État Condoleezza Rice dénonçait jeudi à Washington comme le retour du Kremlin à un comportement «de plus en plus agressif» impose une nécessaire mise à jour des plans du commandement suprême allié. À Bruxelles, on laisse entendre qu'une adaptation du dispositif de temps de paix est à l'ordre du jour, notamment pour les membres les plus vulnérables : les trois États baltes, ex-dépendances de l'URSS, quasiment enclavés en Russie et militairement insignifiants.
Déchirements internes
L'Institut international des études stratégiques (IISS, Londres) invitait jeudi l'Otan à délaisser l'élargissement à l'Est, jugé provocant par Moscou, au profit de ceux qui sont déjà de plain-pied dans l'alliance. La priorité est de «fournir les assurances stratégiques aux membres actuels», insiste l'IISS dans son influent rapport annuel. En clair, si le Kremlin a dégonflé le bluff occidental en Géorgie, les États-Unis et l'Europe feraient bien de donner au club atlantique les moyens de son contrat de sécurité collective.
Le recentrage de l'Otan, s'il est entrepris, se fera sans doute à pas comptés. À Londres, Robert Gates invitait jeudi les Alliés à la prudence avec Moscou. Il ne faut ni nourrir la rhétorique anti-occidentale du Kremlin, ni désespérer la Géorgie ou l'Ukraine et encore moins abandonner l'Afghanistan.
Pour feutré qu'il soit, le débat engagé à Londres n'échappera pas non plus aux déchirements internes de l'Europe. 21 des 27 membres de l'Union européenne appartiennent à l'Otan. Et d'une enceinte à l'autre, ils apparaissent aussi déchirés face à la Russie.