Quelle limite aux garanties illimitées ?
Nous avons suggéré que les risques n’avaient pas disparu mais changé de nature. Dans ce gigantesque et brutal « repli d’accordéon » auquel nous assistons, les formes de la monnaie - dépôts et épargne - que nous avons concédé à l’exercice du droit et de l’intérêt privé désormais dotés d’un privilège de liberté absolue, ont été à deux doigts de perdre toute valeur. Elles ont du chercher refuge in extremis auprès de la seule garantie qui vaille, au bout du compte, celle des contribuables et de la monnaie d’état. Ainsi, la faillite potentielle des uns est devenue la dette des autres, mettant semble-t-il un terme à la panique. Outre des dettes, nous avons cependant gagné du temps. Mais la situation nouvelle - inouïe - qui s’est créée est celle-ci. Chaque acteur du système financier, totalement dysfonctionnel, qui ne doit jusqu’à présent sa survie qu’à l’accès à des fonds distribués sans restrictions par les banques centrales, est désormais explicitement protégé contre la faillite. Les états ont donc accepté en deux temps de prendre la place des marchés monétaires moribonds, puis de garantir que tous les morts vivants de la place - ne les secouez pas, ils sont pleins de dettes - resteraient en vie. En d’autres termes, après la transfusion, l’entrée en service de soins intensifs. Fort bien. La sécurité sociale, finalement, nous rappelle ainsi ses incontestables mérites. Elle nous a évité l’infarctus généralisé. Restent plusieurs questions. Quand, comment, et à quelles conditions pourrons nous débrancher les sondes de ces grands malades qui seront sans doute un peu inquiets à l’idée de bénéficier à nouveau des bienfaits du grand air et de la libre concurrence du « struggle for life » qu’ils affectionnaient tant ? Et combien coûtera cette hospitalisation ? Faut-il par ailleurs accepter que soient encore versés des dividendes aux actionnaires d’établissements qui ne doivent leur survie qu’à la collectivité ? Voilà, en résumé, les thèmes que Brad Setser développe ci-dessous. Une dernière remarque. Nombre de nations des pays émergents ont eu à subir ce type de crise. Mais jamais auparavant - et de loin - le G7 n’avait fait preuve d’une telle magnanimité. Pour eux, il n’a jamais été question de fournir des liquidités « illimitées » pour les aider à traverser une mauvaise passe, et les Argentins, pour ne citer qu’eux, s’en souviennent à coup sûr fort bien. Mais sans doute est-ce là une illustration de la théorie de l’ « avantage comparatif ».
Par Brad Setser, 13 octobre 2008
Durant ce week-end, les pays du G-7 ont annoncé qu’ils feraient « tout ce qui est nécessaire » pour prévenir une nouvelle faillite du style de celle de Lehman. Ils se sont engagés à « utiliser tous les outils disponibles pour soutenir les établissements financiers d’importance systémique et empêcher leur faillite. »
Beaucoup de banques européennes doivent avoir recourt aux crédits à court terme en dollars pour financer leurs actifs libellés en devise US, ainsi que nous l’avons découvert lorsque la faillite de Lehman a provoqué des retraits paniques sur les fonds intervenant sur les marchés monétaires. Aujourd’hui, la Fed et les grandes banques centrales européennes ont fait en sorte que toute banque européenne qui a besoin d’emprunter des dollars puisse s’en procurer :
« La banque centrale d’Angleterre, la BCE et la Banque Suisse organiseront des opérations de financement en dollars pour des durées de 7, 28 et 84 jours à taux fixe où les demandes seront entièrement satisfaites. Les fonds seront fournis à un taux d’intérêt fixe, déterminé à l’avance de chaque opération. Les souscripteurs lors de ces opérations seront en mesure d’emprunter le montant qu’ils souhaitent en échange de collatéraux appropriés selon les normes en vigueur dans chaque juridiction [1] . En conséquence, le montant des accords réciproques sur les devises (dispositif d’échange de devise) entre la Réserve fédérale et la BOE, la BCE et la BNS sera augmenté quel que soit le montant des financements en dollars US demandés. »
Lorsqu’ils sont utilisés trop souvent les mots perdent de leur sens. Mais il s’agit là d’une mesure vraiment sans précédent.
Les États-Unis et les grandes banques centrales européennes ont de fait accepté d’accorder des prêts illimités pour honorer leur promesse d’éviter une faillite bancaire systémique. Au bout du compte, tous les grands établissements financiers des pays du G-10 ont maintenant accès - par l’intermédiaire de leur banque centrale nationale - aux fonds de la Fed. Si elle n’est pas encore tout à fait le prêteur mondial de dollars de dernier recours, sa situation s’en rapproche. Certes, les banques ne sont pas des pays, de sorte que l’analogie n’est pas parfaite, mais lorsque les pays émergents ont eu des difficultés à renouveler leur emprunts à court terme en dollars au cours de la crise de 97-98, le G-7 n’a jamais promis de fournir « toute somme » qui s’avérerait nécessaire.
Les prêts accordés aux nations en difficulté par l’intermédiaire d’institutions comme le FMI ne sont pas garantis par des collatéraux [2], mais jamais ils n’ont été aussi inconditionnels. La garantie de liquidité du G7 ne semble pas être liée à des mesures que les banques devraient adopter en échange afin d’améliorer leur situation, telles que la suspension de paiements de dividendes à leurs actionnaires.
La riposte mondiale à la crise actuelle est en train de prendre forme.
L’étape 1 consiste à apporter une garantie contre les faillites, ou tout au moins contre le type de faillite qui entraîne des pertes pour les créanciers non privilégiés. Si ces garanties sont crédibles - et que les fonds intervenant sur les marchés monétaires voient la fin des retraits sur les dépôts qui leurs sont confiés, de sorte qu’ils puissent accorder des prêts - elles devraient assurer que toute institution présentant une importance systémique puisse emprunter les fonds nécessaires pour rembourser ses dettes à court terme arrivant à échéance, quelle que soit la difficulté de sa situation comptable. Les dettes des banques à court terme deviendraient ainsi aussi fiables que le sont celles du Trésor de maturité équivalente.
L’une des actions nécessaires pour parvenir à cette garantie consiste à entreprendre un réel effort pour recapitaliser le système financier. Ceci permettrait que les banques soient finalement en mesure d’emprunter en raison de la confiance qu’inspirerait leur propre bilan comptable - et non pas de l’appui apporté par le Gouvernement.
La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont promis ensemble une somme bien plus importante que celle du plan de sauvetage des Etats-Unis, le TARP, pour soutenir leurs banques - et elles ont fait part de leur volonté de prendre d’importantes participations dans leurs systèmes bancaires. La France a annoncé une somme allant jusqu’à 2% de son PIB. Le Royaume-Uni a déjà engagé 37 milliards de livres (64 milliards de dollars), soit 2,5% de son PIB. L’Allemagne a indiqué qu’elle était prête à mobiliser 3,2% de son PIB pour acquérir des participations dans ses banques. Une prise de participation d’un niveau équivalent aux USA impliquerait une recapitalisation comprise entre 300 et 500 milliards de dollars.
Cela me semble à même de fournir une base d’évaluation de l’ampleur des investissements qui pourraient être requis par le plan de sauvetage américain. Le FMI a estimé que les grandes banques avaient besoin d’une injection d’environ 700 milliards de dollars de nouveaux capitaux.
Le gouvernement américain semble redouter encore que des conditions trop contraignantes auraient pour effet de décourager les entreprises « en bonne santé » de rechercher une recapitalisation auprès du gouvernement. Je comprends la nécessité d’être rassurant - et de clarifier le fait que l’injection de fonds publics doive être justement considérée comme rassurante plutôt que comme l’indice de problèmes dissimulés.
Dans le même temps, j’espère que les dirigeants des banques américaines qui se réuniront cet après-midi avec le Trésor reconnaîtront que c’est le manque de confiance dans leurs bilans qui a entraîné le système financier mondial au bord du gouffre. La faillite de Lehman a révélé que seules quelques grandes entreprises peuvent encore emprunter à l’heure actuelle sans bénéficier d’une garantie au moins implicite du gouvernement. Le marché n’est pas rassuré par leur évaluation des actifs illiquides et opaques qu’elles détiennent. De ce fait, il doute de leur solvabilité dans cette phase de ralentissement rapide de l’économie mondiale. Aucun dirigeant de banque ne veut diluer l’investissement de ses actionnaires. Mais à défaut d’une intervention sans précédent du gouvernement offrant aux banques un financement d’urgence et une garantie de leurs engagements, de nombreux établissements auraient déjà dû fermer leurs portes.
Je reste ouvert aux autres options, mais je pense que toute banque qui recourt aujourd’hui de façon importante aux prêts accordés par la Fed devrait s’attendre à recevoir une injection de capitaux de la part du gouvernement si elle ne parvient pas à lever rapidement des fonds auprès de véritables investisseurs prêts à prendre des risques. C’est-à-dire des investisseurs qui ne s’attendent pas à ce que le gouvernement protége leur apport en capital contre les pertes futures.
En l’absence d’une injection importante de capital, il est difficile d’imaginer que le système bancaire puisse être sevré de la nécessité de s’appuyer sur la garantie implicite - si ce n’est explicite - du gouvernement pour emprunter. On peut se représenter le problème de cette façon : toutes les questions qui se sont posées au sujet de Fanny et Freddy - des entreprises privées qui empruntaient sur le marché grâce au soutien du gouvernement plutôt que par la garantie apportée par la situation de leurs propres bilans - s’appliquent désormais au du système financier « privé ».
Il semble que les initiatives du G-7 aient réussi à éloigner le système financier du précipice. Mais un monde dans lequel le gouvernement garantit la capacité des banques privées en difficulté, aux bilans potentiellement dans le rouge, d’obtenir des financements massifs n’est ni souhaitable, ni nécessairement stable sur le long terme.
Publication originale Brad Setser, traduction Contre Info
[1] Les prêts octroyés par les banques centrales auprès des banques sont sécurisés par le dépôt d’un actif, appelé collatéral, de valeur censément équivalente. Les règles de précaution sur la qualité de ces actifs ont été largement assouplies depuis le début cette crise, autorisant ainsi les banques à se débarrasser de titres à la valeur compromise en échange d’argent frais.
[2] Ndt : à la différence des prêts accordés en ce moment aux banques.