La surprise d’octobre : panique mondiale (2ème partie)
Suite et fin
Aujourd’hui, le crédit est gelé. A cause d’une crise due à la dette ; il ne s’agit absolument pas d’une crise de liquidités. Résultat : les marchés s’effondrent. Ils s’écrasent, en chute libre, sous l’effet d’un stress financier gravissime. Cela, à partir d’un niveau d’actifs encore jamais atteint et de bulles du crédit. Multiples. Faisant explosion. A commencer par l’immobilier. Provoquant des défauts de remboursements de prêts immobiliers et la perte d’énormes institutions financières. Avec des avoirs atteignant des milliards de dollars en danger. Ajoutez à cela des banques réticentes à prêter de l’argent. De crainte de ne pas être remboursées. Les prix chutent. La confiance est érodée. Les pertes sont amplifiées par des de-leveragings destructeurs. Les prêts immobiliers, les stocks, les valeurs, les obligations, le crédit, les hedge funds implosent encore plus intensément que lors de la Grande Dépression (de 1929).
Cela met des entreprises déboussolées le dos au mur. Chacune d’entre elles en met d’autres en difficulté. Certaines sont trop grosses pour s’effondrer, mais elles s’effondrent bel et bien. Cela amène les investisseurs à rechercher toutes les issues possibles. Ils vendent les bons placements pour couvrir les déficits des mauvais. Gelant les marchés monétaires. Faisant des placements à court-terme leur seule ceinture de sécurité. Obtenant des gouvernements du monde entier qu’ils s’agitent, à la recherche frénétique de solutions. Déjà plongées dans la récession et ne recevant que des nouvelles de plus en plus mauvaises. Redoutant une crise financière amplifiée, un effondrement systémique. Qui transformerait une récession en train de s’approfondir en une véritable dépression économique mondiale. Un désastre que seules des actions urgentes, bien préparées et coordonnées pourraient empêcher. Mais rien ne garantit que quoi que ce soit puisse marcher, aux dernières nouvelles…
Voici ce que Nouriel Roubini et d’autres économistes recommandent. L’exact opposé d’EESA, qui ferait plus de mal que de bien (si on suivait ce dernier) :
- des réductions de taux rapides et générales ; d’au moins 1% aux Etats-Unis ; encore bien plus importantes dans l’Union européenne, en Asie et dans le reste du monde ;
- la garantie de tous les dépôts bancaires, au moins jusqu’à ce que la stabilité soit rétablie ;
- la nationalisation partielle des banques en difficulté ; leur recapitalisation au moyen de fonds publics ; sous une forme qui ressemble, désormais, à un plan [de relance], d’après le New York Times, dans un article du 11 octobre, sous le titre : « La Maison-Blanche met au point un plan de sauvetage » ; « du capital devrait être injecté dans les banques en achetant des actions sans droit de vote ; ce que l’on en connaît, c’est une déclaration d’Henry Paulson, le 10 octobre, selon qui « nous pourrons utiliser l’argent du contribuable d’une manière plus efficace… en développant un programme standardisé permettant d’acheter des parts des institutions financières » ; reste à voir ce qui, en réalité, se passera ; Paulson représente Wall Street, pas l’opinion publique, ni les intérêts nationaux ou mondiaux…
- Il n’est pas favorable à la réinstauration d’une régulation responsable afin de mettre un terme aux dérives du marché ; ce que des économistes dans le genre de Roubini recommandent, c’est ce qui suit :
- geler toutes les mises en faillites nationales ; créer une Société des Détenteurs Américains de Prêts (immobiliers) [HOLC : Home Owners’ Loan Corporation], afin de refinancer l’immobilier et de prévenir les faillites ; permettre aux propriétaires victimes d’une saisie de conserver leur bien en payant un loyer abordable ;
- rééchelonner les dettes des foyers sinistrés ; imposer une limite aux cartes de crédit et aux autres crédits à la consommation aux taux d’intérêts exorbitants, à des niveaux bien inférieurs ; mettre du cash entre les mains des gens ; des tas de cash ; au moins plusieurs centaines de milliards de dollars, en apéritif ; plus, si nécessaire ; autant qu’il en faudra ;
- fournir aux institutions financières solvables autant de liquidités qu’elles en ont besoin ; même chose en ce qui concerne les sociétés, y compris les petites et moyennes entreprises ;
- sauver les entreprises solvables ; mettre en liquidation judiciaires celles qui sont trop dans le rouge ;
- financer un stimulus massif permettant de réanimer l’économie ; dans le domaine des travaux publics, des infrastructures, de l’éducation, des énergies alternatives, des indemnités de chômage, de la formation professionnelle, des réductions d’impôts aux personnes en difficulté et aux Etats et aux collectivités locales prises à la gorge et n’ayant plus de liquidités. Cet argent doit être consacré aux besoins les plus pressants, et là où il peut apporter le maximum d’efficacité et de soulagement ;
- faire en sorte que les pays les plus solides et les plus solvables aident les pays les plus faibles, les plus endettés ; et
- s’atteler à ces politiques très rapidement ; il reste fort peu de temps aux gouvernements mondiaux pour se tirer d’affaire ; rien ne garantit qu’ils y réussiront ; et ces mesures ne s’attaquent en rien à notre keynésianisme militaire destructeur, à notre guerre économique permanente, ni au besoin de ré-aiguiller ces fonds à des fins internes constructives ; il faut faire l’exact contraire de ce qu’un document du Pentagone récent recommanderait, à savoir 450 milliards de dollars de budget [militaire] supplémentaire au cours des cinq années à venir.
Le passage inopiné d’une réponse politique à une autre
Tout d’abord, il y eut l’EESA, The Emergency Economic Stabilization Act. Consistant à récompenser les fraudeurs, et non pas à s’attaquer aux véritables racines de la crise financière. Ni à aider des millions de foyers dans l’angoisse : propriétaires confrontés aux saisies, d’autres en étant menacés. Une opinion publiques traumatisée par la pire crise économique depuis celle des années 1930.
Les Européens, quant à eux, ont arrêté leurs propres plans. Différents de ceux de Washington. Le 10 octobre, les ministres des Finances des pays du G-7 se sont rencontrés pour décider d’une politique. Tôt dans l’après-midi, ils ont présenté un plan d’action. Riche en promesses. Un peu court sur les mesures précises. Le New York Times a rapporté que « de nombreux investisseurs espéraient que les ministres proposeraient des mesures plus concrètes », citant le vice-directeur du Peterson Institute of International Economics, Adam Posen : « C’est insuffisant. » Mais il ne baissait pas totalement les bras ; il ne disait pas que ce que les ministres avaient derrière la tête ou ce qu’ils décideraient ultérieurement ne fonctionnerait pas…
Ces ministres des Finances sont tombés d’accord sur la nécessité :
- d’agir de manière énergique en recourant à tous les outils disponibles afin de soutenir les institutions financières et d’en prévenir la faillite ;
- geler les marchés du crédit et les marchés monétaires ; s’assurer que les banques et les autres institutions financières « ont un large accès aux liquidités et aux financements » ;
- s’assurer que les banques et les organismes d’intermédiation financière sont « en mesure de lever un capital (suffisant) de la part du public et de sources privées », afin de rebâtir la confiance et de leur redonner la possibilité d’assurer des prêts aux foyers et aux entreprises ;
- garantir les dépôts bancaires d’une manière solide, afin que les gens aient confiance dans la stabilité de leurs comptes, et
- prendre les mesures appropriées « afin de relancer les seconds marchés des prêts immobiliers et d’autres fonds sécurisés » ; assurer des évaluations précises et la transparence, en conformité avec des « standards de comptabilité de haute qualité ».
En plus du fait que le Trésor américain envisageait d’ « acheter des parts dans des institutions financières », l’Associated Press indiquait, le 12 octobre, que les 15 pays de la zone Euro « garantiraient temporairement les futures dettes bancaires afin d’encourager le prêt… durant une période intérimaire et dans les conditions appropriées » pour une période pouvant aller jusqu’à cinq ans. La recapitalisation des banques fait partie de ce plan. Ce qui est espéré, c’est un dégel du crédit et le recouvrement, par les marchés, d’un fonctionnement normal.
D’après le New York Times du 12 octobre, « chaque pays annoncera un chiffrage précis des mesures qu’ils envisagent de prendre individuellement ». Le ministre belge des Finances, Didier Reynders, a déclaré qu’il « n’était pas question de mettre sur pied un fonds européen ». Une proposition financière sera présentée au sommet plénier de l’Union européenne à 27, avant la fin de la semaine, qui sera soumise aux suffrages des parlements nationaux des Etats membres.
Voici la clé, permettant de comprendre ce qui apparaîtra plus en détail, ou n’importe quelle information nouvelle à venir : les gouvernements du monde vont piller leur trésor afin de sauver de puissants intérêts capitalistes. En dépit de déclarations audacieuses, nous pouvons nous attendre à toujours davantage de ce que nous avons énuméré : pratiquement rien ne sera fait en faveur des dizaines de millions de personnes, dans le monde entier, qui sont dans un besoin énorme d’être secourus. Tout au mieux, pour eux, il y aura… des miettes !
Au cours des jours et des semaines à venir, nous allons voir ces déclarations devenir des politiques, et nous allons voir aussi comment réagissent les marchés mondiaux. Etant donné l’immensité de la crise, personne n’est assuré que quoi que ce soit puisse fonctionner. Il n’est pas rassurant, non plus, d’entendre George Bush nous dire de rester calmes. Nous n’avons plus aucun contrôle sur rien. Le 10 octobre, le Dow Jones a chuté de 300 points, exactement au moment où Doubiah parlait…
Dans une interview de Barron, le 13 octobre, il demandait au célèbre manager financier Jeremy Grantham (âgé de soixante-dix ans) s’il pensait que nous ayons appris quoi que ce fût de la crise actuelle ? Voici sa réponse : « Nous avons appris énormément de choses, en très peu de temps, beaucoup de choses à moyen-terme, et absolument rien du tout, en ce qui concerne le long-terme… »
Il avait été confiant, depuis l’année dernière, mais il ajouta que « les fondamentaux sont en train de s’avérer pires que ce qu’il escomptait ». La chose terrible – après tous ces efforts – c’est que le marché des valeurs américain n’est même pas devenu abordable… » Il était tellement élevé en 2000 qu’il n’a jamais retrouvé une tendance normale, mais il s’en est rapproché. Toutefois, la nouvelle réellement mauvaise, c’est que les grandes « bulles », à travers l’histoire, se corrigent toujours avec outrance. » Il pense que la juste valeur du S&P 500 (un indice boursier) est autour de 1025, à comparer à 899,22, le 10 octobre, à la fermeture. Mais « typiquement, les bulles se sur-corrigent, d’un montant non négligeable, qui peut atteindre les 20%. C’est parfaitement décourageant », aussi ne se précipite-t-il pas pour acheter, mais il redoute encore d’agir trop tôt. Il prédit un « bas » du marché en 2010.
On lui a demandé également vers quoi il voyait s’orienter les choses ? Il est très respecté, en tant qu’expert, et pourtant, il a souligné « à quel point il ne comprenait que très peu toutes les interactions emmêlées du système financier global. Il espère que quelqu’un y entrave quelque chose, par ce qu’en ce qui le concerne, ça n’est pas le cas. Et il n’a vraiment aucune idée quant à la façon dont tout ça va se terminer… C’est tellement compliqué que tout ce qu’il peut conclure, instinctivement, en excipant de son expérience historique, c’est que la crise sera plus longue, plus dure et plus compliquée que tout ce que nous pouvons imaginer… » C’est vraiment là une déclaration importante, venant de quelqu’un que l’on appelle « le roi philosophe de Wall Street » !!
Le coût humain d’une crise entièrement fabriquée
Ce sont les gens ordinaires qui sont le plus durement frappés. Des millions de personnes vont souffrir gravement, des années durant, à cause de cette crise totalement évitable. Les fraudeurs qui l’ont causée, quant à eux, en sont récompensés. D’honnêtes propriétaires de leur domicile, des foyers, et des travailleurs sont punis. Impitoyablement. Résultat des courses :
- des milliards de dollars perdus, vraisemblablement plusieurs trillions de dollars seront perdus à l’avenir ;
- des millions de familles ont perdu leur maison, les propriétaires étant incapables de rembourser leurs prêts, ou étant menacés de saisie, dans la pire crise du logement depuis la Grande Dépression de 1929 ; en fin de parcours, les estimations allant jusqu’à dix millions de saisies avant le retour de la stabilité et la reconstruction seront sans doute dépassées ;
- Il y aura vraisemblablement plus d’un million de faillites personnelles en 2008 et un nombre encore bien plus important en 2009, à comparer à 800 000 en 2007 et à 573 000 en 2006 ; ces chiffres étant inférieurs aux moyennes de 1,5 million, sur la période 2000 – 2005, enregistrées avant l’adoption, en 20058, du Bankruptcy Abuse Prevention and Consumer Protection Act ; d’après Samuel Gerdano, le responsable de l’American Bankruptcy Institute, le surendettement des consommateurs, « rendu pire par la crise des prêts immobiliers » est le principal problème ; ce problème ne diminuera sans doute pas, ni à moyen, ni a fortiori à court termes.
- la montée du chômage ; il ne s’agira plus du timoré 6,1% incluant les travailleurs découragés et les gens à temps partiel qui veulent des emplois à plein temps (mais n’en trouvent aucun) ; l’économiste John Williams situe le chiffre réel à plus de 12 %, et celui-ci ne cesse d’augmenter.
- le surendettement des consommateurs ; perclus de crédits, mais ayant toujours besoin de davantage de crédit pour survivre, et qui se voient imposer des taux d’intérêts usuraires, pour les obtenir ;
- le déclin des salaires et des bénéfices, face à des dépenses exponentielles, rendant de plus en plus difficile de simplement s’en sortir ;
- des banques alimentaires et des abris pour sans-domicile fixe exigeant plus de moyens, mais contraints à renvoyer des gens en raison de leur manque de ressources ; et
- les choses, de manière générale, empirent ; jusqu’à nous amener au bord du précipice, selon certains ; même les plus optimistes redoutent l’avenir ; personne n’ose afficher la moindre complaisance.
Quelles que soient les nouvelles politiques qui émergeront. Quelles que soient les formes qu’elles prendront. A moins qu’elle ne s’attaque à la dimension humaine du problème, elles n’apporteront strictement aucun soulagement à ceux qui en auraient le plus grand besoin. C’est-à-dire à des millions et des millions de citoyens frappés par la crise, de plus en plus nombreux. Désespérés et désemparés. Le problème n’est pas qu’économique : c’est un problème moral, éthique. La déclaration du G-7 ne traite ni l’un, ni l’autre aspect. Elle ne visait qu’un seul objectif : sauver Wall Street. Le capitalisme industriel. Une autre idée serait de les laisser crever et de les remplacer par un nouvel ordre mondial. Un ordre mondial praticable. Un ordre mondial qui respecte les gens, et non pas le capital. | |
Articles de Stephen Lendman publiés par Mondialisation.cahttp://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=10633 |