GREENSPAM se flagelle
| |
Avec la crise des subprimes, l'inimaginable devient réalité. Comme par exemple voir un banquier central faire son autocritique. C'est donc un moment historique auquel on a assisté, jeudi 23 octobre, à Washington avec l'audition d'Alan Greenspan par la Commission chargée du contrôle de l'action gouvernementale. L'ancien président de la Réserve fédérale américaine (Fed) a admis que la crise actuelle remettait en cause la supériorité d'un système, celui du "free market" auquel il avait toujours cru. "Oui, j'ai trouvé une faille. Je ne sais pas à quel point elle est significative ou durable, mais cela m'a plongé dans un grand désarroi."
Le président de la commission, Henry Waxman, venait de rappeler à M. Greenspan les propos qu'il avait tenus dans le passé, selon lesquels "des marchés libres et concurrentiels sont de loin la meilleure façon d'organiser les économies, sans équivalent".
L'ancien patron de la Fed a aussi admis avoir "fait une erreur en croyant que le sens de leurs propres intérêts, notamment chez les banquiers, était la meilleure protection qui soit". "En d'autres termes, vous trouvez que votre vision du monde, votre idéologie, n'était pas la bonne, ne fonctionnait pas ?", a renchéri M. Waxman. "Absolument, exactement, a répondu M. Greenspan. C'est précisément la raison pour laquelle je suis choqué, parce que cela faisait quarante ans et même plus que de façon très évidente cela fonctionnait exceptionnellement bien."
Sur sa propre responsabilité dans la crise - M. Greenspan est accusé d'avoir favorisé la formation de cette gigantesque bulle spéculative en menant une politique monétaire laxiste -, l'ancien patron de la Fed s'est défendu en rappelant qu'il avait lancé des mises en garde il y a déjà trois ans. "En 2005, j'avais émis des inquiétudes quant aux conséquences néfastes d'une période prolongée de sous-estimation des risques." "La crise cependant a pris une dimension beaucoup plus grande que ce que j'avais imaginé", a-t-il concédé, estimant que le marché du crédit vivait "un tsunami comme on en voit un par siècle". M. Greenspan a souligné que, dans la tempête actuelle, "les banques centrales et les gouvernements se retrouvent contraints d'adopter des mesures sans précédent".
PÉRIODE D'INCERTITUDE
Parmi ces mesures, les analystes sont de plus en plus nombreux à penser que la Fed pourrait ramener prochainement son taux directeur à un niveau proche de 0 %, comme la Banque du Japon l'avait fait pour sauver son système bancaire de la faillite au milieu des années 1990. Le comité de politique monétaire de la Fed se réunit mardi 28 octobre et l'on s'attend à une baisse d'un demi-point de ses taux directeurs, à 1 %.
Le président de la Fed, Ben Bernanke, a clairement expliqué cette semaine que tous les moyens étaient bons, qu'ils soient monétaires ou budgétaires, pour tenter de limiter les dégâts économiques provoqués par la crise financière. "Avec une économie qui sera probablement faible pendant plusieurs trimestres et un certain risque d'un ralentissement prolongé, l'examen d'un plan de relance par le Congrès dans le contexte actuel semble approprié", a affirmé M. Bernanke. Il a indiqué que "le rythme de l'activité économique va probablement être inférieur à son potentiel pendant plusieurs trimestres", tout en soulignant que l'"incertitude entourant actuellement les perspectives économiques est inhabituellement grande".
La Banque centrale européenne (BCE) se réunira pour sa part jeudi et, là encore, les opérateurs anticipent une nouvelle baisse de son principal taux directeur, fixé à 3,75 %. La ministre de l'économie, Christine Lagarde, l'espère aussi. "Clairement, les Européens ont plus de marge de manoeuvre sur les instruments de politique monétaire" que les Etats-Unis, a déclaré la ministre lors d'une conférence de presse. "Nous en avons beaucoup plus sous le pied", a ajouté la ministre, qui a mis en avant la décrue rapide de l'inflation.
Avec un baril de pétrole revenu à 60 dollars, la déflation qui menace, les vagues de licenciements qui se succèdent, on voit mal comment le président de la BCE, Jean-Claude Trichet, pourrait encore prétexter, comme au mois de septembre, des craintes "d'effets de second tour" pour ne pas assouplir sa politique monétaire.
Les marchés parient en tout cas pour un geste fort de la BCE, à en juger par le plongeon spectaculaire de l'euro observé cette semaine. La monnaie européenne cotait vendredi soir 1,26 dollar, contre 1,34 dollar une semaine auparavant. Elle est également tombée à 121 yens, son plus bas niveau depuis six ans face à une monnaie japonaise qui bénéficie de son statut de devise immunisée contre les subprimes.
Il est vrai que la cacophonie politique en Europe - par exemple à propos de la création de fonds souverains - affaiblit l'euro. Si les Européens menaient une stratégie de dévaluation compétitive de l'euro, ils ne s'y prendraient pas autrement.