L’Amérique hors la loi de Noam Chomsky

Publié le par sceptix

L’Amérique hors la loi de Noam Chomsky
Livre | L’auteur stigmatise les dérives des Etats-Unis dans «L’ivresse de la force».

 



© Pascal Frautschi (2002) | Noam Chomsky: «Voulons-nous être ce pays qui a cette image-là, puis en subir les conséquences?»

LIONEL CHIUCH | 01.11.2008 | 00:00

Faites l’expérience. Lâchez le nom de Noam Chomsky au beau milieu d’une conversation portant sur les Etats-Unis. Ce sera au mieux moues dédaigneuses, au pire vague de protestations.

C’est que Noam Chomsky, brillant linguiste et penseur politique, n’a pas toujours bonne presse en Occident. Sa critique radicale de la politique extérieure américaine, sa défiance à l’égard de la machine médiatique, ses positions sur le sionisme font de lui un intellectuel sulfureux que ses détracteurs disqualifient volontiers.

Maintenant, poursuivez l’expérience entamée plus haut et demandez: «Mais lequel d’entre vous l’a lu?» C’est bien là que réside le malentendu: celui que la revue Foreign Policy désigne comme «l’intellectuel le plus influent de la planète» est souvent commenté, mais plus rarement lu. Du moins par ceux qui l’accablent de tous les maux.

Un discours pragmatique
L’ivresse de la force, série d’entretiens avec David Barsamian que vient de publier Fayard, ne devrait pas changer la donne. Faisant suite aux Etats manqués, qui traitait du grave déficit démocratique des Etats qui «se croient au-dessus des lois, nationales ou internationales», ce nouvel opus revient sur le sentiment de toute-puissance qui anime les dirigeants des Etats-Unis.

C’est notamment du contraste entre ce sentiment – exprimés par George Bush père quand il déclare, au sortir de la première guerre du Golfe: «C’est nous qui commandons» – et sa perception par les populations dont parle Noam Chomsky. Il le fait de manière pragmatique, en appuyant ses propos d’exemples dûment référencés. En cela, d’ailleurs, Noam Chomsky est bien Américain: pas de théories cousues de fil blanc, des faits.

Les faits, c’est par exemple l’article 2 de la Charte des Nations Unies qui proscrit la menace ou l’usage de la force dans les relations internationales. Appliquée à l’intervention américaine en Irak, elle fait dire à l’essayiste: «Il y a eu un immense débat sur cette invasion, mais personne ne s’est demandé si nous avions le droit de la mener/…/ Si l’on observe le pseudo-débat sur l’Irak, il est à peu près du niveau du commentaire sportif d’un journal lycéen sur l’équipe locale. On ne se demande pas si l’équipe a le droit de gagner, mais seulement comment elle peut y arriver.»

D’un 11 Septembre à l’autre
Entre une analyse sur la crise au Moyen-Orient et une autre – prophétique – sur l’économie américaine, Noam Chomsky se risque à une analogie (à l’échelle) entre le coup d’Etat chilien de 1973 et le 11 septembre 2001. «Imaginons que le 11 septembre 2001, les terroristes d’Al-Qaida aient bombardé la Maison-Blanche, tué le président, institué un régime militaire, abattu entre 50 000 et 100 000 Américains, torturé 700 000 autres, créé à Washington un centre organisationnel de la terreur qui aurait déclenché ou soutenu d’autres putschs militaires…»
Et de conclure: «Tout le monde dit que notre 11 Septembre a changé le monde. Mais ce scénario-là n’a rien d’hypothétique. C’est ce qui s’est passé le 11 septembre 1973.» On n’est pas obligé, bien sûr, d’adhérer à la démonstration.

Ce qui importe, c’est la manière dont Noam Chomsky nous invite à décaler notre regard. En faisant fi des œillères du politiquement correct et des «vérités» répercutées par une partie des médias occidentaux.

Face aux pesanteurs de la pensée ethnocentrique, le philosophe s’emploie à stimuler l’esprit critique de son lecteur. Au risque, et c’est normal, d’y être soumis à son tour.

❚ L’ivresse de la force, Noam Chomsky. Fayard. 247 pages.

 

Un professeur qui ne fait partie d’aucune «école»

L’inclassable.
❚ Né en 1928, Noam Chomsky est professeur de linguistique à l’Institut du Massachusetts. Si ses recherches dans ce domaine (grammaire générative et transformationnelle) donnent parfois lieu à controverses, ce n’est rien au regard de ses engagements politiques. On lui reproche notamment de critiquer le système américain tout en bénéficiant de ses avantages, en particulier la liberté d’expression. Là-dessus, Noam Chomsky s’est expliqué à plusieurs reprises. «J’essaie de concentrer mes activités politiques – y compris mes écrits – dans des domaines où elles ont une certaine portée morale, donc principalement dans des domaines où les gens que je peux atteindre ont la possibilité d’agir pour changer des politiques exécrables,
dangereuses et destructrices», précise-t-il dans un article intitulé Les raisons de mon engagement politique (1983). Autre reproche: une préface parue dans un livre du négationniste français Robert Faurisson. «Beaucoup de critiques se sont montrés incapables de faire la distinction entre la défense du droit de libre expression et la défense des thèses exprimées», affirme Noam Chomsky, qui n’avait pas donné son accord pour l’utilisation du texte. Cette polémique, ainsi que la difficulté à rattacher le philosophe américain à une école de pensée, ont contribué à l’hostilité de certains milieux intellectuels, notamment en France. On comprendra mieux l’œuvre de Noam Chomsky ainsi que son parcours en lisant «Les cahiers de L’Herne» – paru en 2007 – qui lui sont consacrés.


Publié dans USA

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article