Lettre ouverte à Brice Hortefeux par Hélène Flautre, parlementaire européenne

Publié le par sceptix

6 novembre 2008

Monsieur le Ministre,

57 ressortissants afghans sont actuellement retenus au Centre de Rétention Administrative de Coquelles, dans le Pas-de-Calais. Ils sont arrivés par plusieurs groupes, pendant que le centre libérait des retenus d’autres nationalités. Cette volonté manifeste de concentrer le plus grand nombre d’Afghans dans un même CRA a nécessairement impliqué des pratiques arbitraires et discriminatoires telles que des arrestations massives visant les étrangers en fonction de leur nationalité, et des examens bâclés des situations individuelles. En effet, la Préfecture planifie actuellement un retour groupé vers leur pays d’origine, en partenariat avec la Grande-Bretagne, afin de rentabiliser au mieux ce vol charter.

La reconduite vers l’Afghanistan est une pratique que les autorités françaises se sont interdites depuis de nombreuses années, eu égard à la situation sécuritaire de ce pays. La majorité des États-membres de l’Union Européenne ne refoule pas les ressortissants afghans en situation irrégulière sur leur territoire, puisque leur sécurité ne peut être garantie dans leur pays d’origine. Les opérations de rapatriement volontaires depuis le Pakistan et l’Iran, assistées par le HCR, ont été suspendues du fait de la situation sécuritaire et humanitaire en Afghanistan. Des milliers d’Afghans qui sont retournés dans leur pays vivent actuellement dans des camps de fortune et ne peuvent regagner leur village, car des conditions de retour satisfaisantes ne peuvent être assurées. Le Secrétaire Général des Nations-Unies ainsi que de nombreuses organisations présentes sur place se sont déclarés préoccupés par les conditions de sécurité et la situation humanitaire en Afghanistan.

Les autorités françaises ne semblent pas se soucier du fait que ces opérations d’éloignement conjointes violent plusieurs dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), à commencer par son article 3 qui interdit d’exposer quiconque à des traitements dégradants et inhumains. Ces éloignements groupés sont également contraires à l’article 4 du Protocole 4 de la CEDH, qui affirme clairement que les « expulsions collectives d’étrangers sont interdites ».

Cette mesure d’éloignement est également contraire à l’accord tripartite signé le 28 septembre 2002 entre le gouvernement afghan, le gouvernement français et le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations-Unies (HCR). L’article 3 stipule que « Le processus de retour des Afghans qui ne jouissent pas de protection [...] s’effectuera de manière graduelle, ordonnée et humaine. » Ceci est manifestement incompatible avec le contexte d’une expulsion massive.

L’article 2 de ce même accord insiste sur la nécessité de tenir « compte des conditions qui existent en Afghanistan » et sur « l’importance d’un retour durable, dans la sécurité et la dignité ». Dans ces conditions, je vous demande de ne pas commettre l’irréparable. Un migrant afghan récemment reconduit par l’Australie, Mohammed Hussain, a été kidnappé, torturé puis décapité. Des cas similaires ont été signalés en 2006, quand 9 Afghans ont été tués suite à leur expulsion d’Australie.

Les autorités françaises se sont engagées auprès du HCR à ne pas reconduire à la frontière les personnes vulnérables ainsi que les personnes qui proviennent de régions et districts en Afghanistan où les conditions de sécurité ne permettent pas d’envisager un retour. Par ailleurs elles ont également reconnu que Kaboul ne pourrait pas être considérée comme une destination alternative à moins que la personne expulsée y ait de la famille ou une communauté prête à l’accueillir. Alors que le pays est en majeure partie sous le contrôle des talibans et des chefs de guerre locaux, aucune garantie de non expulsion vers les régions les plus dangereuses n’a été donnée à l’heure actuelle. Par ailleurs, l’Afghanistan est exposé à un risque très élevé de famine hivernale. L’insécurité alimentaire fait déjà rage et plusieurs provinces meurent de faim. A cause de mauvaises récoltes et de la hausse internationale des prix des produits alimentaires, à cause des conflits et des restrictions sur la migration de travail, plus de 8 millions de personnes, soit 35% de la population, ont absolument besoin d’aide humanitaire.

Dans ces conditions, il est particulièrement inhumain de contraindre au retour ces ressortissants qui ont tout mis en œuvre pour échapper à cette misère et à cette insécurité.

Je vous demande donc, M. Le Ministre, de bien vouloir m’indiquer les dispositions que vous entendez prendre pour garantir, dans la procédure engagée, la régularité des conditions d’arrestation des cinquante Afghans, le respect de l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, du principe de non-refoulement, de l’article 4 du Protocole 4 de la Convention européenne des Droits de l’Homme sur les expulsions massives, de l’accord tripartite signé le 28 septembre 2002, ainsi que le respect des lignes directrices du HCR concernant ce pays, qui vous recommandent de vérifier les régions d’origine de chacune de ces 57 personnes. Je vous demande également, en cas de non-conformité suspectée à ces obligations, de procéder à la libération immédiate de ces personnes, et de leur fournir un permis de séjour à titre humanitaire, afin de leur permettre de mener une vie décente.

Veuillez, M. le Ministre, agréer l’expression des mes salutations les plus respectueuses

http://www.flautre.net
http://www.millebabords.org/spip.php?article9465

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