Vive le Comité Invisible !
Vive le Comité Invisible !
A peine digérée l’élection de Barack Obama, une nouvelle est venue pour nous montrer que la machine à produire la société présente du spectacle n’était pas en mal de nouveaux scénarios délirants.
Mais le nouveau sujet choisi (et montré comme un film à grands moyens, avec ses policiers en cagoules, ses histoires de Renseignements généraux à l’affût) nous a paru, pour le coup, bien étrange. Des personnes ont bloqué des voies de chemins de fer. Soit. La description des présumés coupables, ainsi que les accusations portées contre eux, en revanche, n’ont plus une seule parcelle de réalité.
Mon attention a été éveillée en premier lieu par la dénomination des soi-disant coupables : il s’agirait de “très dangereux terroristes proches de l’ultra-gauche”. Le Ministre Michèle Alliot-Marie nous parle ainsi d’une mouvance “qui compterait plus ou moins 300 personnes, la plupart infiltrées”.
Déjà, faisant moi-même partie, par mes convictions situationnistes, de ce que l’on appelle l’ultra-gauche, je ne vois pas qui, ayant des affinités avec cette pensée (qui n’est pas un mouvement), pourrait être terroriste ici ; le terrorisme (souvent d’Etat, rappelez-vous le “mai rampant” italien des années 1969-1975) étant radicalement l’ennemi, par ses méthodes et sa pensée, des convictions des libertaires d’ultra-gauche ; et mieux, Guy Debord, le plus connu des auteurs situationnistes, a même justement écrit un petit livre sur le terrorisme italien (”Préface à la quatrième édition italienne de ‘La Société du spectacle’”), comme Gianfranco Sanguinetti (”Du terrorisme et de l’Etat”) ou Michel Bounan dans une acception plus large du sujet (”Logique du terrorisme”), entre autres… Quel curieux renversement ! Voici que les ennemis du terrorisme deviennent des terroristes…
Donc, ces gens seraient d’ultra-gauche, mais on les appelle aussi des “anarcho-autonomes”. Anarchistes, c’est difficile à dire, il faudrait savoir s’ils ont lu aussi Bakounine, et l’on sait les réserves des thèses de “La Société du spectacle” contre la mouvance anarchiste. Mais “autonomes”, mon Dieu ! Etre “autonome” aujourd’hui, quelle prétention ! On remarquera en passant que cette appellation est en totale opposition avec le qualificatif émis par ailleurs de groupe constitué, et qui aurait une doctrine salvatrice à faire passer par la force ! Il faudrait savoir : groupe structuré ou individus autonomes ?
On nous dit ensuite que le “Commando (sic !) Invisible”, ou la “Cellule (re-sic !) Invisible” est constituée de jeunes diplômés des grandes écoles, tous bac +5, ayant publié un “manuel de terrorisme” où serait expliqué comment faire dérailler un train !
Malheureusement pour les agents du Spectaculaire intégré, deux des jeunes gens en question font juste partie d’un “Comité Invisible”, ayant publié en mars 2007 un petit pamphlet “L’insurrection qui vient” (Editions La Fabrique, téléchargeable aussi en PDF gratuitement et in extenso sur le site de l’éditeur). Et, plus surprenant encore, leurs casiers sont entièrement vierges ! Eh bien, pour des terroristes organisés, quelle inconséquence ! On appréciera en passant l’assertion selon laquelle si l’on n’habite pas dans une HLM ou la banlieue, et si l’on vient d’un milieu aisé (ils n’ont même pas l’alibi de se déclarer spécialement “pauvres”), qu’on est (comme indiqué) “très bien intégrés socialement”, on a moins d’excuses de se révolter contre la situation en place.
Car j’ai bien lu ce livre, et s’il est vrai qu’il condamne notre société et ses méthodes mafieuses, sinistres, son écologie suicidaire, etc… ; je n’y ai pas trouvé une seule ligne qui nous dirait “comment” au juste on doit faire, pratiquement, pour faire dérailler un train, comme l’entendait l’odieux article paru il y a deux jours dans “Libération” ! Mais, apparemment, le fait d’avoir certaines opinions sociétales est suffisant aujourd’hui pour être condamné sans autre forme d’entendement. Pourquoi ne pas en arriver directement à l’autodafé ? Ce serait plus expéditif, pour discuter des idées du Comité Invisible. Car si on applique le même raisonnement, André Breton faisait l’apologie du meurtre dans son “Second manifeste du surréalisme”. On voit mieux alors ici l’enjeu de telles opérations “médiatico-policières” : mettre au ban toute la critique sociale authentique. Car, vraiment, “L’insurrection qui vient” est-elle plus condamnable qu’André Breton, Guy Debord, Michel Bounan, l’Encyclopédie des Nuisances, Sade, Lautréamont, Bataille, Fourier, Bakounine, Marx, Benjamin Péret, Arthur Cravan, les dadaïstes, George Orwell ?
Plutôt, nous voici, comme l’explique très bien l’éditeur de La Fabrique, Eric Hazan, dans une société qui utilise aujourd’hui “l’antiterrorisme comme moyen de gouverner”.
On a pu déjà voir les retournements des médias, qui avouent après quelques jours qu’on n’a trouvé dans les perquisitions aucune arme, aucune bombe, aucun “matériel” terroriste ; juste des livres de philosophie, quelques objets anodins…
Donc, à considérer que ce soient bien eux qui ont perturbé quelques lignes ferroviaires, ce qui n’a fait de mal à personne jusqu’à nouvel ordre, si ce n’est avoir provoqué quelques retards, on se demande vers quelles autres accusations le procès les mènera-t-ils ? On peut s’attendre à de joyeux délires verbaux dans les attendus du futur procès, si avoir un plan SNCF dans un village où l’on est parfaitement intégré, et lire Guy Debord, est un crime contre l’Etat !
En attendant, je me déclare tout-à-fait solidaire du Comité Invisble.
Sans être d’accord avec tous les points de leur opuscule, je me déclare moi aussi lecteur d’obédiance ultra-gauchiste. Et j’invite toutes les personnes (sans être forcément d’accord avec lesdites idées ultra-gauchistes, bien évidemment) encore saines d’esprit à leur déclarer, elles aussi, leur soutien.
HENRI GRAETZ
http://www.mecanopolis.org/?p=2170&type=1